AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,38

sur 265 notes
5
28 avis
4
11 avis
3
0 avis
2
0 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
"La butte rouge c'est son nom, l'baptème s'fit un matin / Où tous ceux qui grimpèrent, roulèrent dans le ravin / Aujourd'hui y a des vignes, il y pousse du raisin / Qui boira d'ce vin là boira l'sang des copains." chantait Montéhus en 1923.
Jean Dartemont, un étudiant de 19 ans, s'engage dans l'armée "par curiosité" après l'ordre de mobilisation générale publié en Août 1914. Après quelques mois d'instruction militaire, il est envoyé dans les collines d'Artois pour combattre les Boches. L'occasion de réaliser que la curiosité est un vilain défaut.

Directement inspiré de sa propre expérience de simple troufion pendant la première guerre mondiale, le récit de Gabriel Chevallier, commencé en 1925 et publié en 1930, m'a saisie du début à la fin. L'auteur déroule sa chronologie et l'évolution de l'état d'esprit des soldats partis la fleur au fusil pour affronter une guerre moderne à laquelle rien ne les avait préparés. Sans aucun effet littéraire et en employant le présent, il nous permet d'appréhender au plus près ce qu'était la (sur)vie d'un Poilu, et il retranscrit l'angoisse qui rongeait les hommes, les rendait fous et les poussait à la révolte ; et certains passages sont vraiment anxiogènes, jamais je n'avais lu la guerre de façon aussi réaliste.
Grâce à lui, j'ai enfin compris la folle ivresse de tout un peuple joyeux de voir partir ses pioupious au casse-pipe. Chevallier raconte aussi et surtout le quotidien des tranchées ou des grottes, la saleté, l'humidité, le froid, la faim, la fatigue -et la peur : "Je vais vous dire la grande occupation de la guerre, la seule qui compte : J'AI EU PEUR.", cette même peur qui fera dire à Bardamu, deux ans plus tard : "Ahuris par la guerre, nous étions devenus fous dans un autre genre : la peur.". Mais là où Céline ricane façon Grand Guignol et joue des onomatopées pour mieux exorciser l'horreur, Chevallier conserve une écriture classique, même pour narrer le plus trivial, comme la colique aiguë qui frappe brusquement le narrateur alors qu'il est réfugié dans une sape en plein bombardement. Mieux que tout fait de gloire, ces détails permettent de s'identifier à ces hommes et de mesurer le cauchemar qu'ils ont vécu les yeux ouverts.
Cependant, l'auteur ne se dépare jamais de son impertinence teintée de cynisme, notamment pour dénoncer l'illusion patriotique ("La Patrie ? Ni plus ni moins qu'une réunion d'actionnaires, qu'une forme de la propriété, esprit bourgeois et vanité."), l'incompétence des officiers supérieurs ("Car il est admis, par une étrange aberration, que la diminution des effectifs prouve le courage de celui qui les commande."), l'interdiction de toute fraternisation avec les soldats allemands qui les appelaient pourtant "Kamerad" ("On semblait craindre que les soldats se missent d'accord pour terminer la guerre, à la barbe des généraux. Il paraît que ce dénouement eût été monstrueux."), l'injustice du sort réservé aux mutins ("Songe qu'on a fusillé de pauvres gens, qui avaient supporté déjà des années de misère, et qu'on n'a pas jugé un seul général."), et les grands profiteurs de ce grand conflit mondial ("Je vais te dresser le bilan de la guerre : cinquante grands hommes dans les manuels d'histoire, des millions de morts dont il ne sera plus question, et mille millionnaires qui feront la loi."). J'ai également apprécié ses réflexions sur la façon terrifiante dont on peut broyer l'esprit des hommes pour les mener à l'abattoir. Enfin, j'ai retrouvé la même impossibilité de partager tout ce vécu avec ceux restés à l'arrière, comme Erich Maria Remarque le déplorait déjà de son côté.

