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The Expanse tome 5 sur 10
EAN : 9782330130763
694 pages
Actes Sud (05/02/2020)
  Existe en édition audio
4.22/5   227 notes
Résumé :
Depuis quelle a découvert des milliers de nouvelles planètes, l’humanité s’est lancée dans la plus grande ruée vers les terres de son histoire.
Des vaisseaux colons disparaissent mystérieusement sans laisser la moindre trace. Des armées privées se forment en secret. Le dernier échantillon existant de la protomolécule est volé. Des attaques terroristes inimaginables auparavant mettent à genoux les planètes intérieures.
Au milieu de ce chaos, t... >Voir plus
Que lire après The Expanse, tome 5 : Les jeux de NémésisVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (23) Voir plus Ajouter une critique
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Mais comment peut-on être à la fois aussi ennuyeux et aussi intéressant  dans un même bouquin ?

L'équipage du Rossi éclate aux quatre coins du système solaire pour raisons personnelles pendant que les dissidents de l'APE finalisent leur plan.

300 premières pages d'un ennui profond avant d'enfin entrer dans le vif du sujet et réellement apprécier ma lecture. Corey m'avait déjà fait le même coup le tome précédent et il recommence. Il multiplie les points de vue, c'est agréable, mais pourquoi concentrer l'action uniquement dans la seconde partie du roman et faire ainsi de sa première partie un puits sans fond d'ennui ?
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Suite aux événements du tome précédent, le Rossinante est en réparation pour 6 mois sur la station Tycho. C'est l'occasion pour l'équipage de se séparer pour des congés bien mérités. Amos se rend sur Terre, Alex sur Mars et Jim se retrouve seul après le départ de Naomi pour une destination inconnue. Ils ont tous les 3 rendez-vous avec leur passé. C'est l'occasion d'en apprendre un peu plus sur ces personnages.

Pendant ce temps, des vaisseaux disparaissent mais est-ce le plus grave ?

Un à un impliqués dans l'enquête et les bouleversements en cours ils vont se retrouver avec des équipiers inattendus. J'ai préféré le tandem Alex-Bobbie mais le Jim-Fred n'était pas mal non plus.

Tout le long du roman, je me suis demandée comment ils allaient pouvoir se retrouver réunis à nouveau. Je ne vais pas aller jusqu'à dire « quel suspense », c'est plutôt l'inquiétude de savoir où les auteurs ont envie de m'emmener. J'ai trouvé quelques passages un peu tirés par les cheveux comme

Cela étant dit, j'ai bien aimé suivre Holden, Naomi et Alex. J'ai un peu moins accroché aux aventures post-apocalyptiques d'Amos. Il y a un personnage que j'adore, c'est Chrisjen Avasarala. Elle a un de ces sens de la répartie ! Elle me fait souvent (sou)rire.

Me voilà donc à mi-chemin : 5 tomes lus, 4 tomes à lire.

En route pour le tome 6 !




Challenge SFFF 2022
Challenge pavés 2022
Challenge cycles/séries 2022
Challenge mauvais genres 2022
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En neuf romans et un recueil de nouvelles, sans doute la plus passionnante série de science-fiction spatiale et politique de ces dernières années.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/05/11/note-de-lecture-the-expanse-james-s-a-corey/

Tout démarre (en tout cas, on le croira longtemps) à bord du Scopuli, un vaisseau spatial d'apparence anodine en transit entre les astéroïdes Cérès et Éros. D'apparence anodine seulement, car il est en réalité en mission pour l'Alliance des Planètes Extérieures, organisation semi-clandestine qui conteste activement la domination politique et économique de la Terre et de Mars sur le reste du système solaire, myriade d'astéroïdes habités, de lunes jupitériennes ou saturniennes et de stations spatiales qui constituent la frontière active de l'économie globale sous le nom générique de « la Ceinture ». Lorsque le Scopuli est mystérieusement attaqué par ce qui semble être une bande pirate lourdement armée et bien déterminée, une certaine Julie Mao semble être la seule survivante à bord.

