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    nathanaellebabelio il y a 3 semaines

    Bonjour à tous.tes !

    Me voilà de retour avec le nouveau défi littéraire de mai 2024. Ce mois-ci, je vous propose d'écrire autour du thème « Sous le chapiteau ».

    Sous le chapiteau, des artistes, des lumières, des rires, de la musique... Émerveillement et peur se côtoient dans ce temple du cirque. Sur les bancs en bois au milieu de la paille, des histoires se racontent et des cœurs se rencontrent. Les artistes nous emportent dans le monde du rêve pendant quelques heures, puis reprennent la route dans leurs maisons mobiles. Saurez-vous raconter ces moments où le spectacle sublime la réalité durant un bref instant ?

    Petit point sur les règles pour ce défi du mois de mai : il prendra fin le 31 mai à minuit, la taille et le format de vos écrits sont libres et nous ne prendrons en compte que le premier texte que vous publierez ci-dessous. Le gagnant ou la gagnante remportera un livre.

    Prenez vos stylos et en scène !

    À bientôt,

    Nathanaëlle



    Verteflamme il y a 3 semaines
    Bonjour et merci pour ce sujet ! 
     Voici ma soumission : 

    Mes tribulations de respectable et riche hongrois allant un soir au cirque Tzigane. 

    Le cymbalum sévère, doux et joyeux, roule et égrène des notes avec une telle agilité qu’on peine à croire qu’il les récite. D’ailleurs peut-être est-ce une improvisation. Et puis la musique reprend une coloration de fanfare, avec ces carrousels, ces rythmes démesurés. La csardas suit le tout et les corps sur les trapèzes dessinent des figures géométriques. Non des bras ou des jambes, mais des corps, qui s’enroulent autour d’eux même et composent une nouvelle matière colorée. Alors, je me pris à rêver. A mesure que les cordes frottées rivalisaient de hauteur avec les artistes, mon cœur luttait contre la gravité, alors qu’une nouvelle force semblait l’entraîner haut. En cette fin de dix-neuvième siècle, moi, M. Ferenc Nagy, industriel dans la chaussure, je sentais que le violon me défiait et me narguait. Il voulait m’entraîner haut, moi qui fournissais les soldats (c’est moi qui avais eu l’idée de me lancer dans la guerre, et cela nous avait réussi). Moi qui n’aimais que le son du sol battu par de régulières bottes. A part celle des clowns, dix fois trop grandes, les Tziganes sont de véritables va nu pieds ! La coloration rêveuse, moqueuse, joyeuse, et envoûtante s’opposait ainsi à la mienne, anthracite et sérieuse. J’avais pris de bonnes décisions, je pense, pour l’entreprise. J’avais liquidé des concurrents. J’avais viré le nouveau qui voulait que l’on vende des chaussures bon marché, pour que tous puissent se chausser. Et bien sûr, il y avait la question des soldats. Et voilà que je me mettais à apprécier, pire, à déguster, ce spectacle de Tziganes ! Que m’arrivait il ? Serait-ce de la sensiblerie ? Un jour, à Budapest, j’avais vu au musée ce tableau de Mukascy, le dernier jour d’un condamné. Il me toucha peut-être un peu, je dirais même trop, alors je me mis à rire et clamai : trop de misérabilisme ! Petra Nagy, ma femme, fut choquée, avec son cœur et son intuition si féminins. Mais voilà que le spectacle reprend, que l’entracte est fini ! Et les boules enflammées me coupèrent le souffle, alors que le feu et sa fumée suintaient au son du cirque. Et voilà que le feu devient vert ! J’en oublie les chaussures et les va nu pieds, les Tziganes et les gens respectables. Je me fonds dans un instant qui ignore la concordance des temps de notre si belle et unique langue hongroise. En fait, à mesure que les flammes vertes signent d’une encre qui ne peut que fasciner, je me retrouve à applaudir, à acclamer, à me fondre dans la foule. Et d’autres numéros succèdent. Pour finir par une loterie. Je ne remporte pas le gros lot, mais un coussin brodé, où l’on voit des femmes en costume traditionnel. C’est grossier, c’est paysan, ça a le charme de la simplicité, du simplisme, de l’enfance. Et au sortir du chapiteau, je salue de la tête un de ces Tziganes, j’ôte mon chapeau devant cette tête nue. Je crois bien qu’un peu de mes préjugés m’ont quitté. Car s’ils nous subjuguent, c’est comme une chaussure confortable : on n’imagine pas la technique acharnée pour l’obtenir. Il ne faut pas croire que ce sont des magiciens irrationnels, ils travaillent patiemment, et outre ma femme Petra j’ai un amour : le travail bien fait. On attend d’une chaussure qu’elle chausse, et d’un spectacle de cirque qu’il nous captive. Mais ce spectacle m’a trop captivé, et j’ignore comment sortir de cette prison céleste. Alors, je pris une décision. Je ne pouvais pas faire semblant, mais j’allais fourrer ce spectacle dans une boîte : plaisir coupable. Voilà. Je suis Ferenc Nagy, homme respectable, industriel à la pointe du marché de la chaussure, doté d’un talon d’Achille : mon amour secret pour le cirque, qui plus est Tzigane. Alors j’écris ces lignes, et bientôt je les déchirerai et les jetterai. Et enfin, la nuit portant conseil, je retrouverai mon sérieux habituel.

    « Ah te voilà, me dit Petra. Mais quel est ce beau coussin ? Et pourquoi rentrer si tard ? Les affaires l’exigent, j’imagine.

    (Heureusement, je m’y étais préparé).

    -Oui, en effet. Et ce soir, un collègue va partir en retraite. Alors il nous a offert ces bribes paysannes. »

    C’est un mensonge. Un mensonge que l’archet du violon et le bruit des bottes couvriront bientôt. J’ai une préférence secrète pour l’archet, mais l’honneur exige les bottes.
    JCRTigre il y a 3 semaines
    Salut mes fans de tout horizon. 
    Voici ma contribution qui émoustillera vos p(u)(a)pilles.

    Chapiteau Nocturne.

    Dans les rues sombres de New York, c'était moi, JCVD, marchant main dans la main avec Julia. Ses deux jolis roberts étaient dessinés sous son t-shirt moulant, attirant tous les regards comme dans un de mes films d'action. Les pavés sous nos pieds résonnaient comme les coups que j'ai portés dans "Double Impact", tandis que les enseignes clignotantes illuminaient la nuit comme les projecteurs sur un plateau de tournage.