C'est donc une oeuvre impressionnante, un concentré d'intelligence et d'humanité -car il en faut, du courage et de l'humilité pour afficher et revendiquer sa peur. Et c'est cette dignité qui devrait être exaltée, à l'heure où le gouvernement incite notre belle jeunesse à s'engager dans l'armée ou à s'embrigader dans le Service National Universel.
Merci à RChris de m'avoir fait connaître ce livre ; et à mon tour, je souhaite le faire connaître à ceux d'entre vous qui ne l'ont pas encore lu, tel un acte de résistance au réarmement idéologique en cours, ou simplement pour découvrir cette pièce importante de la littérature de guerre célébrant la paix.
Commenter  J’apprécie          4219
En écrivant ce récit autobiographique en 1930, Gabriel Chevallier a pris du recul pour nous livrer son regard sur la guerre.
Ce modeste témoignage met à bas la glorification des soldats.
Le poilu se montre critique, osant avouer la peur comme moteur dans ce dialogue avec une infirmière :
— “Mais alors qu'avez-vous fait à la guerre?
— Ce qu'on m'a commandé, strictement. Je crains qu'il n'y ait là-dedans rien de très glorieux et qu'aucun des efforts qu'on m'a imposés n'ait été préjudiciable à l'ennemi…
— Que vous êtes énervant ! Répondez donc. On vous demande ce que vous avez fait ?
— Oui ?... Eh bien, j'ai marché de jour et de nuit, sans savoir où j'allais. J'ai fait l'exercice, passé des revues, creusé des tranchées, transporté des fils de fer, des sacs à terre, veillé au créneau. J'ai eu faim sans avoir à manger, soif sans avoir à boire, sommeil sans pouvoir dormir, froid sans pouvoir me réchauffer, et des poux sans pouvoir toujours me gratter... Voilà !
— C'est tout?
— Oui, c'est tout... Ou plutôt, non, ce n'est rien. Je vais vous dire la grande occupation de la guerre, la seule qui compte : J'AI EU PEUR.”

Des points de vue sont originalement exposés comme celui du fils critiqué par son père parce qu'il n'a pas brigué des galons !
Celui du regard de l'arrière tellement décourageant pour le soldat que certains renonceront à leur permission !
Le courrier écrit à sa soeur, rédigeant pour l'arrière une correspondance pleine de mensonges convenus, de mensonges qui "font bien" est émouvant.
Beaucoup cogitaient sur la bonne blessure à attraper!

Ce livre est une anti-apologie.
Jean-Yves le Naour dans son ouvrage “120 ans de prix Goncourt” dit à propos du livre de Barbusse “Le Feu”, paru en 1916 : “...mais le vernis héroïque craque définitivement pour montrer la guerre dans toute sa crudité. Non plus la gloire, le chapeau qui claque au vent, et les soldats riant sous la mitraille mais la boue, le sang, la merde.”
Cette citation s'applique aussi à cet ouvrage qui articule toute la guerre autour de la peur qui lui donne son titre courageux.
Commenter  J’apprécie          424
Comme le dit si bien Tardi, "c'est le meilleur récit sur la guerre de 14-18, avec le Voyage" au bout de la nuit.
Nous suivons le quotidien effroyable des Poilus, obligés de participer à des combats sans merci contre des inconnus qu'ils ne peuvent donc détester, et surtout réduits à se terrer dans des boyaux puants et peu sûrs, entendant jour et nuit le fracas du carnage, et craignant même d'aller "aux feuillées" faire leurs besoins, souhaitant même être blessé pour échapper à tout cela.
La peur en fait les véritables héros, bien loin de ceux qui ne méritent pas leurs décorations de pacotille, les boute-feu de l'époque, qui appellent au combat, bien planqués à l'arrière.
Comment ne pas ressentir une haine viscérale de cette guerre, de toutes les guerres, puisqu'il y en a eu, en a et en aura bien d'autres depuis, à la lecture de ce récit éprouvant ?
Commenter  J’apprécie          400
Dartemont Jean, un mètre soixante-douze, soixante-sept kilos, dix-neuf ans. Même s'il ne pensait pas « qu'il y eût de la grandeur à plonger une arme dans le ventre d'un homme », il a accepté cette consigne, comme « vingt millions d'imbéciles » qu'on avait « persuadés que tel était leur devoir ». « Qui a peur ? Personne ! Personne encore… Vingt millions d'hommes, que cinquante millions de femmes ont couverts de fleurs et de baisers, se hâtent vers la gloire, avec des chansons nationales qu'ils chantent à pleins poumons. Les esprits sont bien dopés. La guerre est en bonne voie. Les hommes d'État peuvent être fiers ! » Contre ses convictions mais de son plein gré, par curiosité, il se présente au conseil de révision en décembre 1914, commençant à craindre « qu'elle se terminât sans [qu'il y fût] allé ».
(...)
Gabriel Chevallier livre un témoignage de première main, à la fois saisissant, sans fard et d'une sincérité poignante.