Le Canterbury, transportant de la glace entre les anneaux de Saturne et Cérès (l'eau est une question cruciale pour la vie sur ces « planètes extérieures » – qui n'en sont pas vraiment -, bien entendu), capte alors un signal de détresse venant du Scopuli. Arrivé sur place, l'équipage de la navette dépêchée par le lourd vaisseau de transport réalise que le signal en question était un leurre. Alors qu'un étrange vaisseau furtif surgit de nulle part et détruit le Canterbury, Holden, le second du bord, embarqué à bord de la navette, décide de transmettre en clair à l'ensemble du système solaire l'attaque qui vient d'avoir lieu ainsi que la présence de technologies martiennes au sein du système de leurre utilisé – ce qui crée un tollé dans les opinions publiques et un état de guerre, de facto, entre Mars et les différentes entités de la Ceinture. Consignés à bord du Donnager, vaisseau de ligne martien arrivé le premier sur les lieux du crime, Holden et ses compagnons d'infortune assistent impuissants à la destruction de celui-ci par de nouveaux vaisseaux furtifs inconnus, fuient de justesse à bord d'une corvette martienne qu'ils vont bientôt rebaptiser Rossinante, et informent le système solaire que l'analyse d'une puce électronique des assaillants récupérée à bord par miracle indique cette fois une fabrication… terrienne. Désormais, la Terre, Mars et la Ceinture sont tous au bord de la guerre totale.

Parallèlement à ces événements déclencheurs (et de quelle ampleur !), Josephus Miller, enquêteur au sein de la société privée Hélice Étoile, qui détient le contrat de sécurité sur Cérès, est embauché en marge de ses activités officielles pour retrouver la trace de Julie Mao, qui se révèle être l'une des filles de Jules-Pierre Mao, l'un des plus riches multi-milliardaires du système solaire, aux commandes d'un conglomérat hautement diversifié. Bientôt, alors que le Rossinante cherche à échapper aux recherches de la Terre comme de Mars, l'enquête s'étend et révèle qu'une certaine protomolécule secrète, possiblement extra-solaire, n'est peut-être pas étrangère aux cataclysmiques événements en cours…

Publié en neuf volumes (plus un dixième contenant plusieurs nouvelles dans le même univers) entre 2011 et 2022, « The Expanse » est certainement l'une des plus passionnantes séries littéraires de science-fiction – et au-delà – créées ces dernières années, justement récompensée par le prestigieux prix Hugo en 2020.

Issue à la base d'un univers de jeu (en ligne et sur table) développé en extrême détail par Ty Franck, que son ami l'auteur Daniel Abraham rejoint sous le pseudonyme commun de James S.A. Corey pour en extraire les romans, la série se distingue par la profondeur et la logique de son background, par son sens rebondissant de l'aventure et des développements de personnages, par la richesse de la véritable cosmopolitique du système solaire qu'elle imagine, par le réalisme de ses anticipations technologiques (même s'il a bien fallu, d'emblée, inventer la propulsion Epstein – avec ses accélérations inhumaines et donc ses adjuvants chimiques indispensables – pour que les distances à l'intérieur du système solaire se comptent en mois plutôt qu'en années), mais peut-être surtout par la puissance du réalisme politique (et d'ailleurs de diverses formes de Realpolitik) qui y est déployé.

