"....the most magical moments in reading occur not when I encounter something unknown but when I happen upon myself, when I read a sentence that perfectly describes something I have known or felt all along. I am reminded then that I am really no different from anyone else."
( les moments les plus magiques de la lecture sont, non quand je lis quelque chose qui m'est inconnue, mais quand je lis une chose qui m'est propre, qui décrit parfaitement ce que j'ai connu ou senti. Alors ça me rappelle que je ne suis pas plus différent de qui que ce soit )
Les morts vivent parmi nous. Le chagrin n'est pas une énigme policière, pas plus qu'un mystère à résoudre, mais une entreprise active et vibrante. C'est un travail ardu et sincère. IL peut nous briser les reins. [p. 197 / La terre qui les sépare, 2016]
La culpabilité est la compagne éternelle de l'exil. Elle entache chaque départ.
Je me rappelai ce que Sarah Hamoud, qui dirigeait le bureau libyen d'Amnesty International, m'avait dit une fois : " il n'existe aucun autre pays où opprimé et oppresseur soient aussi intimement mêlés qu'en Libye. "
... je me rappelle le jour où cet homme qui n'était jamais à court de vers me dit que " connaître un livre par cœur est comme porter une maison à l'intérieur de sa poitrine ".
Cela, je crois, fait partie de l'intention, du processus. On fait disparaître un homme pour le réduire au silence, mais aussi pour racornir l'esprit de ceux qui restent, pour pervertir leur âme et limiter leur imagination. Lorsque Kadhafi enleva mon père, il m'enferma dans un espace pas beaucoup plus grand que la cellule dans laquelle il l'avait jeté. J'allais et venais dans cet espace, mû par la colère d'un côté, puis par la haine de l'autre, jusqu'à ce que je sente mes entrailles se rassembler et se durcir. (p. 287)
Les exilés ont si souvent tendance à construire une vision romantique du paysage de leur patrie. Je me suis prémuni contre cela. Rien ne m'irrite davantage qu'un Libyen s'emportant avec des accents lyriques sur "notre mer", "notre terre", "la brise du pays". En mon for intérieur, cependant, je continue de trouver que la lumière de chez nous est incomparable. (p. 58)
Le pays qui sépare les pères des fils a désorienté plus d’un voyageur. Il est très facile de s’y perdre. Télémaque, Edgar, Hamlet et d’autres fils innombrables dont le drame intime égrène les heures de silence, ont vogué si loin et parcouru de si longues distances entre le passé et le présent qu’ils semblent pour toujours à la dérive. Ce sont des hommes qui, comme leurs semblables, sont venus au monde par le biais d’un autre homme, un mentor, qui leur a ouvert la porte, et qui, s’ils sont chanceux, l’a fait avec douceur, en leur adressant peut-être un sourire rassurant et en posant sur leur épaule une main encourageante. Les pères savent forcément, ayant eux-mêmes été des fils, que la présence fantomatique de leur main restera des années durant et jusqu’à la fin des temps, et que, quels que soient les fardeaux qu’on accumulera sur cette épaule et le nombre des baisers que l’amour viendra y déposer, sans doute attiré par le désir secret d’effacer le sceau d’un autre, cette épaule restera pour toujours loyale, en souvenir de la main de cet homme qui a eu la bonté d’ouvrir les portes du monde. À chaque jour qui passe, le père s’enfonce plus profondément dans sa propre nuit, dans le brouillard, laissant derrière lui des lambeaux de ce qu’il a été et cette vérité monumentale et pourtant simple, à la fois frustrante et bénéfique -car comment le fils pourrait-il continuer à vivre s’il ne lui est pas donné d’oublier à mesure-, cette vérité qui tient en une phrase : quels que soient nos efforts nous ne pourrons jamais pleinement connaitre nos pères.
À d’autres tables disséminées ici et là, des prostituées haut de gamme étaient assises deux par deux pour siroter du vin. Elles ressemblaient à des fleurs artificielles.
Car sa démarche elle-même était pleine de bravade. Lorsque j'entendis cela pour la première fois, je me dis aussitôt que c'était remarquablement observé. Tout petit déjà, il m'était impossible d'imaginer mon père courbant l'échine. Et très tôt aussi, j'ai voulu le protéger. Il m'est toujours apparu comme la quintessence de l'indépendance. Cette impression très forte, mêlé à l'aspect irrésolu de son destin, a complexifié ma propre aptitude à l'indépendance. Nous avons tous besoin d'un père contre lequel se révolter. Lorsque votre père n'est ni mort ni vivant, lorsque c'est un fantôme, la volonté est impuissante. Je suis le fils d'un homme peu ordinaire, peut-être même le fils grand homme. (p. 51)