    Soudain nos loin de Central Park, un chapiteau immense est apparu devant nous, se dressant tel un adversaire redoutable. Ses tentures rouges turgescentes comme le sang brillaient sous les lumières de la ville, me rappelant les décors grandioses de mes films d'action les plus épiques.

    Julia s'est arrêtée, ses yeux dorés brillant comme les étoiles, fixés sur cette structure incongrue.
    - Qu'est-ce que c'est ? ai-je demandé, me sentant comme le héros d'un de mes propres films.

    Elle haussa les épaules, son regard aussi perçant que mon coup de pied circulaire.
    - Je ne sais pas, mais ça semble être le lieu d'un grand combat, n'est-ce pas ? dit-elle.

    L'air était chaud, mec, et un léger souffle parcourait le bas de mon ventre. La dernière fois que j’avais ressenti cette sensation, c'était comme dans le film "Cavale sans issue", tu vois, courant à travers les champs sans savoir où j'allais atterrir.

    J'ai hoché la tête, ressentant l'adrénaline monter en moi, comme lors d'une scène d'action explosive. Un grand combat dans un chapiteau ? C'était comme le scénario parfait d'un de mes films.

    Nous nous sommes approchés, la porte du chapiteau s'ouvrant devant nous comme les portes d'une nouvelle aventure. À l'intérieur, une ambiance électrique nous a enveloppés, comme dans une scène de combat finale. Des gémissements de la foule résonnaient dans l'air, mêlés aux battements de tambour comme dans mes scènes de suspense les plus intenses.

    Le spectacle a commencé, les combattants s'affrontant sur le ring avec la même intensité que dans mes films d'action les plus épiques. Des acrobates tournoyaient dans les airs. Ils montaient et descendaient comme des ninjas et des animaux sauvages aiguisaient leurs griffes dans leurs cages telles des bêtes féroces. Cela me faisait mal. Je ne comprenais pas.

    Plus le spectacle avançait, plus je sentais quelque chose d’étrange se profiler. Les combats semblaient irréels. On se serait cru dans un direct-to-video de Steven Seagal. Et les regards des spectateurs... ils étaient froids, dénués d'émotion. Malgré tout je sentais venir une forte chaleur et un sentiment de relâchement aussi puissant que le cri de la victoire dans "Bloodsport".

    C’est alors que la lumière au plafond s’est faite de plus en plus intense. Mon corps entier transpirait. Je reconnaissais la chambre d’hôtel luxueuse donnant sur Central Park. En baissant mon regard je découvris sous les draps, remontant le long de mon corps, Julia, les lèvres encore humides. Elle m’embrassa puis se lova contre mon corps musclé laissant retomber le chapiteau.
    Sflagg il y a 3 semaines
    Salut !

    Voici ma contribution à ce sympathique défi sur le cirque.

    Plus d'animaux sous le chapiteau :

     
     Ce vendredi soir de début mai, le lieutenant Nick  Talope et sa femme Aurore, la lumière de sa vie, étaient de sortie.
     Le cirque s'était installé en ville pour une quinzaine de jours. Il avait posé son chapiteau et ses roulottes dans le parc, autour du lac.
    L'affiche annonçait : La fabuleuse Madame Loyale Barbie Chette, la femme à barbe belge ; les acrobates nains venus d'Irlande, Thomas Putienne, dit petit Tom, et sa femme Lilie Putienne ; les frères Gusse, Lugus, Jagu et Jegu, les clowns bretons ; le dompteur de fauves turc, Yabani Kedi ; le duo franco-russe Jeannot et jonquille Zhongler, les jongleurs et lanceurs de couteaux ; et, clou du spectacle, le magicien local, Abraham Cadabra.
     Pour une fois, notre lieutenant ne s'étonna pas qu'ils aient tous des noms en rapport avec leur métier.  Après tout, on était dans un cirque. S"il avait su...
     Ils étaient accompagnés de l'inspecteur Hall Ogéne lui-même venu avec sa femme et ses enfants. Et devant la porte, faisant la sécurité, se trouvaient l'inspectrice Mio Pee et les agents Paula Roïde et Alain Pacherie, un stagiaire qui n'était là que pour un mois. Nick s'étonna de son patronyme qui pour une fois semblait n'avoir aucun lien avec le lieu où ils se trouvaient. Il ne savait pas alors qu'Alain Pacherie était l'homonyme d'un patron de cirque célèbre.
     S'ils avaient mis en place un service d'ordre, c’était à cause de l'association animaliste E404 qui manifestait sa désapprobation de l'utilisation d'animaux dans les cirques en scandant des slogans du genre "PLUS D'ANIMAUX SOUS LE CHAPITEAU !"

     À l'intérieur, la foule s'amassait déjà sur les gradins.
     Au premier rang il y avait tout le gratin. Notre bon maire, Merry de Direito, sa femme et bien sûr sa petite reine chérie de fille ; sa principale opposante, Elvira Gocho et sa compagne ; le Saint patron de Talope, le commissaire Michel Martin ; et bien d'autres pontes et notaires qu'il sera bien temps de présenter un autre jour.
    Derrière, la masse des moins importants et des illustres inconnus, figurants de ce grand barnum qu'est la vie, surtout celle de cette ville, faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour se faire remarquer et avoir leur quart d'heure de gloire, une vraie ménagerie. Mais aucun n'ayant de nom rappelant le cirque, ce n'était pas aujourd'hui qu'ils se retrouveraient au centre de la piste.
     Ce fut justement à ce moment que rentra dans l'arène en trottinant, Barbie Chette, la Madame Loyale à barbe, l'air paniquait. Elle se précipita vers le Saint patron avec qui elle entretint une courte et animée conversation. Sur quoi le commissaire fit signe à son lieutenant de les rejoindre. Les animaux du cirque avaient disparu !

