Dix-huit expositions simultanées dans dix-huit villes pour mettre les Arts de l'Islam à l'honneur : c'est le défi relevé par la commissaire Yannick Lintz. Lorsque le projet est commandé par Jean Castex, il s'agit d'utiliser la culture et les arts pour lutter contre les discours de haine, les a priori et les instrumentalisations de la culture par le fanatisme religieux. La proposition de la commissaire Yannick Lintz, directrice du département des Arts de l'Islam du Louvre, est le dispositif éducatif Les Arts de l'Islam : un passé pour un présent diffracté dans dix-huit villes françaises.
Cet héritage multiculturel est mis en dialogue avec une oeuvre d'art contemporain dans chacune des dix-huit villes. À Nantes, c'est l'artiste franco-algérien internationalement reconnu Adel Abdessemed qui présente sa vidéo "God is Design" (2005) aux côtés d'objets qui éclairent les fastes de l'empire ottoman, des rois iraniens de la dynastie qajare et des palais de Cordoue.
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J'ai aussitôt perçu son rire dément, ou plutôt trop humain pour cette époque qui fait la gueule parce qu'elle n'a plus de face.
Quatre, exactement, de formes diverses, mais unies par leurs noms étranges : "La Barbarine", "La Sereine noire", "Art russe"..
"Je les ai reçues il y a quinze jours, cadeau. Un ami architecte qui connaît les secrets des roses des sables. Normalement, on devrait commencer par le côte-rôtie, mais il faut qu'il s'aère, et puis, d'abord, il y a ça, dit-il en me présentant une bouteille dont l'étiquette portait un simple nom. Cuvée "Socrate". Chose promise. Tu l'as déjà goûtée dans mon atelier. Château Massereau, à Barsac. Deux frères à la manœuvre. Cueillette grain par grain, pressage manuel. Du vin à l'ancienne. Je me suis dit qu'il fallait qu'on commence par le verbe. Nous avons déjà l'âme.
- Et le corps, j'espère.
- Manipulation des jus uniquement par gravitation. La beauté.."
L'été de Camus venait immédiatement à côté de L'éloge de l'ombre de Tanizaki, Par-delà le bien et le mal se serrait contre Crime et châtiment, comme L'odyssée et le Voyage autour de ma chambre, ou Lolita tout contre Une vieille maîtresse.. Tant d'injonctions contradictoires qui m'ont fait murmurer : "Le plus dangereux ici n'est pas ces liqueurs et ces flacons remplis d'eau de feu dont nos langues seront les mèches, mais ces petits tas de feuilles sèches qui peuvent à tout moment embraser l'âme.
D'ailleurs, je trouvais la plupart des artistes tristes comme des embaumeurs de cadavres, ils n'y croyaient plus eux-mêmes, ils accommodaient les restes, c'est tout. Adel, lui, continuait de pratiquer une cuisine épicée, et je dis "cuisine" car cet art-là, qui n'est pas loin de l'ancienne alchimie, comptait au premier chef, chez lui. Se nourrir, et nourrir. Prendre des forces, et en donner. Une histoire de saveur, de vitamines, de lien à la nature, au vivant.
Adel Abdessemed n'exposait jamais sans s'exposer. Il "se jouait la vie", comme disent les toreros. Ou pour le lire comme Leiris, qui les aimait tant, les toreros, il affrontait en permanence "la corne acérée du taureau, qui seule - en raison de la menace matérielle qu'elle recèle - confère une réalité matérielle à son art, l'empêche d'être autre chose que grâces vaines de ballerine".
- Et je suis censé faire quoi ? T'observer ? Prendre des notes ?
- M'accoucher, peut-être ? Maïeutique, maïeutique.. J'apporterai Socrate !"
Socrate, père de la "maïeutique" : en philosophie, l'art d'accoucher les esprits des vérités oubliées, du grec maïa, la "petite mère", la nourrice.
- "Socrate ?
- Socrate. Le vin qu'on a bu, à l'atelier. C'est de la beauté !"+
Adel m'avait donné rendez-vous près du musée dans une "librairie-bar" répondant au nom de La Belle Hortense. Elle était nichée dans le marais, ce quartier parisien queer et cossu qui fut au Moyen-Age une zone inondable avant d'être investi par les ordres religieux les plus divers. Dieu contre les inondations ? Le Christ, après tout, sait marcher sur l'eau.
J'admirais son travail, j'admirais sa personne, j'admirais l'énergie avec laquelle il se jetait dans la bataille, et sans cesse recommençait. Il était temps, peut-être, à ma façon, de prendre une toute petite part de son risque, ou du moins de le comprendre. D'être l'herméneute. De remettre des mots sur ses images.
Picasso rêvait d'être picador. Il s'est identifié souvent au taureau, au Minotaure, et seulement à la fin de sa vie, face à la mort, au torero.
En même temps il disait :
"Le taureau n'est pas le fascisme, mais la brutalité et l'obscurité."
"On terminera par le côte-rôtie, donc. Tu connais Gangloff ? La Sereine Noire. Ce nom, je me disais que ça te plairait. On l'aères aussi.. C'est un chef d'œuvre. On attaque les bordeaux et on finit avec ça, ça permettra de dormir un peu."