Dans leur excellent article de novembre 2018 pour Science Fiction Studies (« Solar Accumulation : The Worlds-Systems Theory of The Expanse »), Brent Ryan Bellamy et Sean O'Brien, avec une approche post-marxiste particulièrement adaptée au terrain et à l'enjeu, montrent élégamment comment « The Expanse » met en scène la mainmise continuée du capital (largement incarné par l'entreprise Protogen de Jules-Pierre Mao, mais pas uniquement par elle) sur les « sauts » de l'accumulation et sur le transfert hégémonique (pour reprendre ici notamment le vocabulaire précis de Michael Hardt et Toni Negri dans leur « L'Empire » de 2000) : dans ce modèle à trois mondes pour le 23e siècle, la rareté des ressources et l'épuisement écologique hantent la Terre, la colonie martienne a pris son autonomie (sous des formes qui sont à la fois un bel hommage et un rude désaveu à la « Trilogie martienne » de Kim Stanley Robinson, se rapprochant davantage in fine du « 2312 » du même auteur) et les minerais de la Ceinture préservent l'illusion de la poursuite d'un système d'accumulation « à l'infini » (qui jaillira encore renforcé du formidable rebondissement introduit dans le tome 3, « La Porte d'Abaddon », par l'une des actions encore moins prévisibles de la « proto-molécule » – si l'on persiste ici à essayer de ne pas trop dévoiler les éléments à moyen et long terme de l'intrigue). Derrière Fernand Braudel et Karl Polanyi, les auteurs de l'article lisent ici l'influence souterraine de Giovanni Arrighi et de son « Long vingtième siècle » de 1994. On pourrait ajouter que l'imagination déployée dans la série illumine son inconscient politique, au sens de Fredric Jameson, et que le mélange détonant de réchauffement climatique, d'épuisement des ressources et d'astro-capitalisme résonne étrangement tant avec l'Andreas Malm de « L'anthropocène contre l'histoire » qu'avec les Irénée Régnauld et Arnaud Saint-Martin de « Une histoire de la conquête spatiale ». Une fois de plus la terrible première phrase du « En panne sèche » d'Andreas Eschbach s'impose : « Même la dernière goutte d'essence permet encore d'accélérer ».

La série littéraire a donné lieu entre 2015 et 2022 à une série télévisée particulièrement réussie sous l'égide de Mark Fergus et Hawk Ostby. le casting y colle magnifiquement aux personnages imaginés par James S.A. Corey, que ce soit du côté de l'équipage du Rossinante (Steven Strait en James Holden, Dominique Tipper en Naomi Nagata, Cas Anvar en Alex Kamal et Wes Chatham en Amos Burton), de l'enquêteur Josephus Miller (Thomas Jane) et de son fameux chapeau, de la marine martienne Roberta Draper (Frankie Adams), de chefs ceinturiens tels que Fred Johnson (Chad Coleman) ou Anderson Dawes (Jared Harris) – l'une des seules vraies libertés que s'est permise l'écran, en assemblant plusieurs personnages littéraires pour sa version de Camina Drummer, jouée par Cara Gee, est sublime – ou encore de la haute fonctionnaire terrienne Chrisjen Avasarala (Shohreh Aghdashloo). le scénario est particulièrement fidèle aux romans d'origine, et la série a réussi à éviter le « piège de la précipitation » à la Game of Thrones au moment de conclure son aventure télévisuelle, préférant s'arrêter entre deux tomes à un moment où nombre d'arcs narratifs avaient atteint leur terme et où d'autres commençaient tout juste à s'ouvrir, pour, n'est-ce pas, ne pas insulter l'avenir.

J'avais insisté dans l'épisode 9 (à regarder ici) de Planète B, l'émission science-fiction et politique conçue pour Blast par Antoine Daer, notre librairie Charybde et les éditions La Volte, sur l'importance donnée par la série littéraire à une forme actualisée de lutte des classes du 23e siècle, à l'échelle du système solaire : la série télévisée amplifie encore cette thématique, dès sa présentation d'ensemble, en signalant d'emblée le contraste entre les élites terriennes et leurs masses inscrites au revenu minimum d'existence, les Martiens largement militarisés et les salariés de la Ceinture, précaires et fortement exploités par les propriétaires des moyens de production. Par bien des aspects, l'article d'Emma Johanna Puranen, « The Ethics of Extractivism in Science Fiction » (Strange Horizons, 2022), souligne le même point. Il en est de même du « Work, Horror and The Expanse » de Jamie Woodcock et du somptueux (on en reparlera ci-dessous à propos de langage) « We should have brought a poetry grad student: Higher education and organised labour in The Expanse » de Heather Clitheroe et Mark A. McCutcheon, deux articles à lire dans « The Expanse Expanded: A Special Issue of Red Futures », dont l'ensemble des onze contributions (à lire ici) méritent bien davantage qu'un simple détour.