    Le lieutenant Nick Talope prit alors l'affaire en main en déléguant à ces hommes le soin de faire les premières investigations. Mio et Paula se chargeant d'interroger les membres de l'assos animaliste qui se trouvaient en tête des suspects. Hall et Alain s'occupant quant à eux de prendre les dépositions des employés, les principaux témoins.
     Pee et Roïde ne s'embêtèrent pas à jongler avec tous les manifestants et allèrent direct vers la cible principale, la dirigeante et créatrice de l'association E404, Annie Maux. Elle était virulente et en joie en apprenant la nouvelle :

    "On a volé les animaux ? Bien fait pour ces exploiteurs, ces esclavagistes. PLUS D'ANIMAUX SOUS LE CHAPITEAU ! On nous a enfin entendus. Et bien sûr on est les premiers suspects ? Regardez mes amis, comment on traite ceux qui veulent protéger la vie, alors que l'on protège ceux qui la maltraitent. PLUS D'ANIMAUX SOUS LE CHAPITEAU ! Eh bien non ! même si on y a pensé et que l'on ne va pas se cacher que l'on est bien contant que cela soit arrivé, on y est pour rien ! Je peux vous affirmer que tous les membres de notre assos sont ici présents et que donc aucun d'entre nous n'a pu commettre ce sauvetage. PLUS D'ANIMAUX SOUS LE CHAPITEAU ! OK ! Mais en respectant les lois. Nous ne sommes pas des criminels, nous !"
    La suite étant du même acabit et n'apportant rien de plus à notre enquête, nous la passerons.

     En retournant sous la tente centrale, L'inspectrice demanda à sa subalterne :

    "Cette Maux, Roïde, vous en avez pensée quoi ? Vous croyez qu'elle nous dit la vérité et que son collectif n'a vraiment rien à voir avec cette disparition ?
    — Je ne serais dire ! Elle est douée pour la parlote et assez agressive dans ses propos envers le cirque, mais de là à kidnapper des animaux, j'en doute.
    — Mouais ! J'aurais tendance à penser comme vous. Ils font des suspects trop évidents."

     De leur côté, Ogéne et Pacherie commencèrent leur investigation en interrogeant le dompteur Yabani Kedi qui n'avait rien à dire, n'ayant pas quitté sa roulotte de la soirée, il n'avait rien pu voir.
    En suite, ce fut au tour de Barbie Chette, mais ils n'en apprirent pas plus, sauf que sa barbe était postiche. Ils la questionnèrent alors qu'elle l'avait retirée. À la vérité, elle était vraiment barbue, mais pas folle, et donc se rasait pour pouvoir se balader sans attirer tous les regards et les moqueries.  
     Ce fut à ce moment-là que les interpella Abraham Cadabra.
     
     Abraham Cadabra était rabbin professionnel et magicien amateur, mais surtout habitant de la ville et donc n'appartenant pas à la grande famille du cirque. S'il se produisait ce soir-là, c'était que le magicien habituel était malade et donc alité, et qu'il avait demandé au rabbin, son ami et élève illusionniste, de bien vouloir le remplacer :

    "Moi, j'ai vu quelque chose. Un homme, pour être plus précis, qui partait vers le lac avec les animaux.
    À quoi répliqua Hall :
    — Je crois que l'on tient enfin notre poisson, Pacherie."

     Décidément nos deux inspecteurs s'étaient donnés le mot pour jouer les acrobates verbales.

     Ils se précipitèrent alors prévenir le lieutenant Talope qui, une fois réunie toute son équipe, se dirigea à son tour en direction du lac. Et ce fut sur le chemin que se résolut cette affaire qui n'en était en fait pas une.
     Effectivement, ils tombèrent, chemin faisant, sur les animaux et un personnage que tous avaient oublié. Il faut dire que ce n'était qu'un homme de l'ombre, une petite main. Juste celui qui s'occupait de la ménagerie, l'insignifiant, mais pourtant indispensable Ross Abou Glione, un drôle de numéro.
     Il expliqua alors, tout penaud du bazar qu'il avait mis, qu'il s'était dit que les animaux ayant soif, il était plus pratique d'aller les faire s'hydrater directement au lac. En plus, ça les faisait bouger un peu, ce qui ne pouvait pas leur faire du mal.
     L'enquête étant finie, le lieutenant put enfin se distinguer en concluant :

    "Tout ce cirque sous le chapiteau, juste pour que les animaux puissent avoir de l'eau ? Et bien monsieur, je ne vous en tire pas mon chapeau !"

    Fin !

    S.Flagg !!

    Bonne chance à tous !

    Et maintenant je vais me pieuter, car on a beau être samedi, il y en a qui bosse dans quelques heures. La nuit va être courte.

    A+ !!
    franceflamboyant il y a 3 semaines
    BABELIO
    MAI 2024

    Sous le chapiteau, ils s'étaient produits des années durant et avaient rencontré le succès. Rien, au fond, ne les y prédisposait. Leur père était le patriarche, Shimon Eizik Ovitz. Il était originaire du nord de la Transylvanie, ce qui correspond à l’actuelle Roumanie. C’est un rabbin certes mais un artiste aussi ; un artiste dans l'âme. Il s'était marié deux fois et à chacune de ses épouses lui avaient donné cinq enfants. Pourquoi sept d'entre eux étaient ils atteints de nanisme ? Il n'en savait vraiment rien. Ces enfants là ne pourraient jamais prétendre à une vie sédentaire. Qui voudrait d'eux comme commerçant, comme paysan ? Il leur restait la vie artistique et, dès qu'ils le purent, ils fondèrent une troupe de saltimbanques. Ils avaient appris à jongler, ils savaient faire rire et pleurer et ils avaient un don pour la scène :ils se mirent en route. Ils formaient un clan et se sentaient forts. Roumains d'origine, ils se produisirent dans toute l’Europe centrale. Ils chantaient et jouaient de la musique sur de tout petits instruments. Ils étaient aussi comédiens et le succès couronnait leurs efforts ! Peu importait si on ne les comprenait pas toujours, ils plaisaient ! L'émerveillement et la peur se côtoyaient dans ces temples qu'étaient l'arène du cirque ou la scène d'un théâtre de rue. Sur les bancs en bois au milieu de la paille, des histoires se racontaient et des cœurs se rencontraient. Ils emportaient tout un chacun dans le monde du rêve quelques heures durant puis ils reprenaient leur route dans leurs maisons mobiles que tiraient des chevaux. Ils étaient les Ovitz : leur réputation les précédait.

