Céline Denjean

Je le sais,je le sens déjà,je porterai toute ma vie le fardeau de ce secret.

Rosetta hoquette. S'imagine un porc monstrueusement mutilé, suffoquant dans son sang, rendant son dernier souffle. Se prépare mentalement à l'horreur de ce qu'elle va découvrir. Elle ose un pas, puis deux. Au troisième, elle entrevoit la bouche sombre d'où monte l'épouvantable plainte. D'instinct, elle se déporte sur le côté et laisse pénétrer la lumière falote de cette morne journée. Quand elle est suffisamment près et qu'elle commence à distinguer les détails de l'amas pestilentiel, ses yeux s'écarquillent. Elle réprime un haut-le-cœur, plaque ses mains sur sa bouche pour juguler un hurlement.

Elle, la belle séductrice dédaigneuse, prête à tout pour le conquérir… Les regarder l’un et l’autre minauder quinze ans après, comme si de rien n’était… C’était purement insoutenable ! Ces gens-là traversaient l’existence avec l’aisance des voiliers sur une mer sans vague un jour de grand vent ! La rage, de nouveau, m’a torpillé le ventre. Je suis retourné à la ferme, l’âme cisaillée et l’esprit ivre de colère.

Il faisait partie de cette catégorie d’individus dont chaque parcelle de vie était impeccablement contrôlée. Rien ne lui échappait. Il régnait sur son clan, ses affaires, sa clinique, son laboratoire et ses relations. Il régnait sur tout. Ne reculait devant rien. Le parfait winner admiré de tous, le gendre idéal, le père modèle.

Est-ce qu’un homme peut détourner une séquence de la vie courante au profit d’un penchant pervers ? Et est-ce qu’une enfant de l’âge d’Alicia sur la photo peut ressentir une intention particulière à ce moment-là ? Abby secoua la tête. Ce n’était pas tant cet instant photographié qui comptait que la somme de tous les instants dérobés à la vigilance des autres, détournés de leur apparente innocence…

La séduction était chez lui une seconde nature. Après une très longue période de déprime sévère, Abby avait finalement fait le choix de rester, tant l’idée de tout ce qu’elle aurait à affronter en cas de divorce lui paraissait insurmontable. Une bataille contre Yohann par avocats interposés, non merci ! Il l’aurait écrasée comme un insecte parce qu’elle n’était pas faite, elle, du bois des vainqueurs. Elle n’avait ni la hargne ni l’énergie nécessaires à la guerre.

Elle n’était pas faite pour ça. Pour ce jeu du chat et de la souris. Pour ces intrigues voilées, ces semi-vérités, ces faux-semblants en demi-teinte. Elle n’avait pas mis les bouts à dix-huit ans pour rien.

Une fois encore, je rêve de briser la malédiction de ma famille. Je devrais me venger. Détruire les Le Guen. Révéler tous leurs infâmes petits secrets… Je m’assois sur le lit. La tête me tourne un peu parce que l’idée veut me convaincre qu’elle est bonne. À bien y réfléchir, maintenant que mon père est mort de ses remords, il serait peut-être temps de sortir les cadavres du placard...

Quand elle faisait tous ces trucs avec les mecs, c’était bizarre, ça m’excitait et en même temps ça me dégoûtait. Bien sûr j’aurais bien aimé faire ces trucs aussi avec elle, mais après, je crois que j’aurais eu honte d’elle. À l’époque où elle était encore là, j’y allais tous les soirs. Je ne pouvais pas m’en empêcher.

Malgré mon bac avec mention bien, je dois me faire une raison. Parce que mon rêve à moi, ça aurait été de faire une école de commerce. Pour avoir un bel avenir. À part que c’est trop cher. Mes vieux, eux, sont déjà fiers comme des paons parce qu’ils ont un fils bachelier. Les gueux…

C’est que la force, chez les petits, on n’en use que pour besogner, voyons ! Je tremble de tous mes membres, c’est la rage, encore elle. Elle me rendra fou ! Les dents serrées, je retire le tiroir le plus bas de ma commode. Le petit dossier est toujours là, dans un transparent scotché dessous. J’arrache le plastique et les documents s’éparpillent au sol. Les articles de presse me sautent alors aux yeux avec leurs titres effroyables : « Près de Carnac, un bébé retrouvé dans la poubelle d’un abattoir abandonné .

Quand je n’étais encore qu’un adolescent qui croyait pouvoir prendre sa revanche. Qui s’imaginait revenir au pays avec des liasses au bout des doigts, dans une BMW décapotable surboostée...

Est-ce qu’une mère peut haïr sa fille ? Toi, tu as peut-être un avis sur la question… Moi, je sais… Moi, je suis la réponse. D’aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais vu dans les yeux de ma mère que la désolation de m’avoir enfantée. Rejet viscéral. Dégoût. Parce que je suis l’incarnation même de son drame …(p15)

Un vent d'adrénaline soufflait désormais sur cette sordide enquête. La fin approchait... Restait juste à savoir laquelle...

En réalité, tu es une pétocharde Atrimen, parce que tu as peur de désobéir, de prendre une décision, ta décision.

La plus grande des peurs est peut-être celle de remettre en cause nos croyances.

Le froid et la nuit s'enroulaient autour de nos cous comme une écharpe de suie glacée.

Cruelle, cette grande taille, pour une femme! Car nul besoin d'un miroir pour vous rendre compte de votre démesure : la présence de l'autre à vos côtés vous la rappelait en permanence...

C'est un petit village, tout le monde se connait. Tout le monde sait tout sur tout le monde.

Ses avertisseurs étaient dans le rouge. Mais il ignorait complètement s'il déraillait ou si cette femme était vraiment là, tout près, tapie dans l'ombre, prête à lui sauter à la gorge.