Dans son passionnant article, « The Modality in Which Class is Lived : Literalizing Race and Class in The Expanse » (dans SPELL: Swiss Papers in English Language and Literature, « The Genres of Genre: Form, Formats and Cultural Formations », 2019), Bryan Banker note par ailleurs comment James S.A. Corey, en dépeignant les Ceinturiens dans leur unité et dans leur variété, rend concret ce que les théories contemporaines de l'identité gardent dans le domaine de l'abstrait, et plus particulièrement le lien difficilement déconnectable entre race et classe (ce que la série télévisée souligne aussi de son côté), ce dont on reparlera plus bas à propos de langues et de langage.

Dans les mots de la série littéraire comme, naturellement, dans les images en parfaite continuité de la série télévisée, on sera frappé par la force de l'esthétique spécifique développée dans « The Expanse ». Lorsque les deux membres de James S.A. Corey sont interrogés sur leurs influences, ils citent régulièrement (aux côtés de la série « La Grande porte » de Frederik Pohl, pour des raisons évidentes, mais qui obligeraient à dévoiler ici certaines surprises des tomes 3 et 4) « Alien ». On se doute bien que ce n'est pas à propos de forme de vie extra-terrestre prédatrice que cette influence se manifeste : c'est avant tout à propos de précision technique imaginée et de vie matérielle omniprésente. Ici, le vide c'est le vide, les semelles électromagnétiques ne comptent pas pour du beurre, les hémorragies internes ne peuvent pas coaguler en apesanteur, et le silence est omniprésent (là où justement, on le sait, on ne vous entend pas crier). Même le célèbre duo contestant les conditions de travail formé par Dennis Parker (Yaphet Kotto) et Samuel Brett (Harry Dean Stanton) dans le premier film de Ridley Scott, en 1979, trouve son écho ici (comme le soulignent Heather Clitheroe et Mark A. McCutcheon dans leur article sus-cité), dans l'une des rarissimes représentations d'activité syndicale dans la science-fiction contemporaine (et toute l'ambiguïté subtile du personnage d'Anderson Dawes – et de l'interprétation qu'en donne à l'écran Jared Harris).

Dans le même article, on trouve une analyse portant à un degré encore supérieur cette esthétique de la matière, lorsque Miller explique à Holden, dans les tomes 3, 4 et 5, à diverses reprises, l'importance de l'incarnation de l'humanité vis-à-vis de l'immatérialité qui est désormais l'apanage des Constructeurs (je n'expliquerai pas ce terme ici, sinon ce serait un spoiler significatif), d'une manière que ne renierait pas « un enseignement marxiste de la distinction entre infrastructure et superstructure ». Et que dire dans ce cas du trait encore souligné par un autre article du même numéro spécial de Red Futures, celui de John Roselli, « The Heart of the Expanse: Discovering Humanity in the Void » ?

Comme Daniel Abraham, l'une des composantes du duo James S.A. Corey, a longtemps été un proche collaborateur de George R.R. Martin (impliqué notamment de très près dans les déclinaisons en bandes dessinées et romans graphiques du premier livre du « Trône de Fer », entre 2011 et 2014), il a beaucoup été écrit sur le foisonnement d'intrigues, de personnages, de situations géopolitiques (médiévales ou non), de coups de théâtre, de trahisons et de rebondissements de toute nature qui hantent « The Expanse » comme « Game of Thrones ». Disons-le tout net : en la matière, il me semble que l'élève (si élève il y eut) a su magnifiquement dépasser le maître (même si celui-ci n'est pas directement responsable de l'achèvement télévisé de sa série), et ce pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, l'art (presque) immémorial du feuilleton (celui défendu jusqu'au bout avec acharnement par un Valerio Evangelisti, par exemple) est ici construit de manière ouverte : pas de dénouement inexorable (dont seules, finalement, les modalités et la place des personnages candidats et candidates restent à débattre : comment s'ouvrira le grand Mur ? qui tuera le Roi des Morts ? qui vaincra la détermination de Cersei ? qui règnera sur Westeros ?), mais au contraire une narration ouverte, qui excelle à enchaîner les intrigues dont la résolution même donne naissance à une autre, qui manie avec une réjouissante expertise l'enchevêtrement des niveaux des différents arcs narratifs – et qui n'utilise jamais de deus ex machina, même soigneusement dissimulé comme chez son illustre prédécesseur. Toujours dans le numéro spécial de Red Futures cité plus haut, l'article de Horst Trenkwill-Heiser, « The Expanse or: How Holden Kept Worrying and Learned to Embrace Division », propose un éclairage supplémentaire et passionnant sur ce point.