    En 1940, cependant, ils comprirent que ça ne suffirait pas. Certes, leur troupe s'était agrandie puisque le reste de la famille avait décidé de les suivre sur les routes. Il fallait bien des machinistes, des hommes à tout faire et dans ces cas-là, mieux valait avoir une taille normale. Oui, mais voilà, c'était la guerre. Les lois raciales avaient été promulguées. Le cirque, le théâtre de rue ? Comment pouvait-on encore trouver « sublime » le spectacle de ces gens de petite taille qui poussaient la chansonnette, jouaient d'un violon ou d'une guitare minuscule ou se trémoussaient pour faire rire le spectateur ? Non, ces gens là étaient des dégénérés. Ces gens de l'est, ces slaves était jugés inférieurs par l'ordre nazi mais ils pouvaient vivre ; pas les saltimbanques surtout si, de surcroît, ils avaient pour père un rabbin ! Il fallait les empêcher de travailler, en attendant mieux...Et de fait, les Ovitz étaient devenus des marginaux, ce qui ne les avait pas empêché de se produire. Jusqu'en 1944, ils avaient continué de sillonner les routes et d'assurer des représentations. Ils avaient rebaptisé leur troupe. Ce n'était plus « Le grand cirque Ovitz » mais « Les Lilliputiens ». Bon, ceux qui voudraient comprendre comprendraient. Les Lilliputiens étaient les habitants de Lilliput, la ville imaginaire de Jonathan Swift dans « Les Voyages de Gulliver » ils vivaient dans un monde très bien organisé...Évidemment, il n'y avait plus de joli chapiteau rouge et blanc, d'arène sableuse et de gradins. Aucune hôtesse vêtue d'une robe brillante ne vous aidait à vous installer et à l'entracte, on n'achetait plus de petits objets « magiques » ou des boissons colorées. Mais de petite ville en village et d'un pays à l'autre, les Ovitz avaient continué de faire vivre l'art du cirque. La musique allait bon train, on chantait, on dansait, on jouait la comédiens...Un lapin sortait d'un chapeau, un pigeon s'envolait. La guerre était abstraite le temps d'une représentation, les arrestations aussi et le piège de la déportation qui, en Europe de l'est, paraissait de plus en plus probant. Les femmes et demoiselles Ovitz riaient et tournoyaient. Les hommes, plus ou moins jeunes, faisaient vibrer les cuivres et les cordes. C'était l'Europe des saltimbanques qui était là et c'était la magie du cirque. Chacun des Ovitz le savait. Ils étaient dépositaires d'un espace de liberté, de poésie, de magie. Eux, dont la taille était minuscule, savait donner du rêve à ceux qui avaient tant besoin. Sur les gradins d'un petit chapiteau élevé à la hâte ou sur les pauvres chaises d'une pièce de maison transformée en salle de théâtre, les spectateurs avaient faim, ils le savaient. Ils avaient peur aussi. Une dénonciation, une descente de miliciens et c'était fini. L'occupant nazi ne se donnait pas la peine d'opérer lui-même : on collaborait dans tous les pays. Y compris en Roumanie où la petite troupe était de retour après un long périple. Le 14 mai 1944,le signal de la curée fut donné. Il y eut une grande rafle, un enfermement dans la synagogue puis un camp de transit. Et enfin, un transport vers la Pologne. Seuls les nains voyageaient  et ils étaient sept; les autres membres de leur famille qui travaillaient avec eux, avaient été séparés d'eux et ils ne savaient ce qu'ils étaient devenus. Une fois arrivés dans le camp de concentration le plus gigantesque qui se puisse voir, ils ignoraient bien sûr que ce même camp deviendrait pour les générations à venir, le symbole de la barbarie humaine et celui de l'holocauste mais la peur s'était emparée d'eux. Curieusement, ils ne participèrent pas aux scènes monstrueuses dont ils furent témoin car un gradé allemand leur jeta un regard inquisiteur, un autre une œillade intéressée puis, suite à un coup de fil, on les guida vers un hôpital. Les femmes tentaient d'enlever la paille qui s'était glissée dans leurs cheveux et de lisser leurs jupes ; les hommes, voulant paraître protecteurs malgré l'horreur de la situation, tentaient de se tenir droit. Chacun pensait que si mourir rapidement tenait à la petitesse de leur taille, ils ne verraient jamais le docteur qui tenait à les rencontrer. C'était sûr, ils étaient déjà morts mais ce n'était pas si grave. Ce qu'ils avaient entrevu quand ils étaient aux portes de l'Enfer, laissaient entrevoir des sévices et des supplices bien plus aptes à provoquer la mort lente...Mais leurs réflexions s'interrompirent. On les introduisit dans une sorte de cabinet médical.
    -Des nains ! Sept en plus ! C'est merveilleux ! Je m’intéresse beaucoup aux nains car je suis médecin, voyez-vous. Ce qui est fascinant avec vous, c'est ce que vous êtes des artistes de cirque ; enfin, on vous décrit ainsi.
    Tétanisés, les membres du groupe n'osaient pas rencontrer le regard de cet allemande à la silhouette élancée, qui était beau comme un dieu.
    -Vous chantez ? Vous êtes de bons instrumentistes ? Ah mais répondez !
    Simon, le chef du groupe, le fit.
    -Oui, docteur.
    -Quels instruments ?
    Simon, qui avait hérité du prénom de son père mais en avait changé l'orthographe, fit le détail.
    -Quels chants ?
    -Des chants...
    La voix se Simon s'étrangla.
    -Des chants tziganes, bien sûr. Vous êtes au camp tzigane ; c'est là qu'est mon cabinet. J'aime la médecine et je procède à de nombreuses expériences ! Il faut bien que la science progresse...
    Aucun des nains ne disait rien. Les couleurs clinquantes de leurs costumes de cirque leur revenaient en mémoire. Ils se revoyaient jouant du violon, de la flûte, de la clarinette. Comme ils étaient joyeux à l'époque ! Les spectateurs frappaient dans leurs mains et tapaient des pieds. C'était un monde si réel !
    -Vous ne porterez pas l'uniforme rayé qui convient ici et on ne vous rasera pas la tête, je vous en donne ma parole. Vous serez nourris convenablement et resterez à ma disposition. Il y a peu de temps, deux artistes de cirque sont arrivés ici. Je les ai eus comme patients. Ils sont morts assez vite. J'ai dû les autopsier. Voyez-vous, le squelette des saltimbanques m'intéresse beaucoup. Comment ces gens là sont-ils constitués ? C'est une question importante. Ce qui reste d'eux vient d'être envoyé à Berlin pour complément d'examen. Je précise que ces deux là n'étaient pas des nains !
    Simon et ses acolytes restèrent muets. Comme l'avait dit le beau docteur, on les fit vivre à part et ensemble et quelques jours durant, on les laissa tranquilles. Puis tout commença. On leur fit subir de longues séances de rayon X, on leur fit d'interminables prises de sang, on leur mit de l'eau bouillante dans les narines et on leur arracha les sourcils. Que ressentaient ils exactement ? Rien ? Quelque chose ? On leur fit prendre de longs bains très chauds mais on les fit séjourner dans de l'eau très froides. Les petites baignoires amusaient le personnel en blouses blanches. Peu à peu la troupe des Lilliputiens s'affaiblit. Ce sang qu'on leur prenait surtout, les privait d'énergie ; on les questionnait surtout, sur leur sexualité en particulier ; des dégénérés qui s'accouplaient, quelle curieuse chose...Une fois les interrogatoires terminés, on revenait aux expériences. Tous étaient terrorisés mais tous comprenaient que ce qui leu arrivait leur laissait une chance de survie ; dans ce camp, pour la plupart des internés, cette option était inenvisageable...
    franceflamboyant il y a 3 semaines

