C’était exactement l’intention pour moi quand je l’écrivais. Une sorte de recours aux forêts. Une forêt de conte de fées où le champ des possibles s’agrandirait. La fonction narrative de la fuite joyeuse, de l’esquive. Nous traversons des temps troublés, sombres et agressifs. On se prend beaucoup au sérieux, j’ai ressenti le besoin d’une échappée, d’une aventure, j’avais envie de panache, de poésie et de toutes ces valeurs dites « inutiles » comme disait Charles Baudelaire en parlant de Poésie. Je ne voulais répondre qu’à une seule question, celle de la beauté du geste. C’est la vision du monde de Gaspard, le personnage principal. L’ultra-présent, la surprise, la vie comme une aventure. La grande cause qu’ils défendent, lui et ses surprisiers, est la capacité d`émerveillement, la curiosité, l’intensité gourmande et l’ultra-vie.
Gaspard est effectivement un alter ego, je ne sais pas faire autrement. Je me glisse et m’implique émotionnellement dans tous mes personnages. Je les joue, les interprète comme un musicien une partition en mouvement. Car tout change à mesure que je les écris, les idées, les sensations et le carambolage plus ou moins doux entre ce qui leur arrive et ce qui m’arrive de l’autre coté de la vie, quand je ne suis pas en train d’écrire. Oui, Une Sirène à Paris est une suite émotionnelle du Journal d’un vampire en pyjama. La mise en application de l’idée de résistance poétique qui est née pendant mon expérience de greffe de moelle osseuse il y quatre ans. Un devoir de mémoire, un tribute à la joie créative. A l’ensauvagement par le rire et la surprise.
Comme je vous l’ai dit précédemment oui, la question de la capacité d’émerveillement est au cœur de ce livre, et au-delà de ce livre, de l’époque. Je parlerais d’ « écologie émotionnelle ». Pour mieux protéger notre planète en danger, nous devons aussi nous rééduquer à la joie. A la célébration. Nous traversons tous des peines terribles, deuils, déceptions, échecs. Ce n’est pas un déni rêveur que je propose dans ce livre, mais plutôt un encouragement. S’encourager à se surprendre ! Arrêter le temps, au moins de temps en temps. Se donner les moyens d’être sidéré. Pouvoir dire « wow » et le ressentir, malgré les difficultés individuelles et collectives que traversent nos sociétés actuelles. Tout le monde peut le faire. Chaque enfant naît avec une capacité d’émerveillement, un goût de l’aventure et de la surprise. Sans pour autant « régresser », on doit pouvoir se souvenir de cette condition instinctive et spontanée. Abandonner les postures !
Le coquelicophone existe, c’est un harmonica multiple que ma sœur m’a offert, me savant friand de machines poétiques. Je l’ai appelé coquelicophone. Le voice-O-graph existe aussi, cette sorte de cabine photomaton musicale était utilisée dans les années 40. Pour enregistrer des messages, comme la préhistoire du télégramme puis du mail vocal. J’en ai juste détourné l’utilisation. Le flowerburger est un mélange entre les bars « speakeasy » secrets que j’ai découvert à Paris (Candelaria, Moon Shiner, Lavomatic, Red door) esprit prohibition et alcool de contrebande et la véritable épicerie que tenait mon arrière grand-mère à la frontière allemande ; elle y cachait des résistants. L’inspiration est toujours une petite cuisine que je fais bouillir dans la même marmite du réel et de l’imaginaire sans autre jugement que le goût que ça a, la sensation que ça me donne. C’est à l’aune du plaisir que j’ai de penser ces objets que je juge leur utilité à faire partie de l’histoire.
Le rêveur de combat prend le parti de rêver en avançant. Il décloisonne le rêve et la réalité. Il ouvre les portes, les démonte s’il le faut. Se prend des murs parfois, mais recommence, continue à distordre la réalité pour se la rendre plus croustillante et goûtue. C’est un des apanages de l’écriture romanesque, transformer ! C’est un pouvoir magique que l’on peut utiliser tous les jours : l’imagination. Un billet d’entrée vers les profondeurs de son propre cœur, un voyage dans son propre cerveau. Je peux être rêveur contemplatif parfois aussi, mais j’ai besoin de participer à l’action. De risquer la prise de commande pour évoluer dans ces zones aussi amusantes qu’effrayantes où la frontière entre le rêve et la réalité se floutent, comme par exemple quand une vraie crue centennale menace d’engloutir Paris.
Je prends tout à bras le cœur avec appétit et passion. A partir du moment où je suis tombé amoureux d’une idée, je suis comme le pêcheur qui ferre son poisson. En l’occurrence, c’est une sirène qui gigotait dans ma tête. Je n’ai pas lâché. J’ai vécu en immersion avec cette sirène 24h sur 24. J’ai écrit les chansons de Gaspard, j’ai écrit le livre et le script dans le même souffle. Un marathon créatif, une expérience artistique. La logistique m’a freiné parfois, car si dans ma tête c’était « la sirène », comme un projet global, en réalité, c’était bien trois projets, trois bateaux à piloter. Mais les accidents créatifs qu’on crée, ces connexions chanson-livre-film, je ne les regrette pas. C’est une véritable fabrique à étincelles que de se jeter à corps perdu dans une telle entreprise de concassage.
Oui, je pense à une suite. J’ai des idées. Le jour où j’ai rendu mon manuscrit, je venais de passer une nuit blanche à me relire et effectuer les dernières corrections. Puis j’ai envoyé le mail et comme j’étais rempli d’adrénaline, je n’ai pas trouvé le sommeil. J’ai pris une douche pour m’apaiser mais j’ai eu des idées de suite… Je suis retourné sur mon ordinateur et j’ai ouvert un nouveau dossier « Le retour des sirènes », puis j’ai fini par tomber de fatigue. Maintenant, il faut que je digère tout ça, la sortie du livre, l’album, le film peut-être et voir quel sera mon prochain livre. Cette suite est une possibilité très excitante, mais j’ai d’autres livres et expériences qui poussent en moi. Je suis dans ce moment de jachère joyeuse où tout est encore possible.
Sur la route de Jack Kerouac, pour le souffle absolu.
L`Ecume des jours de Boris Vian, peut-être le premier poème page turner de l’histoire de la littérature.
Voyage au centre de la Terre de Jules Verne, pour le goût de l’aventure et de la curiosité.
Quatrevingt-treize de Victor Hugo, alors que je l’avais au bac de français, mais que je relisais plusieurs fois Les Fleurs du mal de Baudelaire.
Mémoires sauvés du vent de Richard Brautigan. Pour la mélancolie joyeuse élevée au rang d’art de vivre.
Aucun (mais je ne les ai pas tous lus).
« Je voyage pour vérifier mes rêves » de Gérard de Nerval.
Les Ronces de Cécile Coulon. Je le relis, car je l’adore mais aussi Personne n’a peur des gens qui sourient de Véronique Ovaldé et son réalisme magique vraiment magique.
Découvrez Une Sirène à Paris de Mathias Malzieu aux éditions Albin Michel :
Son auteur...