Pietro Citati, critique littéraire, dont j'ai beaucoup apprécié la délicate écriture dans les livres relatifs aux Fitzgerald, à
Katherine Mansfield, ainsi que dans ses
Portraits de femmes, une écriture limpide, légère, évocatrice du style des auteurs étudiés, se livre ici à un essai sur quelques oeuvres de
Kafka, mâtiné d'éléments biographiques. Sont principalement explorés les jalons de sa vie amoureuse, les relations épistolaires avec Felice Bauer, puis
Milena Jesenska, et leurs répercussions sur son activité artistique.
Nous est dépeint un
Kafka, sombre, possédé, aux confins de la folie, de la dépression et de la dépossession de soi, un
Kafka isolé, terrifié, réfugié dans sa chambre, où il écrit pendant une bonne partie de la nuit.
Kafka, qui semble souffrir d'un grave trouble de l'identité, ressasse, ne supporte aucune intrusion, aucun bruit, aucun contact susceptible de le détourner de sa tâche, de sa vocation. Autant sa perception de la réalité est morcelée, fragmentaire, autant son écriture est fluide, se déroulant de manière quasi automatique. Habité de personnages multiples et miné par les hésitations et les tergiversations, il retrouve sa cohérence sur le papier, se lance dans des récits savamment construits, et propose des univers imaginaires, oniriques, complexes, nourris de son expérience professionnelle de conseiller juridique en sécurité et conditions de travail, et de sa connaissance des textes talmudiques.
Envahi de pensées obsédantes, pendant cinq ans,
Kafka adresse à Felice, avec qui il se fiance à deux reprises, des centaines de
lettres, dans lesquelles il décortique son quotidien, et la harcèle de questions intrusives. Il pense être tombé amoureux, mais préfère entretenir avec elle une relation virtuelle en évitant de la rencontrer.
Sa relation avec Milena semble plus passionnelle et charnelle, mais elle connaîtra la même triste fin.
Pietro Citati nous convie à partager la genèse et l'analyse des oeuvres majeures de l'écrivain, La métamorphose, le procès et le château. Doté d'une grande érudition, et d'une solide connaissance des textes bibliques et mythologiques, il nous propose des clés de lecture, privilégiant une approche mystique et métaphysique, autour de la quête de Dieu et de sa relation aux humains.
Face aux nombreux questionnements que soulève le
Kafka de Citati, un approfondissement des éléments biographiques, de la personnalité de l'auteur, de ses sources d'inspiration, du contexte de la Mitteleuropa en ce début de XXème siècle, me semble désormais nécessaire.