    Sans doute pour cette raison, Simon leur avait bien dit de toujours être polis avec ce docteur démoniaque et ils le furent. Lui-même l'appelait toujours « Votre excellence ». A Lilliput, les mœurs des habitants étaient exemplaires, suivant Swift, il fallait l'être aussi...Pourtant, le tortueux médecin organisa plusieurs conférences à l'intérieur du camp, conférences où il  exhiba sans ménagement ces nains ridicules,  pour étayer ses théories. A l'évidence l'immonde race juive dégénérait vers le nanisme. Une véritable aberration ! Les mois passaient, la petite troupe était toujours vivante mais promise à la mort. C'était sans issue. Puis, arriva janvier 1945 . Le camp fut libéré par les Russes et les sept artistes du cirque furent rendus à la liberté.

    En 1950, ils avaient émigré en Israël. Tous les sept.  Et ils avait créé une troupe de cirque ! Elle s’appelait « Le Cirque du soleil ». Ils avaient repris leurs rôles, faisaient de la musique, dansaient, chantaient et avaient engagé du personnel pour créer de nouveaux numéros. De leur passé, ils ne parlaient jamais. Ils restaient soudés. Allant de salle en salle, ils faisaient renaître cette magie qui entoure toujours les numéros de prestidigitateur, les écuyères faisant des prouesses à cheval ou encore les trapézistes ou les équilibristes dont les performances enchantaient les spectateurs. Ils n'étaient plus en Europe centrale, là où ils étaient nés et avaient débutés. Ils ne jouaient plus ces airs tziganes à la fois beaux et déchirants qui avaient tant plu. Mais ils transportaient avec eux ce monde du cirque et  des spectacles éphémères, si visuels et si magiques ! Quelquefois, ils enviaient le clown qu'ils avaient engagé car il était tout jeune et plein d'humour. De la fin d'un monde, il ne savait rien. Il évoluait dans un autre, tout naissant.
    Puis, l'un après l'autre, ils quittèrent cette vie, la dernière en 2001. Chacun d'eux garda le cirque en tête. Cet espace clôt, souvent circulaire, où, dans un halo de lumière, surgissait un artiste capable de faire rêver les plus démunis : enfants des campagnes, ouvriers des villes, vieilles femmes solitaires, jeunes veufs attristés...et de susciter l'intérêt de ceux qui étaient déjà nantis. Ils rêvèrent en dernier lieu de la jolie écuyère vêtue de bleu et de son cheval blanc : elle souriait et désignait la tribune où ils se trouvaient. En uniformes rouges à parements or, ils se dressaient fièrement, malgré leur petite taille, et présentaient leurs instruments miniatures. La musique allait jaillir. Le rêve et le spectacle aussi. Ce serait leur dernier questionnement : « Est-ce que le cirque peut abattre le totalitarisme, l'aberration, le cruauté ? » Oui, il le pouvait. Du reste, ils en étaient la preuve. Eux, les sept nains qui avaient  craint que ce chiffre qui les rapprochait pourtant de Blanche Neige pourrait leur être funeste avaient dû se rendre à l'évidence : il n'en était rien. Et le monde du cirque, qui n'avait plus de raison d'être si des dégénérés s'en occupaient, n'avait pas disparu ! 

    NB: le cirque est bien présent dans mon texte mais évidemment pas sous un jour très gai. La famille dont je parle est réelle. Après s'être produit des années durant en Roumanie et ailleurs, les Ovitz ont été rattrapés par la guerre, les persécutions et la déportations. Auschwitz et le docteur Mengele sont vrais. Vrai aussi qu'ayant survécu, nos sept artistes sont partis dans l'Israël naissante et y ont fait du cirque, renouant après des années terribles avec cet univers si particulier. L'holocauste, l'étoile juive et les lois raciales ne sont évoqués que succinctement. J'ai préféré parler de ces gens du spectacle à l'étonnant destin.

    nathlef06 il y a 3 semaines
    Pour JCRTigre On aime encore plus JCVD dans vos histoires !!

    Pour Sflagg  Et encore une enquête rondement menée ! Je prends !!

    Pour Franceflamboyant   Quelle histoire ! La petite dans la grande ! Tellement bien écrite, le summum dans ce défi !
    Carolina78 il y a 3 semaines
    Comme promis je reviens commenter les textes du défi d’écriture Babel, mais je ne me hasarderai pas personnellement sous le chapiteau, je me contenterai du plaisir de participer aux échanges et de lire vos fantastiques textes. J'espère que je ne vais pas abandonner en cours de route, comme ce fut le cas en février...
    Verteflamme   J’adore ! Mon cœur s’enflamme avec l’archet du violon et avec monsieur Ferenc Nagy que la raison pousse vers les bottes des soldats mais que le cœur fait chavirer vers les nu-pieds des tsiganes.
    JCRTigre   C’est trop génial cette mise en scène de fantasmes avec un talent cinématographique indéniable ! Je te confierai sans hésiter ma prochaine production de film grand public.
    Sflagg Je retrouve ici avec plaisir ta verve fantaisiste poétique, ton copyright. Je savoure tes jeux de mots (certaine que beaucoup m’ont échappé). J’ai suivi haletante, le sourire aux lèvres, cette intrigue bon enfant menée tambour battant avec beaucoup de panache.
    franceflamboyant Je retrouve ici avec plaisir ta plume maitrisée et élégante, avec ton talent bien à toi de mettre en scène les petites histoires de l’histoire (avec un(e) grand(e) Hache). La seconde guerre mondiale et les rafles semblent être un de tes thèmes de prédilection.
    La gloire et déchéance, sous le chapiteau, des sept nains Ovitz m’a captivée.
    Verteflamme il y a 3 semaines
    Merci Carolina !
    KotolineBastacosi il y a 3 semaines

