Guernica c'est d'abord une petite ville basque symbolique et martyre, bombardée par l'aviation allemande avec l'accord de Franco le 26 avril 1937, dont le nom est définitivement attaché au grand mural (349 X 777 cm) que Picasso réalisa à la demande du gouvernement républicain espagnol pour son pavillon à l'exposition internationale de Paris qui ouvrait ses portes un mois plus tard, le 25 mai 1937. le livre commence par rappeler le contexte politique et culturel des années 1936 et 1937. Dédicace discrète au passage de l'avocat
Germain Latour à
Daniel Cordier. Lecture passionnante, extrêmement bien documentée. Une sorte d'enquête, riche d'une foule d'informations, un peu touffue parfois juridiquement, dans sa deuxième moitié. Il est question à la fois d'Histoire à travers la suite des tragédies européennes pas si lointaines - guerre civile espagnole, dictature franquiste et début de la seconde guerre mondiale -, de l'engagement intellectuel et politique d'un artiste, Picasso en l'occurrence, d'art et de peinture puisque l'oeuvre "Guernica" en est le sujet principal. Intense lecture d'où se détachent une oeuvre majeure et emblématique du XXe siècle très bien analysée et le portrait en creux, nuancé, de Picasso, égratigné cependant sur l'image de son engagement aux côtés des républicains espagnols à qui il fit payer très cher son génie (en espèces sonnantes et trébuchantes), ce que révèlent les archives du dossier de la restitution du Guernica à l'Espagne, dont certaines pièces sont révélées ici et que j'ai découvertes. Alors qu'il l'avait vendue, le doute sera pourtant toujours entretenu par Picasso se comportant comme si l'oeuvre lui avait toujours appartenu et lui appartiendrait toujours. Il est vrai qu'il l'avait sauvée du désastre en acceptant en 1939 son départ pour une tournée américaine alors que la république espagnole était défaite. Mais bizarrement ni lui, ni ses différents conseils et encore moins son avocat (
Roland Dumas) ne clarifièrent jamais ensuite la question de l'appartenance de l'oeuvre ; ils contribuèrent même à l'opacifier, en 1970, par une lettre commune très ambiguë (à interprétations multiples) adressée au MoMA où le tableau était en "dépôt" depuis longtemps avec l'accord de l'artiste. Incertitude juridique étonnante que les héritiers exploiteront après la mort du peintre en 1973. Picasso ne laissait pas de testament ! du coup tout le monde pouvait en revendiquer la propriété.
1981 : centenaire de la naissance de Picasso. le retour compliqué, dans une discrétion voulue, du "Guernica" à Madrid, le 10 septembre, fera dire le lendemain au ministre de la culture espagnol dans El Pais : « C'est le dernier exilé qui revient aujourd'hui en Espagne ».
La biographie de Picasso croise ici le Droit et interroge massivement sur l'artiste dans ce dossier plus particulier de la restitution de l'oeuvre à son destinataire initial, le peuple espagnol, telle qu'il l'avait exprimée. Aspects insoupçonnés et peu connus de la mémoire à tout le moins oublieuse de Picasso et d'une forme de vénalité présidant à la création du "Guernica" que dévoile
Germain Latour sur les bases d'une documentation fouillée. Les déclarations de Picasso, pour sincères qu'elles furent et bien qu'abondamment documentées, ne suffirent pas à désarmer ses héritiers sourcilleux de leur droit moral ou en mal de reconnaissance. de même que ses ambiguïtés fondèrent l'attitude plus qu'attentiste et ambivalente du MoMA. Après la mort de Franco en 1975, (dont l'entourage avait échoué dans une tentative de récupération culturelle de l'oeuvre de Picasso), et malgré le rétablissement des libertés publiques, condition fixée par Picasso pour le retour du tableau en Espagne, le dossier était loin d'être réglé. le gouvernement d'Adolfo Suarez, résolu à dépasser le conflit des mémoires antagonistes, réussira mais non sans mal à faire taire toutes les polémiques en retrouvant une partie des documents égarés de 1937 formalisant les droits espagnols sur "Guernica". L'immersion est totale dans les arcanes et les manoeuvres diplomatiques ou institutionnelles et privées entre le représentant officiel espagnol, Rafael Fernandez-Quintanilla, la direction du MoMA,
Roland Dumas et les héritiers de Picasso. Six ans seront nécessaires pour débloquer la situation et trouver un accord. Guernica qui porte le témoignage exceptionnel d'une époque et celui d'une oeuvre d'art de portée universelle méritait bien ces pages éclairantes, fortes de leurs archives troublantes inédites.