Philippe Fortin-Villeneuve présente «Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c'était par amour ok» de Michelle Lapierre-Dallaire (La Mèche), finaliste dans les catégories Roman et Découverte des Prix littéraires du Salon du livre du SaguenayLac-Saint-Jean 2022.
La cérémonie de remise des Prix littéraires aura lieu lors du Salon du livre, le jeudi 29 septembre dès 19 h, au Centre des congrès du Delta Saguenay. Les 6 lauréat.e.s seront dévoilé.e.s le soir même.
Une production du Salon du livre du SaguenayLac-Saint-Jean
Réalisation : Marc-André Bernier
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Je n'aime pas le silence parce que j'ai peur de m'entendre vivre.
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Nous sommes courageuses, audacieuses, concupiscentes, irrévérencieuses et indépendantes. Nous sommes viriles, nous aussi. Le courage, la vaillance; la force ne leur appartiennent pas.
C'est toujours aux femmes de guérir. Il y a des moments où ma fatigue est si lourde que je doute parfois de pouvoir encore la porter. Tout ce travail à faire, ces batailles à mener, la fatigue à dompter. Je pense à moi, à nous, à mes sœurs, mes amies et nos mères qui ont voulu mourir, essayé de disparaître. Pour les hommes. Pour leur faire plaisir, les délester, les délivrer.
Les hommes me reprochent depuis longtemps mon impatience. Ils ne comprennent pas que je suis affamée, avide, que je veuille tout voir, tout faire, tout créer. Ils ne comprennent pas l'insatiabilité de mes fougues. Mon désir d'accéder à la même liberté qu'eux. Je les laisse douter.
Ma mère disait de l'intérieur vers l'extérieur, en parlant de l'énergie qui doit toujours partir de soir. Ne pas absorber l'énergie des autres. Être son propre château fort. Je pense que c'est ce qu'elle voulait dire, mais je n'ai jamais vraiment compris. Car moi, je prends tout ce qui est extérieur et donne tout ce qui vient de l'intérieur. Les contours de mon corps sont floutés, indéfinis. Préserver une intimité ou patienter, ne pas tout dévoiler, aller au fur et à mesure, ce sont des concepts que je ne connais pas. J'explose et j'implose sans arrêt. Mes émotions dégoulinent de mes yeux, de ma bouche de mon sexe. Tout le monde voit à travers de moi et moi, je ne vois à travers personne.
C'est peut-être parce que je sais comment disparaître, m'effacer, que les cicatrices son transparentes, qu'on ne me voit pas, ne m'entend pas. Les seules visibles sont sur mon avant-bras. Celles que je me suis faites toute seule. L'automutilation discrédite les cicatrices que les autres ont laissé sur mon corps. En voulant moi-même mourir, je leur ai donné l'argument qu'ils attendaient pour justifier leur violence. Les cicatrices viennent avec plein de secrets qui ne se racontent pas.
Tu es la mer, la jungle. Un cheval sauvage. Tu es libre. Tu cours, les cheveux fous, les yeux brillants. N'aies pas peur de toi. De tes élans d'appétit, de quêtes inexplicables, de ton passé qui indisposera, incommodera les gens. De tes repères qui ne sont pas les mêmes que ceux des autres. N'aies jamais peur de te lever, de prendre la parole, de t'opposer. Tu as gagné ta place. Tu as le droit d'exister, toi aussi. Tu es ici.
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Le dégoût a toujours été proportionnel aux erreurs qu'on fait pour arriver à s'incarner, à habiter notre corps sans le haïr ou haïr tout le monde autour. Les autres nous rappellent constamment l'ampleur des efforts qu'on doit maintenir, la corde raide sur laquelle on marche pour satisfaire les exigences sociales. Ne pas être si bruyantes, si enthousiastes, si pressées.
Dans les potlucks, les invités apportent des salades de quinoa, des fromages coupés en dés parfaits, de la baguette bien tranchée. Moi, j'apporte l'ensemble de mes traumatismes d'enfant oubliée et je les étalé sur la table, pas d'ustensiles, pas d'assiettes, et j'exige qu'on me regarde les manger directement sur le plancher avec mes mains.
p.55
Les gens ne se doutent pas qu'ils conservent leur cordon ombilical toute leur vie. On ne le voit pas, mais il est là, rattaché à la mère. Avec le temps, il s'effrite en minuscule particules aériennes. Dans le meilleur des mondes, les cordons ombilicaux s'effritent de vieillesse, de nécrose banale du temps