    Bonjour à tous,

    toujours médusée par les rétrospectives historiques romanesques de franceflamboyant : France, ce serait bien que vous les enregistriez et les proposiez à audiocité.net, si vous avez les possibilités et le temps de faire vos  enregistrements, vous y auriez du succès et je pourrais ainsi écouter votre voix et savourer vos récits en m’endormant.

    Christian Seveillac  encore celui là de Christian qui s'immisce  et y m’énerve alors Sflagg super histoire sur les animaux en cage partis s’abreuver, et délire sur la méprise, beaucoup de jeux de mots et des personnages bien nommés ! On continue sur la lancée et tant qu’il y a à boire il y a à manger et donc à cirque huler.. Avé 🤣❤️👏

    Verteflamme  j’aime la Hongrie pour des raisons familiales, historiques et musicales mais n’ai pas très bien compris ce que souhaitait ce Ferenc Nagy ni ce qu’il faisait. Mais le décor est joli. 

    Albert Jacquard (Encore un fantôme qui s'infiltre-   ALIAS  JCRTigre : je ne connais ps JCVD, je suppose qu’il s’agit de J’enclos devant dame ? Un drôle de cinéma que vous nous avez fait 🤣

    Verteflamme il y a 3 semaines
    Merci, j’ai moi même une grand mère d’origine hongroise qui parle la langue. J’aime bien expliquer mes textes alors ce sera l’occasion :

    Je voulais mettre en scène un personnage peu sympathique d’industriel raciste envers les Tsiganes, qui a pour « plaisir coupable » (un plaisir qu’il assimile à une faiblesse…) le cirque, notamment Tsigane. Un soir, il s’y rend seul en ne le disant à personne pas même à son épouse, car il a honte de ce qu’il considère comme de la sensiblerie. Il n’assume pas, ou plutôt range son excentrique passion comme un plaisir coupable. Le fait qu’il qualifie les Tsiganes de va nu pieds alors que lui même est dans la chaussure (souvent symbole de « civilisation ») est à relever. Je voulais opposer l’odieux capitalisme du gars à un monde artistique et source de rêve. Pour autant, je ne voulais pas d’une opposition si catégorique : l’antagoniste se laisse captiver par le spectacle et le cirque, comme il le dit, c’est un travail acharné rationnel et pas seulement un truc de rêveur.
    Senna il y a 3 semaines
    --- Avant-propos ---

    Je ne pensais pas que le thème m’aurait inspiré, mais après une nuit pas très agréable à cogiter, j’ai eu cette idée. Je tiens à préciser que j’ai écrit pour le plaisir, car je sais que je n’ai aucune chance d’être le lauréat de ce défi, puisque mon texte est narré à la troisième personne, dans un genre qui m’est cher, avec un brin d’absurdité. Je souhaite aussi évoquer, que certains passages peuvent heurter des lecteurs et lectrices. Bonne lecture.

