Né en 1963,
Mark Behr est né et a grandi en Afrique du Sud, il a écrit ce roman en africaans, qui a reçu de nombreux prix, et est désormais étudié comme un classique dans ce pays.
Ce roman d'apprentissage relate l'histoire d'un garçonnet âgé d'une dizaine d'années, qui grandit dans une famille blanche du Cap, auprès de sa grande soeur ado, de sa mère, prof de chant classique, et de son père, général haut gradé d'Afrique du Sud, en 1973.
Marnus reçoit une bonne éducation, assez stricte, respectueuse des bonnes manières, de la religion : il est entouré de parents aimants, qui inculquent à leurs deux enfants les valeurs du travail, de l'argent, et les écartent de la triche, du vol, du mensonge. Ils leur apprennent à aimer leur prochain. Bref, de belles notions qui font que l'on se met à apprécier cette famille « bien » et « bien rangée ».
Tout ceci s'entrechoque avec les idées et le mode de vie raciste qui règne en cette période d'arpatheid, et dans cette famille. La mère de Marnus l'appelle notamment avec affection son « petit négrillon ». Son père, qui reçoit un général chilien venu soutenir le régime, tient des discours extrement frappants :
P 105 : » Papa raconte au général que le monde entier est ligué contre l'Afrique du Sud parce que nous avons tout l'or, tous les diamants, et tous les minéraux. [...] Il dit que le monde se cache derrière cette histoire de Bantous, mais nous, au moins, nous n'avons pas tué tous nos Noirs comme les américains ont tué leurs Peaux-Rouges et les Australiens leur Aborigènes. [...] Papa dit qu'un des problèmes, c'est que les meilleurs noirs ont été pris par les marchands d'esclaves. le sang qui est resté en Afrique est le sang des Noirs les plus stupides – raison pour laquelle on ne peut trouver nulle part un Noir bien éduqué. A-t-on jamais entendu parler d'un Bantou qui aurait inventé qqchose comme le téléphone, la roue ou le moteur à explosion ? Non.Papa dit que c'est parce que les Noirs les plus intelligents et les plus forts ont été expédiés en Amérique. »
Cependant, on n'arive pas à détester cette famille ! En effet, ces relents racistes n'empêchent aucunement à la mère de faire preuve de sensibilité et de compassion, notamment lorsqu'elle apprend que le fils de Doreen, la bonne, a été gravement brûlé par des blancs en représailles d'un vol de charbon. Finalement, dit la mère, « c'est une chose horrible pour qui que ce soit ».
Et lorsque l'on se met à apprécier ces moments de bonté, on s'aperçoit que le système d'apartheid reprend vite le dessus : personne, hormis la soeur, ne connait le nom de famille de Doreen, la bonne au service de la famille depuis de nombreuses années. Et ces moments terribles sont toujours contrebalancés : par exemple, lorsque que sa fille se moque de jumeaux qui sont moches, elle réagit vivement et insiste pour expliquer « qu'on ne doit jamais juger les gens sur leur apparence. Elle dit que Maria Callas était une bien meilleure soprano quand elle était grosse comme un éléphant qu'après, quand elle s'est mise à ressembler à un Biafrais affamé. Ce qui prouve que les apparences peuvent être extrèmement trompeuses. Si seulement le monde pouvait accepter ça, ce serait un bien meilleur endroit où vivre. » (p.192)
le personnage de la grande soeur, Ilse, est particulièrement attachant : intellectuelle, sportive, que son frère jalouse un peu, se pose de plus en plus de questions quant à l'éthique de son pays, et partage de moins en moins le point de vue de ses parents ; elle reste cependant bien obligée, par respect pour son père et par éducation, de s'incliner
Le texte est entrecoupé de passages en italique, correpondant à la narration de Marnus devenu jeune militaire lieutenant durant les années 88, pendant les grèves, les violences, les lock-out et la guerre civile avant la fin de l'apartheid.
Un moment est particulièrement touchant p183, lorsque Marnus est en pleine guerre, et discute avec un Noir qui appartient à ses troupes : « – Pourquoi est-ce que vous êtes là ?ai-je demandé, et, un peu surpris, il s'est retourné. Il m'a regardé avec un air troublé comme si j'étais devenu complètement fou.
« Je vous demane pourquoi vous êtes ici …en Angola ?
J'avais cesé de me demander pourquoi il se battait contre sa propre liberté. J'attendais sa réponse, j'attendais de l'entendre dire que la conscription, pour eux, c'était une solution économique, qu'il était ici uniquement parce qu'il était incapable de trouver un boulot décent à cause du système. Il a fini par hausser les épaules et dire :
« Pour faire la guerre, Capitaine, Nous ne sommes pas comme les Cubains qui prennent des femmes pour combattre. ce sont les hommes qui doivent faire la guerre. »
Je lui ai souri et j'ai dit : « Ja…Dieu sait…vous autres, Noirs, vous pourriez bien finir par être comme ces foutus Blancs. »
Il m'a regardé pendant un moment et puis il m'a demandé : « A qui d'autre pourrions-nous ressembler, mon Lieutenant ? ».
Alors qu'il s'éloignait dans le crépuscule, j'ai observé son dos étroit sous l'uniforme et son cou noir avait l'air, de façon inattendue, très vulnérable. »
Marnus, encore trop jeune pour se faire sa propre opinion, a beau écrire ses rédactions qui transpirent le racisme, qui le rendent fier, ainsi que ses parents, et a beau être certain que Noirs et Blancs ne partagent pas le même sang, on ne peut pas lui en vouloir, on s'attache à ce petit bonhomme généreux, car c'est son environnement, issu d'une longue tradition on l'on différencie Blancs et Noirs, riches et pauvres, qui le façonne. Au travers du regard de l'innocence de l'enfant, on découvre les indices quotidiens de l'apartheid : traitement séparés dans les hôpitaux, dans les écoles, etc… le contraste entre les idées racistes de cette famille et ses valeurs morales est assez dérangeant et saisissant. C'est le portrait d'une famille en apparence normale mais complètement dans la réalité de l'apartheid. C'est tout le paradaoxe de la nature humaine… Ce roman oblige à se poser des questions sur ce que nous aurions été à leur place. C'est bouleversant de découvrir de l'intérieur ce régime. On compatit avec cet enfant qui voit aussi ses certidudes ébranlées. C'est le début du ver dans la pomme qui va entraîner les questionnements de Marnus. Texte très puissant, difficile de s'en remettre.
Très gros coup de coeur.