Mr. Gwyn a pris une décision, ou plutôt 52. 52 résolutions qu'il a décidé de rendre publiques par un article dans The Guardian. Tout le monde croit à un exercice de style (normal, c'est un écrivain) mais
Mr. Gwyn ne plaisante pas, surtout quand il annonce qu'il n'écrira plus de livres. La raison de sa détermination n'est pas très claire. Elle lui apparaît cependant comme une évidence, une révélation. Jasper Gwyn était peut-être jusque là un écrivain sans conviction dont la facilité à écrire et un certain succès lui avaient masqué cette réalité. J'ai apprécié la sincérité de la démarche, me suis dit que cela faisait un joli contrepoint au personnage-écrivain de l'affaire Harry Quebert où tout ce qui gravite autour de lui ne sonne que ventes, fric et contrat.
C'est une chose de savoir ce que l'on ne veut plus faire mais c'en est une autre de savoir à quoi l'on va désormais consacrer son temps libre et, au bout de quelques semaines, Mister Gwyn va sérieusement pédaler dans la semoule (à croire que l'Homme n'est pas fait pour l'oisiveté, si, si) ce qui, avec le talent d'
Alessandro Baricco donne une crise existentielle finement décrite. En fait, c'est l'acte d'écrire qui lui manque, à tel point que notre écrivain repenti songe à devenir copiste. A peine étais-je en train de l'envisager tel un moine dans le scriptorium, assidu à sa tâche que l'auteur m'a fait comprendre que ce ne serait pas ce genre de copiste. Trop convenu, trop facile. L'inspiration trouvée dans une galerie d'art le décidera à écrire des portraits (et là, je pose une question sans doute naïve, pourquoi l'auteur s'est-il arc-bouté sur ce terme de "copiste" qui selon moi ne correspond pas à l'acte créatif dans lequel il se lance finalement ?). Quoi qu'il en soit, voilà Jasper Gwyn à nouveau fort déterminé et qui porte un soin minutieux à créer son ambiance par le choix du local bien sûr mais aussi du "sons-et-lumières". La réalisation de la bande sonore est particulièrement originale (on devine toute l'expertise de Baricco en matière de musicologie). Quant à celle de l'ambiance lumineuse, c'est véritablement un petit bijou. Rendre poétique une ampoule électrique n'est pas donné à tout le monde,
Alessandro Baricco y parvient. Je pourrai conseiller ce livre, rien que pour ça.
L'ex-écrivain-copiste-portraitiste réalise donc son premier portrait, dans des conditions que je ne dévoilerai pas, avec pour modèle, Rebecca, l'assistante de son ami et agent, Tom.
J'ai beaucoup aimé le personnage de Rebecca qui humanise un peu toute cette histoire car avec
Mr. Gwyn, on reste plutôt confiné dans le domaine poétique et créatif (même si son sujet d'étude est l'humain) mais les sentiments coincent un peu tout de même. J'aurais vraiment apprécié que l'auteur incorpore dans son roman le portrait de Rebecca par Gwyn, notamment parce que j'aurais mieux compris de quoi il s'agissait (ne pas s'attendre à un portait sous forme classique, dans ce livre, les ampoules électriques ont un nom, c'est dire). Certes, il l'explique mais selon moi, cela reste un peu théorique.
Un roman qui nous installe au coeur d'un processus d'écriture, qui questionne avec intelligence et originalité ce qui fait sens pour un écrivain, en l'occurrence, une quête pour établir un être humain dans sa sincérité la plus limpide.
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