    --- ---

    L’antre interdit

    Il se dressait là, majestueux, grandiose par sa taille, bigarré de rouge et de blanc, avec à son sommet un drapeau jaune. Les deux gamins le regardaient avec fascination. Il le savait que cet antre du spectacle leur était interdit. Pourtant, cela ne les empêcha pas de se diriger vers l’entrée.
    – Désolé les morpions, ce n’est pas pour vous. Allez ouste !
    L’homme qui leur avait adressé la parole possédait un visage constellé de cicatrices d’acné. Désormais adulte, il se vengeait, car il avait souffert de ces pustules durant de nombreuses années.
    Le plus costaud des enfants se prénommait Prosper et attendit qu’ils se soient assez éloignés pour parler à son ami.
    – Je crois bien que l’on va devoir passer par l’entrée des artistes. (clin d’œil)
    Ce sous-entendu voulait dire qu’ils se rendraient coûte que coûte sous le chapiteau. D’ailleurs, Prosper dégagea de son futal un coupe-chou rouillé. Son comparse, Urogène de son prénom, ne fut pas plus surpris que cela et lui adressa même un regard laudatif.
    – Tu crois qu’il va couper ? Il m’a tout l’air d’être émoussé ton surin.
    – Hé bien, vois-tu Urogène, nous seront être fixés très bientôt.
    La toile cirée, tiré à outrance, se déchira avec facilité, dans un bruit acéré. L’entaille fut juste suffisante pour que deux marmots puissent s’infiltrer dans ce lieu interdit. À l’intérieur, rien de surprenant, ce n’était qu’une rotonde entourée d’estrades en bois. L’endroit se remplissait aussi vite que les flots du Niagara.
    Presque allongés, leur vision furent réduites par les jambes éparses. Un homme d’une très grande corpulence faisait grincer le banc au-dessus de la tête de Prosper. Pour éviter que leurs présences ne soient découvertes, ils échangèrent par chuchotement.
    – Tu ne voudrais pas que l’on se décale ? J’ai peur que le lourdaud ne me tombe sur la tête.
    – OK, mais prenons un maximum de précaution. Notre présence ici est précaire. Tiens ! Regarde ! C’est ton patriarche là-bas.
    Urogène montra du doigt un homme malingre pelé dont le reflet était accentué par les projecteurs. Aucune ressemblance n’était comparable avec sa descendance, à croire que gynécologue ne pouvait être que son géniteur.
    Toutes les lumières s’éteignirent et la foule fut plongé dans une obscurité angoissante durant de trop longues minutes. Une cornemuse raisonna quelques notes discordantes, puis un accordéon s’accorda à la mélopée. Enfin, un réflecteur principal balaya son faisceau sur la piste centrale. Un homme à la démarche chaloupée, habillé comme les présentateurs photogéniques, dents blanchies, cheveux gominés et plaqués en arrière asséna une voix de Basse qui contrastait avec son allure efféminée.
    – Mesdames et Messieurs. (il accentuait sur les “s”) Vous allez voir le plus beau des spectacles. Celui dont vous parlerez encore pendant des générations et des générations. Sans plus attendre… Voici Miss Tinguète !
    Mais la diva se fit attendre. Enfin, elle daigna apparaître devant ses fans. La dame en question commença un effeuillage sur une musique militaire jouée par une fanfare. Le haut voltigea pour laisser découvrir non pas deux, mais trois énormes seins. Chaque téton était hypertrophié. Le public masculin émit des sifflets d’appréciation, tandis que les femmes, elles, regardèrent leur mari d’un air jaloux.
    Les deux gamins furent excités, puisque l’anatomie féminine leur était alors inconnu. Leur ardeur augmenta d’un cran, quand elle balança sa jupe en l’air. L’unique sous-vêtement ne cacha pas grand-chose du jardin privatif de la demoiselle. Les mâles sautèrent et un pied écrasa la main de Urogène, qui dû batailler pour ne pas crier. Déjà ses phalanges prirent une teinte blanchâtre avant de devenir bleutée. Du sang s’accumula sous ses ongles.
    Miss Tinguète fit son show et exposa ses formes. Elle se frotta par-ci, par-là, avant de s’éclipser.
    – Vous êtes chaud !!! Oui, vous êtes chauds !!!
    Deux gigolos arrivèrent en tenu de pompier et grâce à leur lance, envoyèrent une gerbe d’eau sur la foule.
    – L’histoire que je vais vous raconter, va vous faire pleurer. C’était lors d’un voyage, Sam Hanta, notre fantôme, voulait nous faire plaisir et cherchait des champignons. Dans une forêt plein d’arbres, nous les avons découverts dans les fourrées. Nourris par un couple de sanglier. Ils vivaient de glands et d’amour. Nous les avons recueillis, éduqués. Voici Pat et Tique, deux frères siamois unit par leur corps.
    Urogène, qui souffrait en silence, ferma les yeux. Prosper, quant à lui s’amusait de voir ses deux hommes collés l’un l’autre : deux jambes, quatre bras et deux têtes.
    La partie du public sensible laissa perler des larmes, tandis que l’autre, antipathique, ricanèrent devant cette disformité de la nature. Un marchand déambula dans la foule.
    – Mouchoirs ! Qui veut des mouchoirs ?
    Enfin, les deux mutants quittèrent les lieux.
    – Voici le dernier spectacle ! Celui que vous attendez toutes et tous. Le magicien d’os ! J’ai nommé Houx Dini et sa partenaire Sara Conne Or !
    Archétypique des prestidigitateurs, le séducteur arriva dans son costume trois pièces impeccables. Dans un rictus délicat, on pouvait apercevoir deux chicots pointus. D’une voix de Soprano il claironna à l’assistance :
    – Je suis honoré (de Balzac) de vous présenter le fameux tour de la femme sciée.
    À l’évocation de la découpe, il ne put laisser échapper un rire sardonique.
    La femme s’installa dans l’extraordinaire boîte et ne laissa émerger que sa tête à l’extrémité Ouest, ses pieds à l’Est.
    – Que l’on m’apporte le tranchant !
    Un homme tout de noir vêtu, lança au charmeur, une tronçonneuse. La bête tressauta, lorsqu’il tira sur le démarreur. Une épaisse fumée noire s’échappa. Le magicien manqua de s’étouffer et de se taillader les jambes par la même occasion. Le public retenait son souffle. On aurait pu entendre les mouches voler si l’engin ne faisait pas autant de bruit.
    Il s’approcha de son assistante et la lame descendit vers la fente qui séparait les deux boîtes. La femme cria. Ça devait faire partie de la représentation.
    – La vache ! Il va en faire un steak de Salisbury ! (Prosper)
    Urogène qui fermait les yeux :
    – Ça va être un carnage !
    La chaîne rencontra la chair et la chouette hurla. Un flot de sang non pas rouge, mais vert éclata dans tous les sens, mû comme un geyser. La vue du liquide excita Houx Dini. Avant même que son assistante ne fut disloquée en deux, il lança la tronçonneuse toujours allumée en l’air. Ce fut un mouvement de panique dans la salle lorsque l’outil retomba et tressauta sur le banc qui fut cisaillé.
    Le magicien ne pouvait plus se retenir et se gava tel un alcoolique devant son poison.
    Bien avant que le numéro ne soit achevé, tout le monde quitta le chapiteau. Urogène et Prosper s’échappèrent en tapinois
    Une fois à l’extérieur, Prospère déclara :
    – C’est le meilleur jour de ma vie ! C’était vraiment exceptionnel.
    Puis, un vrombissement. Le ciel s’obscurcit pour laisser apparaître un énorme vaisseau spatial qui s’étalait sur des kilomètres à la ronde. Le cirque fut aspiré par l’aéronef, sur lequel on pouvait lire : “La compagnie de la Voie Lactée”. Enfin, il disparut aussi vite qu’il était apparu et s’en alla divertir d’autres colonies basées sur des exoplanètes.
    Carolina78 il y a 3 semaines
    Senna   Que de frissons ! Quel suspens avec ces deux gamins qui portent des noms bien anachroniques, Prosper et Urogène, et qui n’ont pas froid aux yeux ! C’est une histoire grotesque, surréaliste, truffée de détails horripilants ! Bravo c’est original et percutant. Je ne suis pas sûre d’avoir tout compris, sauf que c’est immoral, mais faut-il enfermer ton texte dans un sens ?
    JulianAArdennes il y a 3 semaines
    Senna  J'aime le gore burlesque de votre histoire qui par certains aspects m'a évoqué Cristal qui songe de Théodore Sturgeon.
    Je comprends le dernier paragraphe, il minimise l'horreur, rajoute de l'absurde.
    Mais je ne crois pas que votre très bon texte avait nécessairement besoin que l'on minimise son horreur.
    Et en plus vous êtes parvenu à rajouter des jeu de mots.
    JulianAArdennes il y a 3 semaines
    Je me suis usé les doigts à tout compter, et encore ce n'est pas parfait.
    Entre le conte macabre burlesque et Zola.

    J'étais le petit montreur d'ours du cirque ambulant,
    Mes sœurs cadettes se grimaient de rouge et de blanc,
    Maman vendait des tickets à d'obscurs chalands,
    Papa un funambule, survolait le firmament.

    Un jour papa flancha, se tua sur la piste,
    Maman le fit empailler, mais demeurait triste,
    Elle consulta la voyante, celle-ci n'était pas optimiste,
    Papa ressuscita, débile et unijambiste.

    Un matin on s'aperçut que Pierrot avait disparu,
    Elle s'était enfui pour épouser un bossu,
    Colombine sans elle, ne pouvait plus faire son numéro,
    Au mât du chapiteau, on la trouva pendue.

    Le cirque périclita, ne faisait plus recette,
    Il n'eut bientôt plus rien à mettre dans l'assiette,
    L'ours avait très faim, il posa sa patte sur ma tête,
    Me déchira les boyaux, m'envoya ad patres.

    Resta que la mère pour les quatre les pleurer,
    Elle se consola vite, épousa le grand ursidé.


    Pffff, allez je retourne au Joyeux Foutraque où les vers sont libreuh.
    Verteflamme il y a 3 semaines
    Julian, j’apprécie beaucoup ce comique clownesque grinçant ! « La tragédie c’est quand on se coupe le doigt. La comédie c’est quand on tombe dans une bouche d’égout et qu’on meurt. » 

    a vrai dire, la littérature a le pouvoir de nous faire rire de choses qui nous feraient pleurer dans la vraie vie. Chaque strophe est un numéro tragique.

    et j’aime les poèmes qui racontent des histoires. Pour écrire des poèmes, je sais que ce n’est pas facile car il faut aller à l’essentiel alors que la poésie conduit à la contemplation.
    JulianAArdennes il y a 3 semaines
    Verteflamme 
    Merci pour le commentaire, comme vous j'aime la poésie qui va quelque part, travail exigeant de la tête qu'on poli comme un petit bijou et dont on achève le travail épuisé en espérant qu'il brille dans l'oeil de quelqu'un.

    Pour le côté grinçant, pas d'excuse, c'est la seule chose que pour moi évoque le cirque.
    Je n'y suis que très rarement allé, ma mère tremblait toujours que les trapézistes s'aplatissent au sol.

    Votre texte m'a enchanté. Ça grouille de couleurs, d'images et de sons slaves. D'odeur de vieux cuir poussiéreux.
    J'ai recherché le peintre que vous citez, oui, oui c'est tout à fait ça, ce fourmillements de tout les coins.
    Broceliande2 il y a 3 semaines
    Sous le plus grand chapiteau du monde

    Ils sont venus vivre une expérience exceptionnelle dans la salle du MGM Grand Hotel de Las Vegas. Le Cirque du Soleil y présente KÀ, une audacieuse combinaison d’arts martiaux, de théâtre et d’arts du cirque pour raconter une histoire d’amour et de conflit.

    La magie opère dès que la salle est plongée dans l’obscurité. Artistes chevronnés, décors et costumes féériques, musique et jeux de lumière ensorcelants, tout est orchestré pour entraîner les spectateurs dans un monde imaginaire fabuleux. Les yeux grands ouverts pour ne rien manquer, ils plongent dans l’histoire épique. Ils sont émerveillés comme des enfants.

    Le spectacle atteint son apogée lors de la bataille aérienne entre les deux clans. Elle se déroule sur une scène verticale d’environ 15 mètres sur 7,5 sur laquelle sont projetées des vidéos interactives. Maintenus par un harnais et un câble enroulé sur des treuils individuels, les acrobates-guerriers s’élancent dans le vide, tête première, parfois sur une dizaine de mètres. Le résultat est prodigieux. Leur affrontement gracieux semble défier les lois de la gravité. Les spectateurs, envoûtés, sont rivés à leurs sièges.

    Soudain, une des participantes à cette chorégraphie martiale a l’air être en chute libre. L’auditoire espère, sans trop y croire, que c’est l’effet recherché. Ce n’est pas le cas. En une fraction de seconde, l’émerveillement cède la place à l’effroi. Cris, gémissements de douleur, pleurs sur scène. Silence de glace dans la salle. Le temps s’arrête.

    Comme un seul homme, les spectateurs retiennent leur souffle. Ils aimeraient tellement que ça permette à la jeune femme de reprendre le sien ! Dans leurs cœurs, certains prient. Mais le miracle n’a pas lieu. Elle meurt sous leurs yeux.

    Dans un sentiment d’irréalité, ils quittent la salle comme des automates, complètement désorientés. Chacun perdu dans ses pensées.

    De ce spectacle, ils ne retiendront que la fin tragique et le nom de l’artiste accomplie dont ils ont partagé les derniers moments : Sarah.

    Note : texte inspiré de l’accident tragique du 29 juin 2013.
    KotolineBastacosi il y a 3 semaines
    Bonjour à vous, quelques remarques de ci de là 
    merci Verteflamme pour votre explication, je m’étais embrouillée á chercher sur le Net des infos sur ce fameux Ferenc que j’ai pris pour un politique hongrois car portant le même nom que votre héros mais les dates ne coïncidaient pas vraiment !! Votre histoire est donc originale car s’attachant au cœur de l’homme pris au piège des préjugés de sa caste et sans doute un peu névrosé qui s’interdit d’être sensible. Ça ressemble á un récit de Freud. Mais son surmoi timide certes semble un peu le remettre sur le chemin de l’amélioration. Encore bravo pour cette métaphore de la chaussure et du pied nu.
    KotolineBastacosi il y a 3 semaines
    @Broceliande2  https://www.babelio.com/monprofil.php?id_user=1604160
    Sous le plus grand chapiteau du monde me rappelle le grand film que tout le monde a dû voir car il passe de temps à autre à la télé…. Cela dit le cirque est souvent symbole de tragédies et votre récit court et bien construit laisse présager un accident auquel le public ne s’attend pas. J’apprécie ainsi le contraste entre les lumières la gaité et l’exubérance insouciante et la chute mortelle qui ne laissera au public qu’un terrible souvenir alors qu’il en espérait le contraire, je ne me rappelais pas ce tragique accident que vous rapportez. Votre histoire ressemble a celle que j’ai préparée mais sur un mode différent ( d’ailleurs je remarque parmi les productions de nos babeliotes que le plus souvent le cirque est vu comme un lieu de dangers plutôt que de réjouissances). Merci pour votre sensibilité et l’évocation de cette pauvre jeune artiste.





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