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EAN : 9782851842589
316 pages
Ivrea (05/06/1997)
4.2/5   5 notes
Résumé :
L’enlisement, telle est en définitive la principale explication de ce livre : la certitude que, dans un petit nombre d’années facile à calculer, plus personne n’aura la moindre idée de ce que Paris était, il y a quinze ans à peine, si ce n’est en allant en exhumer l’image, toujours déformée, dans les livres ; plus la moindre empreinte où poser ses pas, comme il était possible autrefois de le faire ; plus la moindre pierre, si ce n’est douteuse, où asseoir ses rêves,... >Voir plus
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
[ La bagnole ]

S'interrogeant sur ce qu'il appelle « une nouvelle classe ouvrière », Pierre Belleville écrit en 1963 : « Déjà, disent les plus optimistes, en commentant les chiffres de départ en vacances de neige, ou la progression du parc automobile, la classe ouvrière n'existe plus. »

Bagnole ou voiture, les écrits de ce temps permettent surtout d'en mieux comprendre les effets, en mettant en lumière certaines nuances psychologiques qui, sur le moment, apparaissaient mal. Assurément tout le monde était d'accord : « Ah! chouette, j'ai une auto », comme on chantait déjà au bon vieux temps. L'ouvrier tout le premier qui dédaignant le métro, s'endettait pour payer les traites d'une voiture dont il aurait fort bien pu se passer. Et quand, au Conseil municipal, on discutait des affaires de circulation, représentants des beaux quartiers et des quartiers populaires s'envoyaient réciproquement à la figure les voitures de leurs électeurs. Pourquoi tenter d'étayer de chiffres cette sociologie, s'inquiéter du nombre de voitures et de leur répartition par classes, en somme de la responsabilité des uns et des autres ? Pourquoi même baptiser cela sociologie ? Chacun avait ou comptait bien avoir sa voiture et prétendait s'en servir, accusant la voiture de l'autre de l'en empêcher et Paris de mal se prêter à l'affaire, de faire preuve de mauvaise volonté. Apparemment ça n'allait pas plus loin et les choses n'étaient pas plus compliquées. A quoi bon approfondir ? […]

D'abord l'instinct de propriété, le vieil instinct paysan par lequel j'expliquerais volontiers toute la politique parisienne de la voiture. Le Parisien propriétaire d'une voiture doit pouvoir l'utiliser, et utiliser aussi le lopin de terrain parisien, route, trottoir ou place publique, qu'il est bien persuadé d'avoir acheté en même temps. Le droit de propriété le veut ainsi. Et cette colère pour une tôle froissée, l'atteinte sacrilège à la clôture d'un champ ! En somme, lisez Balzac, Tocqueville. Mais pourquoi pas aussi Descartes ? Comment ne pas retrouver sa vision mécanique du monde dans l'ingénieur en train de dessiner une machine compliquée, moins faite pour rouler que pour prouver l'intelligence supérieure de l'inventeur; ou encore dans le Parisien, plongé sous son capot, démontant et remontant pour le plaisir de bricoler ? Observons que le « bricolage » est, vers cette époque, un thème dominant de la sociologie de la « bagnole ». […]

Dans le Paris de ces années, il y a ceux qui conduisent et il y a les piétons, clients des transports en commun qui, si j'en crois un sondage de l'I.F.O.P., constituent en novembre-décembre 1954, 66 % des Parisiens adultes. Pour une fois, donnons un chiffre tant le chiffre importe à mon propos. Mais ceux qui conduisent se comportent encore comme des piétons, se croient encore piétons, sont encore tels, malgré les apparences, malgré ce caparaçonnage, cet emballage, ces carrosseries, ces roues indispensables et superflues. Des piétons, c'est-à-dire des Parisiens dont le plus grand plaisir est de parcourir inlassablement une ville qui est encore ville de piétons, comme la définissait Jules Romains au temps des Hommes de bonne volonté. Il se trouve seulement qu'en plus grand nombre qu'autrefois, ces piétons vont désormais en voiture, avec de grandes complications, de grands embouteillages pour la ville et pour eux de grands soucis. […]

Le décor, les voitures, les gens, une même sorte de plaisir : celui, même en voiture, de se sentir encore piéton. Seulement ce piéton-là occupe plus de place. Son plaisir de parcourir la ville finira par la détruire. D'autant que le plaisir de circuler dans la ville deviendra, par l'effacement progressif de la ville, le pur et simple plaisir de rouler, l'automatisme de l'automobile. « Il est certain que le passage fréquent des. voitures élargit les rues », écrit Hugo, au livre IV des Misérables. Enorme bon sens, propos de géant, avalanche de montagne et qui résume toute l'affaire. Le passage des automobiles élargit les rues. Ce faisant, il sacrifie les arbres dont la plupart d'ailleurs datent du temps où Hugo maniait sa plume cyclopéenne.

Et sacrifier les arbres c'est déjà sacrifier la ville. Et bien plus qu'on ne le croit.
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Conséquence essentielle jamais prise en compte de l'éventration des Halles : en coupant la langue à son ventre on a coupé le sifflet à Paris, son esprit a tourné ramollo, spongieux. Maintenant que Paris est fichu, que les émois du derrière et, ultime danger, les plaisirs de la table conduisent recta boulevard des Encéphalo-allongés, comment ne pas voir qu'ils nous ont doré la pilule avec leur progrès, leurs "trente glorieuses" et leur qualité de vie ?
Ah ! les vaches ... folles de prétention, que Chevalier envoie paître, pères fondateurs, énarques et assimilés, sûr d'eux-mêmes et dominateurs, qui, depuis quarante, bientôt cinquante ans, se sont arrogé le droit de "repenser Paris", de tout foutre en l'air.
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[ L’innovation ]

On peut lire en 1974, dans un livre sur l'innovation publié fin 1973, que « l'innovation est la principale activité d'une société moderne. 3 000 produits nouveaux apparus aux États-Unis pour la seule année 1970. Cinq sur dix des produits qui existent actuellement n'existaient pas il y a dix ans. Huit sur dix des produits qui existeront en 1985 n'existent pas aujourd'hui. Encore ces chiffres ne donnent-ils qu'un mince aperçu de l'effort d'innovation que connaissent aujourd'hui les sociétés industrielles... ». Mais de quels produits s'agit-il et sur quoi porte ce glorieux effort? « Pharmacie et cosmétiques, emballages, jouets, etc. » Pour un lecteur de 1974, l'énumération a quelque chose de bouffon. Mais à la fin de 1973, il semblait normal de publier ces énormités, tant la société de consommation apparaissait comme l'âge d'or de l'humanité et tant l'expression même de société de consommation semblait naturelle, satisfaisante, rassurante. Dans sa Critique du capitalisme quotidien, Michel Bosquet raconte l'accueil fait à Nader, en octobre 1971, par plusieurs journalistes français. « L'introduction des cosmétiques, avait déclaré Nader, nous a donné la mauvaise haleine, puis l'odeur des aisselles; puis « l'odeur corporelle » féminine (body odor); et maintenant celle des pieds. La publicité télévisée nous montre un mari les pieds sur la table. Sa femme passe et s'évanouit à cause de la puanteur. En quelques mois, on a ainsi créé un marché de 50 millions de dollars. » Là-dessus, objection d'un publicitaire : « Je viens d'étudier la question. Les études de marché révèlent que l'odeur des pieds des hommes incommode réellement les femmes. »
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Ce récit, on voit à peu près quand l'achever, quand faire tomber la « nuit ». Entre 1960 et 1968. En tout cas, les choses allant vite, bien avant Mai 68. La transformation est alors si avancée qu'il est bien difficile de ne pas voir dans la révolte des jeunes, entre autres choses, le refus de vivre dans ce milieu urbain nouveau , dans cette ville « nanterrisée » qui, par son ennui, sa laideur, sa bêtise, son béton, par l'asservissement auquel elle condamne, résume ce dont ils ont horreur. Fantastique retournement ! Paris vomi par les jeunes, après avoir été, pendant des siècles, leur paradis, la ville où ils accouraient de partout, persuadés d'y trouver tout ce dont ils pouvaient rêver, le plaisir, l'amour, la réussite, la gloire, en un mot la vie, le « vivre à Paris » de l'écolier du XIVe siècle. « A nous deux, Paris ! » Le changement est de taille. Il nous apprend en tout cas qu'en 1968 il fait déjà nuit noire.
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[ Le chewing-gum ]

Les histoires comiques du chewing-gum, de ce comique bien français dont la grande expression est la pantalonnade, ce sont par exemple les histoires de pantalons qui restent collés aux fauteuils des cinémas. Quelques vieilles ouvreuses, sœurs filandières de ces lieux obscurs qu'elles fouillent de leurs torches, racontent que ces pantalons au chewing-gum commencèrent de leur causer de gros ennuis il y a une dizaine d'années, à elles et aux maris parisiens qu'un billet de cinéma encore collé au derrière oblige d'avouer à leur femme qu'ils n'ont pas passé tout l'après-midi au bureau. On touche ici au drame.
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