Ensuite, même des situations hautement interrogatives (Attention spoilers ! Que peut bien f… la protomolécule sur Vénus ? Comment communique-t-on avec les Constructeurs ? Pourquoi Miller est-il toujours là ? Où se situe la démarcation entre guerre de libération légitime et terrorisme aveugle ?) sont résolues avec grâce et logique, en parfaite cohérence (coucou Daenerys !) avec l'évolution intime et politique des personnages (et sans recours à de mystérieuses et rétrogrades « lois de l'hérédité »).

Enfin, « The Expanse » se caractérise par un véritable refus du manichéisme instinctif et instantané. Même les « pires » personnages (scientifiques dévoyés, ultra-milliardaires mégalomanes, politiciens corrompus, officiers rebelles ou indépendantistes jusqu'au-boutistes et terroristes) présentent plus que de simples lueurs d'humanité, offrent des justifications souvent complexes et pour partie « écoutables » et présentent une cohérence interne extrêmement forte qui ne se limite pas à « être psychopathe » ou « être sociopathe » (même si ces éléments sont bien entendu régulièrement disponibles). Et les « meilleurs » personnages ont leur beau contingent de failles, mais cela est relativement plus courant dans les grandes fresques dont nous traitons dans ce paragraphe. L'article « Heroism in the Expanse » de Mary B. Smith (toujours dans Red Futures) est particulièrement précieux pour pleinement apprécier cette dimension-là.

En tant qu'oeuvre de science-fiction, « The Expanse » se livre à un intense travail de démythification de l'anticipation. Comme le soulignent à leur manière Irénée Régnauld et Arnaud Saint-Martin dans leur récent « Une histoire de la conquête spatiale » du côté historique et sociologique ou Gil Bartholeyns dans son également récent « L'occupation du ciel » (dont on vous parlera très prochainement sur ce blog) du côté purement fictionnel, il n'y a pas ici de vertueux changement de paradigme ayant pris place d'ici le 23e siècle. le capitalisme et l'extractivisme triomphent, la foi en la croissance (on ne parle plus guère de ruissellement, toutefois, à part sous sa forme résiduelle et minimale de revenu universel maintenu au plus juste) resplendit de toute part, et la science poursuit imperturbablement sa marche en avant – sans souci réel du bonheur du plus grand nombre. C'est le « Réalisme capitaliste » de Mark Fisher qui est ici, plus que jamais, aux commandes. Il n'y a pourtant là rien de réellement dystopique, à proprement parler : le fait même de distinguer au plus haut degré la puissance des rapports sociaux, comme cela a été développé plus haut et comme cela est devenu au fond si rare dans la science-fiction contemporaine, suffit à obtenir ce précipité chimique aussi inquiétant que passionnant.

On pourra noter que Ian McDonald dans son excellente « Trilogie Luna », en se contentant finalement, au plan socio-politique, d'ironiser sur les nouveaux ultra-riches du système solaire en gestation (en parfaite cohérence, ceci dit, avec sa focalisation sur une nouvelle ère des « barons-voleurs ») ne parvenait pas à obtenir la même puissance de shock & awe systémique que « The Expanse » – et que Kim Stanley Robinson, dans son remarquable « 2312 », ne pouvait, lui, comme souvent, se résigner à un futur dans lequel aucune prise de conscience de masse n'aurait pu changer significativement les fondations de la société et de la polis.

Davide Mana (« The Politics of Anthropocene: Environment and Society in The Expanse »), Grigor Velkovsky (« The Expanse on the Cyclical Nature of History ») et Marcin Stolarz (« The Future Society of
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L'amie grâce à laquelle j'ai découvert The Expanse m'a encouragé d'un « Welcome to the book of all feels » quand je lui ai annoncé que j'entamais ma lecture de ce tome et c'est bien la meilleure manière de décrire Les Jeux de Némésis. Après avoir eu le point de vue de Holden les quatre tomes précédents, on a (enfin) accès aux points de vue des autres membres de l'équipage, Naomi, Amos et Alex. Ce serait déjà glorieux en soit mais bien sûr, s'ielles sont narrateurs et narratrice c'est pour présenter des évènements et une facette de l'aventure que Holden ne vit pas avec elleux. C'est la première fois depuis le début de l'aventure que les quatre membres du Rocinante se retrouvent chacun·e de leur côté, pour se confronter et clôturer des éléments de leur passé.