Article complet sur le blog :
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
Commenter  J’apprécie          251
Un témoignage remarquable sur cette guerre absurde, comme toute les guerres qui pourra rejoindre les magnifiques pages de « ceux de 14 » de Maurice Genevois. Plusieurs années à subir, la peur au ventre chaque jour qui se lève, chaque changement de fonction, chaque changement de chef, à souhaiter mourir vite pour ne pas souffrir. Une inhumanité quotidienne imposée, un statut de poilu chair à canon, une loterie quotidienne, vie ou mort qui se répète sur environ 1500 jours, la probabilité d'en sortir vivant est faible et l'exaltation du soldat héros qui défend la patrie fleur au fusil est bien démystifiée.
Commenter  J’apprécie          190
A la relecture de ce témoignage- car il en va bien plus du témoignage que du roman- je comprends pourquoi j'avais été incapable, il y a deux ans, en plein travail de recherches avec mes amis lecteurs ( Amis de la Bibliothèque municipale de mon village), d'écrire une quelconque critique. Tout au long de ce récit, on assiste impuissant au saccage meurtrier qu'a été cette Grande Guerre. L'auteur relate très simplement- très atrocement devrais-je dire) la confusion, la désorganisation, l'envoi au combat en sachant que la cause est perdue... Et bien sûr, LA PEUR qui en découle, le sentiment d'incompréhension, d'injustice, la souffrance...
Allez, pour "alléger tout ça, je vous fais un petit cadeau : Traité de civisme de Boris Vian - qui rejoint ce thème- interprété par Dominique Pinon et Silvia Lenzi
https://vimeo.com/397932956?ref=fb-share&1&fbclid=¤££¤12Grande Guerre11¤££¤3_6XYLiyQWoBhd50ypPOm7z7KB9I4ErXhSLuBV4Q30W7m9bLY1w
Commenter  J’apprécie          130
Gabriel CHEVALLIER, alias Jean DARTEMONT nous décrit sa « Grande Guerre ». Surtout LA PEUR omniprésente au fil des jours et des nuits. Son témoignage affreusement réaliste nous emporte et nous fait réaliser les ordres aberrants voire insensés qui sont parfois donnés aux troupes. La vie du soldat ne vaux vraiment pas chère ! de la « chair à canon » ! C'est un récit difficilement acceptable, dur à lire, effroyable. Un véritable carnage au sens propre du terme. Livre magnifique qu'il faut lire absolument pour connaître ce qu'on vécut nos poilus.
Commenter  J’apprécie          130
La peur est ce que Tardi a sans cesse voulu montrer, je pense et c'est peut-être pourquoi il se réfère à Chevallier. Pour autant je ne pense pas que ce roman pose la question en terme d'héroïsme (ou d'anti-héroïsme, je veux dire). Les références héroïques, nécessairement mythiques, me semblent nécessaires non seulement à la cohésion de la communauté, mais aussi à sa production artistique. De toute façon, elles sont liées à la mort : un guerrier des épopées grecques devenait un héros à sa mort et c'était pour ça qu'il mourait.

