–Qu’est-ce que tu fais dans la vie ?
–Moi ? Rien. Je réfléchis sur ce qu’est un sourire, un vrai sourire.
–C’est tout, rien d’autre ?
–Non, rien d’autre, mais ça me prend tout mon temps.
Les mains s'éclairent quand elles touchent un livre. Une petite chapelle humaine se dresse dont les limites sont celles du corps. Le vent qui tourne les pages le rafraîchit. Le livre refermé elle disparaît.
Peut-être que quand on pleure et qu'on sait pourquoi, ce ne sont pas encore des larmes. Les vraies larmes sont sans raison.
Plus personne n'écrit à la main. C'est pourquoi votre main n'a plus de lien avec votre cœur.
Les faussaires de la poésie sont les coucous de l'écriture. Ils sont nos pires ennemis. Je ne parle pas des mauvais poètes. Non : je parle de ceux qui prennent la défroque du poète pour mieux servir le monde. L'époque les multiplie.
J'écris un livre de guerre. Pas pour faire des morts, mais pour faire des vivants.
J'attends devant la table vide. Rêver, c'est se taire. Ce sillon de silence à mes lèvres est mon plus grand voyage.
p. 18
Nous passons notre vie à attendre quelque chose de mieux que notre vie. Nous passons, nous passons. Nous suivons le long bec de notre pensée en espérant qu'elle nous mènera loin d'ici.
Un château habité par des statues. Dans le parc une rose. Une seule. Elle se balance au vent des siècles. Elle est et elle n'est pas. Parfois une statue inquiète appuie son front contre une vitre du château pour mieux la voir. Son inquiétude vient un instant appuyer sa joue contre la joue de la rose et s'en trouve soulagée.
Une rose est un temple dont les murailles circulaires sont plus légères que l'air. Son parfum est un voile qui protège, au centre du temple, quelque chose qu'on ne sait bien nommer : le vide, l'amour, la perte – ou notre visage reconnu, rendu à nous-même.
Il suffit de s'asseoir auprès d'une fleur dormante ou mourante, c'est la même énigme.
pp. 54 & 117
J'écris à voix basse comme parle le lilas dans la nuit profonde et qu'il donne les dernières gouttes de son sang mauve. ... J'écris comme se cachent les bêtes éprises de leur fin, blessées à mort par la beauté de vivre.
Les yeux d'un homme qui pense se plissent dans l'extrémité de l'étang du regard, là où bruissent les roseaux d'un songe.
La vie nous longe.
Nos rêves informulés ne nous quittent jamais.
La petite cuillère, à peine creuse, contient pour ma joie l’abbatiale de Conques, le tilleul de la rue Traversière, la paresse d’une feuille morte traînant les pieds sur le trottoir, le bruit de nos pas dans Paris désert, le front bombé de la petite châtelaine de Camille Claudel, les alvéoles du pain de l’enfance, les éclairs du malheur et les moussons d’écriture – tout ce qui fut, est et sera.
pp. 15-6, 22 & 55
Je n'ai que mon cœur pour traverser la vie, rien d'autre que cette valise de réfugié en cuir rouge, cadenassée à la naissance.
p.14
J’écris à voix basse comme parle le lilas dans la nuit profonde et qu’il donne les dernières gouttes de son sang mauve. J’écris comme les étoiles qui planent en ignorant les dormeurs dans leur lit, les puissants à leur whisky, les morts à leurs soupirs. J’écris comme on rêve.