Tous les tomes de The Expanse abordent en trame de fond des questions politiques et sociales, que je trouve à chaque fois intéressantes mais soit c'est particulièrement appuyé dans celui-ci, soit ça m'a plus marqué que d'habitude. Peut-être parce que je l'ai lu à ce moment précis ou parce que les sujets résonnent plus en moi, je ne saurai pas l'expliquer. Toujours est-il, avec l'ouverture des portails et la (relative) réussite de la colonie d'Illus, bien sûr de nombreuses personnes embarquent à bord de vaisseaux pour rejoindre l'un de ces nouveaux mondes habitables. Dans Les Feux de Cibola, les auteurs nous montraient les dangers, curiosités et contraintes que cela pouvait supposer de coloniser une planète où les humains ne font pas partie de l'écosystème. Avec Les Jeux de Némésis, on s'intéresse à ce que cette ouverture présuppose pour les mondes existants : la Terre, Mars et les Ceinturien·nes notamment.

Pour la Terre, où la moitié de la population vit sous revenu basique sans pouvoir travailler ou se former, c'est l'opportunité de trouver une occupation, un sens, ailleurs. Pour Mars, cette ouverture remet en question la société même de cette planète : la population travaillait ensemble au bien commun des prochaines générations de Martien·nes qui pourraient avoir une atmosphère habitable et respirable un jour grâce au dur labeur de la population actuelle. Mais est-ce pertinent pour elleux de continuer ce rêve alors qu'il est possible de trouver un monde avec une atmosphère grâce aux portails, après un voyage de plusieurs mois ou quelques années ?

Mais surtout, pour les Ceinturien·nes, c'est leur existence même qui est remise en cause. Tandis qu'il était nécessaire de voyager d'une planète à une autre, d'un astéroïde ou d'une lune à l'autre afin de miner, transporter des ressources à bord de vaisseaux, les Ceinturien·nes qui ont toujours vécu dans l'espace ou sur des astéroïdes avaient toute leur place dans cette économie. Mais si les ressources peuvent à présent être forées sur n'importe quelle planète, et qu'il existe suffisamment de mondes pour que l'espèce humaine entière vive à l'air libre, plutôt qu'entassée sur des astéroïdes… que deviendraient alors les Ceinturien·nes, qui n'ont jamais connu la gravité d'une planète ? Certes, il existe des traitements médicaux et des entraînements physiques qui peuvent permettre aux Ceinturien·nes d'habituer leur corps à la gravité. Mais cela n'est possible que pour deux-tiers des Ceinturien·nes, et seulement s'ielles avaient à leur disposition toutes les ressources médicales et techniques nécessaires, ce qui est loin d'être le cas. Que deviendraient alors des autres ?

Dans un univers où tout un tas de maladie peut être guéri avec une injection, où des membres peuvent être « repoussés » ou remplacés par des prothèses de manière courante, où un implant permet de stopper un cancer, il y a jusqu'ici peu de place donné au handicap dans The Expanse. Mais j'ai le sentiment que c'est tout l'intérêt et la particularité des Ceinturien·nes, qui sont considéré·es ou perçu·es comme étant en situation de handicap parce qu'ielles ne peuvent pas poser pied sur la terre ferme d'une planète. Attention, je suis une personne valide donc ma lecture est à prendre avec de grosses pincées de sel et j'aimerais beaucoup en parler avec des personnes concernées pour avoir leur avis.