Or ce que le roman m'a semblé montrer sans cesse (et il me semble que ça lui est très particulier), c'est que la normalité (l'humanité) du soldat ne le situe pas dans la sphère héroïque qui est la lecture de l'arrière (il n'en n'a rien à faire) MAIS pas non plus dans la lâcheté ou le néant (qui en est la version négative MAIS identique). La peur, elle, est fondée sur un instinct de conservation, qui fait se terrer quand il le faut, rechercher des rôles a priori moins dangereux - agent de liaison - et toujours se débrouiller du mieux qu'on peut, sans même s'en expliquer. Même si elle "décompose", la peur est liée à la vie, à la recherche de la survie ; j'ai constamment eu cette impression à la lecture. Je n'ai jamais noté par exemple de dimension pathétique particulièrement marquée. Et la portée militante du roman en est d'autant plus grande : montrer en réalité, qu'une guerre n'a rien de remarquable ni dans un sens ni dans un autre et la limiter à son extrême danger.

J'ai juste une remarque. Dans le Balcon en forêt, se souvenant de ce qu'il a ressenti sans cesse, Grange pense qu'il a eu "peur et envie". La peur est liée au désir et à vrai dire, le passage de la Peur que j'ai le plus admiré est vers la fin le moment où Dartemont se porte volontaire pour rejoindre une autre compagnie dans un contexte de grand danger. Il se rend compte après coup de ce qu'il vient de faire et traverse cette épreuve (dont il sort miraculeusement indemne) comme dans un rêve. J'ai sans cesse pensé au moment où dans Little Big Man (on a les références qu'on peut) un vieil indien aveugle traverse indemne les rangs de la cavalerie en se persuadant que - puisqu'il est aveugle - personne ne le voit. Cette action rêveuse, délirante et à la limite de la conscience, entièrement dominée par la peur, est peut-être non pas de l'héroïsme, mais ce qu'on a pu après coup présenter comme tel dans les légendes.

Commenter  J’apprécie          123
Livre paru en 1930 et censuré à l'époque car bien loin des témoignages d'héroisme exaltés dans l'entre deux guerres. Dureté des combats, boucherie, vermine, blessures épouvantables, cela était connu et avouable, ce qui l'était moins c'était l'état d'esprit, La Peur permanente, totale, insurmontable éprouvée par les soldats. Ils ne pouvaient en parler sous peine d'être taxés de lâcheté. Ton réaliste et désenchanté.
Commenter  J’apprécie          111
Il y a tout dans ce livre. L'horreur, l'absurdité, l'incompréhension, la folie (comment ne sont-ils pas tous devenus fous, fous délirants ou fous furieux, ces hommes cantonnés à longueur de mois et d'années dans la peur ?).
L'homme ravalé au rang de chair à canon.
Et puis il y a de temps en temps, des pages plus douces, ou plus doucement amères. le repos d'une nuit auprès d'une ancienne amie qui toute la nuit, aura "tout juste", miraculeusement. La féminité des infirmières qui pourtant attendent encore de Dartemont et des autres blessés qu'ils les fassent rêver d'héroïsme, de patriotisme, de gloire et de hauts faits. le père de Dartemont qui ne pense qu'aux galons que son fils n'a pas encore obtenus.
Chaque page de ce livre est un coup de poing. La guerre des tranchées dans toute sa cruauté. L'homme qui se débat, avec ses pauvres moyens. Celui du front mais aussi celui de l'arrière qui ne veut ni voir ni savoir.
Un livre qui ne s'oublie pas.
Commenter  J’apprécie          102




Lecteurs (854) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3226 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *}