Citations de Anuradha Roy (73)
Durant tous ces mois, mon souvenir de sa réalité physique [Celle de la mère du narrateur ] s'était estompé. elle n'était plus vraiment une personne ayant existé mais plutôt le concentré de tout ce qui me manquait dans la vie. (p. 181)
Je refusais d'envisager l'avenir. Ma vie ayant été cruellement chamboulée une première fois déjà, je ne pouvais que me concentrer sur le présent. J'aborderais chaque nouvelle journée comme s'il me fallait descendre un cours d'eau juchée sur une feuille. Ne pas couler : je n'en demanderais pas davantage.
Notre pays est dans la tourmente, notre peuple se bat pour la liberté et, toi, toi, tu ne penses qu'à toi.
-Peux-tu me dire en quoi la liberté de la grande nation me fera du bien ? Vas-y, je t'écoute ! ça va me libérer ? ça va me permettre de choisir la vie que j'ai envie de mener ? Je vais pouvoir y rester et peindre aussi ? (...) Je vais pouvoir passer une nuit à la belle étoile, à l'extérieur de la ville, comme ton père l'autre jour ? Même Mychkine ( le fils de l'interlocutrice ] est plus libre que moi. Alors, s'il te plaît, ne me parle pas de liberté ! (p. 88)
Je ne suis pas triste, je ne pense pas au chagrin. L'eau est bleue et belle, j'ai seulement envie de la peindre.
elle avait immédiatement plaqué la main sur la bouche, épouvantée d'avoir contredit le poète. L'avait-elle irrémédiablement offensé ? Bien au contraire : son refus spontané de faire preuve d'un respect béat avait soulagé Tagore, qui étouffait sous l'adoration continuelle qu'il suscitait. Il avait par conséquent sollicité sa compagnie et lui avait demandé de venir le rejoindre chaque jour sur le pont. (p. 31)
Vivre sans me faire remarquer est une habitude acquise il y a très longtemps. Même au travail où il m'est arrivé de caresser brièvement des rêves de réputation et de notoriété, j'ai fait rapidement marche arrière quand j'ai compris ce que ces notions impliquaient. Si j'étais une plante, je serais celle qui aime l'ombre et qui pousse sous un arbre, dans le fond du jardin où personne ne la voit ni ne vient couper ses fleurs pour les mettre en vase. (p. 185)
Il y a ici plusieurs institutions charitables qui offrent à manger aux moines et aux pèlerins, écrivait-il (père du narrateur), mais celles dans lesquelles je suis allé fonctionnent selon les castes. On est nourri et respecté si on fait partie des brahmanes. Autrement, on est traité comme un mendiant. Dans les endroits qui acceptent de nourrir quelqu'un comme moi, de caste indéterminée et sans religion, un simple gueux en clair, je dois me contenter de galettes sèches et d'un peu d'eau. Je comprends mieux à présent ce que signifie dans notre pays être pauvre et de caste inférieure ou inconnue. (p.161)
Entouré de mes chiens, je me sens heureux et comblé comme je ne l'ai jamais été avec des êtres humains. Les gens interprètent ma solitude comme un signe d'excentricité ou une forme d'échec, ils pensent que je me suis rapproché des animaux et des arbres parce que les hommes m'ont trahi ou que je n'ai personne à aimer. Il est difficile de leur expliquer que je trouve dans l'ombre d'un arbre planté il y a des années ou la fougue fiévreuse d'un chien occupé à poursuivre en vain un papillon ce qu'aucune interaction humaine ne peut m'apporter. (p. 62)
On m'avait surnommé Mychkine (...) Dada, mon grand-père, m'appelait ainsi à cause de mes convulsions. En référence à un prince épileptique d'un livre de Dostoïevski intitulé -L'idiot-, m'avait-il expliqué. Le Prince Mychkine.
- Je ne suis pas idiot, avais-je rétorqué.
-Quand tu liras L'Idiot, tu voudras en être un. L'innocence est ce qui donne aux hommes leur humanité. (p. 13)
Ailleurs, le sol est trop plat, l'air trop lourd, les feuilles des arbres trop grandes pour être vraiment belles. La couleur de la lumière ne convient pas, les sons ne produisent que du bruit.
Quand vous aurez mon âge, vous comprendrez que le mal est partout. est-ce que quiconque a pris Hitler au sérieux quand il a annoncé pour la première fois qu'il allait éliminer les juifs ? C'était il y a quinze ans ! Je me souviens que, dans les années 1920, tout le monde était persuadé qu'il retournerait en Autriche s'occuper de son potager.
- J'évite de penser à tout cela. On doit se concentrer sur cette vie qu'on doit vivre, cette vie qu'on doit aimer, cette vie qu'on doit jouer. Il faut être au coeur de la vie. Arrêter de penser à toutes ces choses graves, arrêter de mourir à petit feu à force de s'inquiéter. (p. 117)
- Walter a été emprisonné dans un camp russe pendant la guerre parce qu'il était allemand. C'est là qu'il a découvert de nouvelles choses : il appelle ça le cubisme, l'expressionnisme, le futurisme. Il a découvert qu'un ensemble de lignes, de carrés et de cercles peut produire de la beauté et du sens, a expliqué Dada (...) Ensuite, d'après ce qu'il raconte, il a découvert le travail de ce Rousseau et cela a été pour lui une véritable révélation. (p.98)
Tous les matins, je faisais tinter la sonnette métallique de ma bicyclette jusqu’à ce que ma mère sorte dans son sari de nuit fripé, les cheveux et les traits encore chiffonnés de sommeil. Elle s’appuyait mollement contre une des colonnes blanches de la véranda, prête à se rendormir même debout. C’était une lève-tard, été comme hiver. Elle traînait au lit aussi longtemps que possible, enlaçant son oreiller. Banno Didi, ma nounou, me réveillait et me préparait pour l’école. À mon tour, je réveillais ma mère. J’étais son réveille-matin, disait-elle.
Mais je suis toujours revenu à ma première fonction : celle d'éminent jardinier dans une ville minuscule. Quand d'autres s'apprêtent à léguer à leurs descendants des plans d'épargne, de l'argent et des maisons, je ne peux que pointer du doigt des avenues bordées d'arbres et dire : "Voici ce que je vous laisse". (p. 18)
Une nuit, un cheval de terre cuite le visita en songe : ses naseaux crachaient du feu, il avait des yeux de braise et il s'adressa à lui si clairement que le potier comprit chacun de ses mots. S'il apprenait à chevaucher ce cheval de feu sur la terre et sous l'eau, la femme serait à lui. Il se réveilla avec la certitude que ce cheval devait voir le jour et que cétait à lui de le créer.
Or, forcer ma mère à adopter une conduite convenable était voué à l’échec. Il aurait dû savoir que l’obéissance occupait une place de choix dans la liste des sept péchés capitaux qu’elle avait établie, suivie de près par le respect des convenances . (p. 140)
Il m'est tout aussi difficile de réexplorer la douleur et je n'écris pas tout ceci dans l'idée de raconter ma vie aux autres. Je n'ai pas de descendants susceptibles de me poser des questions (...)
C'est peut-être seulement une façon de gagner du temps : je n'ai toujours pas ouvert le paquet envoyé de Vancouver (...) Pourquoi est-ce que je ne l'ouvre pas tout simplement ? De quoi ai-je peur ?
j'ai peur de raviver la douleur. (p. 92)
Il m'avait fallu des années à partir de ce jour là pour m'agripper de nouveau à une forme de normalité. J'avais perdu mon goût de l'aventure, mon impulsivité.
Poursuivre impitoyablement son objectif, prendre des risques mesurés.
C’est un vrai talent qu’il convient de ne pas sous-estimer, l’art de ne pas être là quand il s’agit d’accomplir un travail fastidieux pour quelqu’un d’autre.
Quand j'étais petit,j'étais celui dont la mère était partie avec un Anglais.Il s'agissait en fait d'un Allemand mais dans les petites villes indiennes en ce temps-là,on avait tendance à considérer que tout étranger blanc était forcément britannique.(p.11)