Ce fort volume est tout, sauf une biographie du roi Louis XIV. Dans la mesure où ce personnage a dirigé un état monarchique, bien sûr, sa personne compte un peu plus que celle des autres dirigeants, mais jamais Olivier Chaline n'a eu l'intention, dans ce livre, de raconter la vie du roi. Lire ce livre, c'est plonger dans la vie du royaume de France depuis la montée sur le trône du jeune roi jusqu'à sa mort, après un règne d'une longueur peu commune. C'est mesurer, grâce à l'enquête minutieuse de l'historien, la vanité des jugements sur l'absolutisme et sur l'autoritarisme de la personne du roi. L'auteur confronte les intentions politiques de Louis, qui doivent tant à Mazarin, aux hommes et aux corps sociaux qu'il gouvernait, non à la manière d'un Staline (ce type de gouvernement ne lui serait pas venu à l'esprit), et aussi à ce que Louis rencontre en France : une société complexe, une économie précaire, toujours tributaire du climat, des groupes sociaux en concurrence, des coutumes tenaces d'indépendance, réalités avec lesquelles il compose, négocie, élabore sa politique.
Cette enquête, dégagée du biographique au sens strict (le lecteur intéressé par ce genre lira la remarquable vie de Louis XIV écrite par Jean-Christian Petitfils), est un excellent exercice de lecture, au moins pour deux raisons : la première, c'est la connaissance détaillée, concrète, que l'on acquiert de la France à la seconde moitié du XVII°s ; le second avantage est celui de la lecture de tous les bons livres d'histoire - dissiper les préjugés et les erreurs historiographiques les plus courants. Préjugés diffusés par l'école d'hier et d'aujourd'hui, par l'idéologie secrétée après 1789 et par les pédagogues contemporains au pouvoir, erreurs de perspective et anachronismes d'aujourd'hui, et pour finir, calomnies géniales et passionnées du plus grand mémorialiste de la fin du règne, le duc de Saint-Simon (qui rédigea ses Mémoires vers 1740). Républicains, laïcards, anticléricaux, grands seigneurs, et aujourd'hui journalistes et cinéastes ignares, contribuent à la fabrication de ce "roman national" ("roman" est le mot), construction fumeuse que la lecture d'un bon livre d'histoire permet de détruire. Voilà donc un gros livre salubre, une bonne lecture de décontamination.
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Excellente biographie, détaillée et très bien documentée. Se lirait presque comme un roman.
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Louis XIV n'a jamais cherché à imposer un total contrôle de la vie culturelle. Pendant une longue partie du règne, on peut remarquer, jusque dans l'entourage royal, une grande diversité intellectuelle, source parfois de vives tensions. Qu'on pense seulement à la présence des épicuriens (= libertins) : Pierre Dupuy veille sur la Bibliothèque du Roi depuis 1635, et le médecin Gabriel Naudé, à son retour de Rome où il a servi plusieurs cardinaux, est chargé de la Bibliothèque de Mazarin en 1642. Quant à La Mothe Le Vayer, substitut du procureur général du Parlement, il est même nommé précepteur de Louis XIV en 1652 puis devient membre de l'Académie Française.
(...)
Même à partir des années 1680, il est possible d'échapper à l'esprit de Versailles, car la cour n'a jamais étouffé la ville... A Sceaux racheté à la veuve de Colbert de Seignelay, après 1699, se constitue la petite cour de la duchesse du Maine, petite-fille du Grand Condé. Son époux, fort épris et admiratif, ne sait que faire pour satisfaire cette petite femme débordante d'esprit et d'initiative, y compris en politique. Elle ... organise une vie fastueuse et enjouée, ponctuée par les "grandes nuits de Sceaux". Conseillé et instruite par M. de Malézieu, précepteur de son époux, elle protège les poètes, cultive le théâtre, joue elle-même la comédie comme jadis Louis XIV. La mort de la pétulante duchesse de Bourgogne (1712) a signifié qu'on ne pouvait plus le faire qu'en marge d'une cour endeuillée. Mais pour qui veut, sans même quitter la famille royale et sa périphérie légitimée, les occasions ne manquent pas. La célébration officielle n'a pas fait disparaître des espaces de liberté parfois bien protégés.
