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Coup de coeur lecture 2023
Une fin heureuse
Comme sa mère, son grand-père et tous les hommes de la famille avant lui depuis sept générations, Nicolas est croque-mort et adore son métier. Il tient désormais les rênes de la florissante entreprise familiale. Pourtant, il s'apprête à prendre la décision la plus difficile de sa vie. En plus d'un héritage déjà bien lourd à porter, le voici à présent obsédé par des pulsions inavouables. Tandis qu'il emmène ses deux enfants en voyage, Nicolas tente de comprendre sa part d'ombre et retrace l'histoire de cette lignée d'excentriques au service des défunts. D'une île perdue au milieu de l'océan Pacifique au XIXe siècle, berceau de leur généalogie, à l'actuelle Copenhague, se dessine une incroyable saga familiale où les gènes décident de l'avenir de chacun. Car la question se pose : une dynastie qui vit des morts depuis des siècles peut-elle vraiment connaître une fin heureuse ? Maren Uthaug réinvente la saga nordique, en l'épiçant d'humour noir et de provocation.
Une fin heureuse de Maren Uthaug @gallmeister
-- traduit du danois par Marina Heide et Françoise Heide
Disponible au rayon Littérature de la librairie et sur le site !
https://www.ombres-blanches.fr/product/655110/maren-uthaug-une-fin-heureuse
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CE que je sais de notre famille*, je le tiens pour l’essentiel de mon grand-père maternel. Quand j’étais petit, je passais souvent la nuit chez lui. Il habitait l’appartement le plus proche du nôtre, où je vivais avec ma mère et Tante Em. La nouvelle génération et l’ancienne se faisaient face depuis que les morts du choléra avaient donné à mes ancêtres les moyens d’acheter le premier logement, avant que ceux de la grippe russe ne viennent nous gratifier du second. Depuis la grippe espagnole, notre famille est propriétaire de l’immeuble entier.
* Famille de croque-morts 😁
L’amour, c’est une maladie mentale, m’a-t-elle dit. Veille à ce que ça ne dure pas. Parce qu’autrement, elle finira par te baiser.
Les humains, comme on le sait, ont besoin dans l’existence d’une certaine dose de danger pour pouvoir être heureux, faute de quoi ils s’inventent des névroses, des phobies et autres fantaisies dont leur esprit se divertit pour éviter les affres de l’ennui.
Le paysage automnal insiste pour qu'on lui prête attention. avec leurs troncs blancs et leurs branches noires, les bouleaux arctiques le long de cette route asphaltée qui semble conduire à la fin du monde lui souhaitent à leur tour la bienvenue, mais eux, surtout, un bon retour à la maison. (...)
Kirsten ferme les yeux. C'est dur de rentrer chez soi quand ce foyer n'est plus le sien. (p. 199)
Le premier hiver au Danemark, Kirsten se rendit compte qu'elle échappait ainsi à l'un de ses pires cauchemars: les auréoles boréales. Ici, les nuits étaient uniquement noires et constellées d'étoiles. Parfois éclairées par la lune, elle-même de temps en temps pleine. Autrement dit, des nuits supportables. (p. 103)
Et Marie de songer aussi : peut-être que la gamine était trop originale pour s'en rendre compte un jour, passant son temps le nez dans ses feuilles avec son crayon, plongée dans son monde, à dessiner tout ce qu'elle voyait. Comme si son environnement immédiat n'existait qu'une fois couché sur le papier. (p. 66)
Déjà qu'on était pas mal déprimé à cause de cette foutue nuit polaire. Même les locaux, ceux qui étaient nés ici, dans cette Norvège du Nord, ils ne la supportaient pas. Pas étonnant que la région ait le plus haut taux de suicide du pays. Le froid, passait encore, on pouvait s'en protéger: il suffisait de mettre une couche de vêtements supplémentaire. Mais l'obscurité, non: le noir se glissait dans le crâne et colonisait l'esprit. (p. 9)
La polio fut la dernière épidémie qui poussa les Danois à s’enfermer chez eux et à garder leurs distances. Durant les années 50 et 60, la mort se confronta de nouveau à la science qui ne cessait d’inventer des vaccins. Anéantir plusieurs personnes en même temps ne s’avérait plus aussi facile qu’autrefois, mais la mort ne fut pas désarmée bien longtemps. Ironiquement, l’homme faisait toujours des trouvailles qui décuplaient ses possibilités.
À cette époque, il n’y avait pas encore beaucoup de voitures dans les rues. Chaque mois, les accidents de la route faisaient pourtant trois fois plus de victimes qu’aujourd’hui. Non pas parce que les véhicules étaient moins sûrs et les gens de piètres conducteurs, mais parce que beaucoup avalaient dix bières avant de prendre le volant. Pratique que personne ne remettait en cause.
Les médecins ne savaient à quel saint se vouer. Ils tentaient de recourir aux classiques saignées, sans constater d’effet sur les malades, leur frottaient le corps avec des linges imbibés de camphre et d’huile de térébenthine, leur appliquaient des ventouses, leur posaient des sangsues sur les tempes. Ils torturaient leurs patients en leur faisant subir des séances de sudation, des cures d’opium ou de sel. Ils les enveloppaient de couvertures et les faisaient asseoir au-dessus de pierres chauffées que l’on arrosait de vinaigre, ou encore, suivant les conseils de leurs confrères anglais, leur administraient des préparations à base de mercure et leur prescrivaient des bains de vapeur, des vomitifs et des laxatifs.
Même si on avait fait appel au jeune homme pour s’assurer que le mort, simplement, était mort, Christian IV considérait comme son devoir d’aider ce dernier à comprendre ce qu’il en était. Il n’avait pas beaucoup de temps devant lui, car contrairement aux gens des époques antérieures, ceux de maintenant souhaitaient qu’on les débarrasse du corps et qu’on le dépose à la chapelle le plus vite possible. À mesure que s’enchaînaient les révélations de la médecine sur les potentielles sources de contamination, l’idée d’avoir un mort au milieu du salon devenait plus déplaisante. Ce qu’on ressentait autrefois comme intime et festif n’était plus qu’effrayant et macabre.