Fred Johnson présente les choses ainsi : l'espace fait partie intégrante de la culture des Ceinturien·nes et outre les contraintes physiologiques posées par le fait de vivre sur une planète avec de la gravité, ielles n'ont aucune envie d'y aller et doivent pouvoir faire le choix de continuer à vivre, échanger et participer à l'économie dans l'espace. Je ne peux m'empêcher de penser aux personnes sourdes ou malentendantes qui considèrent que le langage des signes, entre autres choses, fait partie intégrante de leur culture et qu'elles ne désirent pas forcément avoir la possibilité d'entendre, peu importe les possibilités médicales ou technologiques.

À ce sujet, j'ai aussi particulièrement apprécié la mention des entreprises pharmaceutiques qui stoppent, sans penser aux conséquences, la production des traitements médicaux à prix abordable permettant aux Ceinturien·nes de supporter la gravité, pour mettre des ressources ailleurs (notamment dans l'étude des portails). Je pense que toutes les personnes ayant un traitement à long terme ou à vie ont vécu ce genre de chose : un traitement en rupture, sans trop d'explication, qui nous laisse perdu·es et un peu paniqué·es, surtout quand on a cherché longtemps avant de tomber sur le « bon » traitement. Donc j'apprécie particulièrement que les auteurs fassent cette mention, mais encore plus qu'ils reprochent aux entreprises pharmaceutiques de ne pas avoir ouvert les brevets sur les traitements en question, ce qui est un réel problème dans notre société actuelle. Problème qui pourrait être réglé par une économie des savoirs ouverts et par les Communs. Bref, c'est bien la raison pour laquelle j'accroche tellement à The Expanse : dans un univers pourtant éloigné du nôtre, les auteurs arrivent à dénoncer, de façon subtile mais assumée, des travers de notre société.

Si la trame globale, géopolitique à l'échelle de l'espèce humaine est intéressante, les personnages en eux-mêmes le sont également, comme toujours. Chaque personnage a ses caractéristiques, ses désirs propres. Mais peu importe le point de vue qu'on lit, le message tout au long du livre est l'importance de la famille qu'on se créé. Les liens du sang n'ont finalement aucune raison d'être plus forts que les relations qu'on choisit d'entretenir et de créer avec d'autres personnes. Nul doute qu'Alex, Naomi, Amos et Holden se considéraient déjà comme une famille. Mais ce tome donne le sentiment, alors qu'ielles sont séparé·es, d'être le moment où tou·te·s réalisent à quel point leur petite famille à bord du Rocinante est importante.

Les Jeux de Némésis nous montre un Alex Kamal nostalgique du passé, mais qui doit bien se rendre compte qu'il ne peut y retourner, et même que ce n'est pas réellement ce qu'il veut. C'était intéressant de voir l'évolution que le personnage a pu connaître, et surtout de découvrir Mars à travers son point de vue : quelqu'un qui y a vécu des années auparavant mais qui redécouvre la planète dans cette période toute particulière.

Le point de vue d'Amos est une fois encore la preuve de la compétence des auteurs qui parviennent à réellement incarner les différents personnages dans leur façon de voir ce qui se passe, de ressentir leurs expériences et d'en parler. Il me semble que peu de doute persistait mais la neuro-atypie d'Amos est évidente, sans jamais être nommée. Il a des objectifs très clairs, ne s'inquiète que des personnes qui comptent pour lui (on en revient à cette idée de famille choisie), et a besoin de personnes autour de lui sur lesquelles il peut prendre un exemple, que ce soit Holden pour avoir une boussole morale qui lui indique la limite entre le bien ou le mal, ou Naomi pour des gestes (supposément) anodins tels que « quoi faire face à une personne en détresse ». C'était un réel plaisir de lire chacun de ses chapitres.

Je vais terminer par Naomi, mais avant tout c'est le moment du trigger warning / déclencheur potentiel qui peut être aussi considéré comme un spoiler donc ne lisez pas les deux paragraphes qui suivent et les citations si vous ne souhaitez pas découvrir un (petit) élément de l'intrigue, qu'on découvre assez tôt dans le roman. Je vais aussi aborder le sujet des relations toxiques et abusives, de l'emprise qu'une personne peut avoir sur une autre dans ce cadre et de manipulation, donc pareil, sautez ces deux paragraphes et deux citations si ce n'est pas pour vous.