p. 224-226
Ceux dont le roi est le plus proche, ce sont ses nobles et ses soldats. Ses évêques ont une culture et des usages qui lui échappent, même s'il les respecte et les écoute en partie. Avec ses nobles, surtout d'épée, il est dans son univers. Seule une historiographie acharnée à nous présenter un monarque soi-disant absolu abaissant la noblesse a pu faire oublier la similitude de goûts et de culture entre Louis et ses principaux courtisans. Ce qu'ils pouvaient lui dire et qui, par eux, parvenait au roi du reste du royaume, nous est à peu près inconnu. Il est davantage possible de se faire une idée des rapports, des dépêches que les secrétaires d'Etat lisaient au roi en provenance de leurs provinces respectives. C'est à travers la cour que Louis connaît les Français.
p. 93
Ce n'est donc pas l'Etat qui entend promouvoir le "grand renfermement" (des mendiants) dont parlait Michel Foucault, alors qu'il tente l'effort suprême, financier et militaire, contre l'Espagne (1656). Il se trouve impliqué dans l'Hôpital Général sans l'avoir recherché, même si dans les années qui suivirent la Fronde le pouvoir royal se préoccupe de chasser les mendiants des rues de la capitale. Cela signifie tout autant expulser les provinciaux qu'enfermer les Parisiens. Mais ce n'est pas encore un programme général d'intervention de l'Etat. D'ailleurs, Mazarin n'aime guère les dévots qui gèrent l'Hôpital général.
p. 547
Jamais encore l'Etat en France ne s'était attribué de telles compétences et n'était intervenu dans des domaines aussi variés. Bien des contemporains ont eu le sentiment de vivre une profonde altération de la monarchie. Pourtant, si nous comparons celle de Louis XIV avec d'autres puissances contemporaines, il faut bien remarquer que le roi de France n'a pas bouleversé les structures politiques de son royaume. Il ne se passe rien de vraiment comparable à ce qui s'est produit chez des monarques qui l'ont pris pour modèle. Les Français n'ont connu ni le service obligatoire, militaire ou civil, pour les nobles, ni le servage pour les paysans, à la différence de la Prusse du Roi-Sergent ou de la Russie de Pierre le Grand., même si le roi a gouverné sans l'accord d'un corps représentatif national comparable au Parlement d'Angleterre ou aux états généraux des Provinces-Unies. Il importe aussi de noter que toutes ces extensions de l'autorité royale n'ont pas été effectuées de propos délibéré. L'Etat a dû aussi répondre à des sollicitations et intervenir pour éviter un désastre financier dont il aurait subi les contrecoups. Il n'y a pas eu de plan préétabli ni de grand dessein. On ne peut pas non plus opposer une période colbertienne supposée réformatrice et novatrice à une fin de règne sclérosée, car la capacité d'intervention et d'invention est au moins aussi marquée à partir de 1695 que trente ans plus tôt.
pp. 562-563.
C'est encore à la personnalité même du roi qu'il faut revenir pour comprendre le progressif éloignement de Paris, qui sans cesser d'être la capitale, n'est plus la résidence de la cour. Il est d'usage de répéter que Louis XIV avait pris en grippe Paris et ses habitants à cause de la Fronde et que, pour cette raison, il alla s'installer à Versailles. C'est tout simplement oublier que le roi passe dans la capitale les premières années de son règne personnel. S'il avait été si hostile à Paris à cause de ses mauvais souvenirs politiques, il n'aurait eu que l'embarras du choix pour trouver une autre résidence (...) Les goûts de Louis XIV le portent vers la campagne. Le roi n'est pas un homme de la ville. Il lui faut de l'espace, de l'air, des fontaines et des pièces d'eau, des arbres et du gibier... Ce n'est pas la Fronde qui détourne le roi de Paris, mais la mort de sa mère. Anne d'Autriche est revenue mourir au Louvre le 20 janvier 1666. Louis XIV fut profondément marqué par cet événement et c'est lui-même qui écrit à l'intention de son fils dans ses Mémoires qu'il fut incapable de supporter de rester à l'endroit où sa mère venait de mourir. Il quitta alors le Louvre pour Versailles. Rien ne laissait encore soupçonner la portée de cette décision.
p. 259-260
A l'occasion du 25ème "Rendez-vous de l'Histoire" à Blois, Olivier Chaline vous présente son ouvrage "Apprendre la mer : au temps de la voile en France : XVIIe-XVIIIe s." aux éditions Flammarion.
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Note de musique : © mollat
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