Voici une adroite comédie qui au-delà d'une évidente légèreté nous plonge dans l'Angleterre de l'époque Géorgienne, ses moeurs et la condition des deux sexes qui y évoluent.
Par ces seuls mots: « Orgueil » et « préjugés », pratiquement tout le fondement de l'ouvrage est établi, et je ne m'amuserai pas à en faire un énième résumé mais juste à évoquer l'histoire de cinq soeurs d'une famille de la gentry modeste qui faute de pouvoir hériter du bien paternel se voient presque contraintes à épouser de beaux partis sans qu'elles le veuillent vraiment, plus attachées qu'elles sont, à la noblesse des sentiments.
Mais ce qui fait la grande beauté de ce texte c'est le style de
Jane Austen, un style d'une fraîcheur intense qui n'a pas vieilli d'un iota. Un style extrêmement vivant.
Au fur et à mesure que je lisais et que je souriais souvent, car les personnages sont truculents, je me demandais pourquoi ce texte semblait si vivant.
Oh je sentais bien quelque chose de peu conventionnel, de presque dérangeant, comme une bousculade, une vague qui m'incitait à lire sans relâche.
Et puis, de temps en temps, lorsque, malgré tout l'attention se dissipe un peu, l'obligation de revenir un peu en arrière pour reprendre le fil.
C'est comme cela que j'ai compris que Jane nous fait vivre les dialogues d'une façon extrêmement originale et libre sans verbe d'introduction, sans distinction nette entre les propos échangés par les personnages et les propos de la narratrice.
Alors, oui, cela donne parfois une confusion, un flottement, mais c'est d'une telle énergie, d'un tel pétillant !
Plus tard, j'ai appris que l'auteur était une spécialiste de ce qui se nomme le style indirect libre.
Au-delà de l'histoire elle-même et de la vivacité du texte, une réflexion doit se faire sur la modernité des propos de l'ouvrage qui date tout de même du tout début du XIX° siècle :
A cette époque de plénitude de l'empire britannique, toute relation sociale était dictée par l'orgueil et les préjugés ; L'orgueil des classes dominantes, essentiellement par l'argent ou la naissance, qui vont souvent de paire.
Mais qu'en est-il de nos jours ?
La noblesse, petite ou grande est aussi anecdotique que le sont les rentiers. Tout le monde travail et, de ce fait, l'orgueil et les préjugés sont allés s'installer ailleurs, de façon tout aussi vile et stupide, ne s'appuyant plus sur la naissance ou les alliances mais sur la hiérarchie sociale liée au monde du travail et à ses misérables pouvoirs.
Au delà on voit bien que c'était et c'est toujours l'argent qui détermine la façon dont l'un, tout enorgueilli, regarde et préjuge l'autre.
Finalement la différence c'est qu'à présent l'hypocrisie des hiérarchies fallacieuses, a recouvert cette stupidité de sa propre couche.
Au moins les personnages de la gentry géorgienne de
Jane Austen, comme l'étaient sans aucun doute les petits nobles du premier empire, sont, eux, d'une pureté de caractère et d'une droiture des plus louables. Et là se trouve encore une facette de l'auteur qui grâce à son style concis au vocabulaire sans ambigüité, réussit à faire passer cette « noblesse » du caractère.
Donc un excellent roman sentimental et une satire des moeurs géorgiennes qui n'a guère vieilli et reste des plus vivants.