Naomi se retrouve elle aussi confrontée à son passé en la personne de Marco, un Ceinturien·nes avec qui elle a partagé sa vie pendant plusieurs années, jusqu'à ce que ce dernier la trahisse d'une manière assez abjecte. Elle avait alors réussi à s'extraire de son emprise, avec beaucoup de difficulté et non sans danger pour sa personne. L'intrigue l'amène à devoir se confronter à nouveau à lui et les passages du point de vue de Naomi à ce sujet sont glaçants. On ressent toute sa terreur, toute son angoisse qui ressurgit après des années de conditionnement à être considérée comme un objet, qui n'a pas son mot à dire. Marco ne fait pas partie des hommes violents physiquement mais de ceux qui parviennent à manipuler leur entourage avec aisance, à rallier moult personnes à sa cause, à être perçu comme tout à fait charmeur tandis que dans la sphère privée, il ne considérait pas Naomi comme une personne à part entière, à respecter, à écouter, et à ne pas utiliser simplement pour arriver à ses fins.

L'angoisse, le sentiment de profonde solitude, d'emprisonnement que ressent Naomi est tellement bien retranscrit que je me sentais un peu claustrophobe et honnêtement pas très bien à la lecture de ses chapitres. Mais ça montre parfaitement les ressorts employés par les hommes comme Marco, et la difficulté de s'extraire de cette emprise : Naomi parvient tout à fait à analyser son ressenti, elle se rend compte de tout, mais cela est bien loin de suffire pour s'échapper.

Encore un splendide tome de cette série, qui m'a retourné l'estomac, fait sautiller de joie toute seule, qui m'a fait voyager et qui m'a bien sûr donné envie de continuer l'aventure. Sauf que ça risque de ne pas être pour tout de suite, je n'ai pas encore la suite dans mes étagères et visiblement les éditions du sixième tome en anglais sont épuisées ou difficiles à trouver en France… Je n'abandonne pas pour autant et prend mon mal en patience en attendant !
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L'équipage du Rossi est au chômage technique. le vaisseau est à l'arrêt pour au moins six mois pour des réparations de fond.
Alex en profite pour aller sur Mars voir son ex-femme.
Amos se rend sur Terre car une vieille amie est morte.
Naomi file de son côté mais sans révéler l'objet de son départ.
Holden est seul et s'occupe.
Pendant ce temps le berceau de l'humanité, notre bonne vieille Terre est menacée.
Certes, ce tome permet d'en apprendre plus sur le passé des membres la famille du Rossinante pourtant c'est bien long… sans grand intérêt, jusqu'à ce qu'enfin l'action démarre et que le récit soit rythmé.
Je ne crois pas être sensible aux grands sentiments exprimés par le duo d'auteurs… Grand amour, filiation… Cela me laisse de marbre.
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Citations et extraits (28) Voir plus Ajouter une citation
Un cryptage, c’est modifier le message pour que personne ne puisse saisir quels en sont les termes. Alors qu’un code, c’est énoncer ouvertement les termes, mais en modifiant leur signification. N’importe qui peut décrypter un message du moment qu’il dispose d’un ordinateur performant et du temps nécessaire. Mais personne ne peut percer un code.
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La civilisation, c’est ce qui fait que les gens respectent leur prochain. Débarrassez-vous de la première et vous ne pouvez plus compter sur les seconds.
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- Burton? Vous avez intérêt à ne pas me causer de problème, et à la virer de ma lune sans que personne ne l'aperçoive.
- Ça marche, Chrissie.
- Et arrêtez de m'appeler comme ça, bordel. Je suis la secrétaire générale par intérim des Nations unies, pas votre strip-teaseuse préférée.
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- C'est une illusion, l'avertit Bobbie. Quand on prend un nouveau départ, on emporte son passé avec soi. Si on recommençait vraiment tout à zéro, ça signifierait ne plus avoir d'histoire. Et je ne sais pas comment c'est possible.
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Holden comprenait pourquoi l'Alliance ressentait le besoin de s'équiper de telles forces défensives, mais au vu de ce qu'il s'était passé ces dernières années, il ne pouvait s'empêcher de penser que l'humanité tirait toujours les mauvaises leçons de ses traumatismes.
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