Presque une semaine que j'ai refermé ce livre, et il me hante.
J'avais vraiment décidé de ne pas écrire de retour. J'avais aussi besoin de parler de mon ressenti avec quelqu'un qui l'avait lu, plus précisément avec Chrystèle, parce que je ne partageais pas tout à fait son sentiment.
Par contre, nous sommes tout à fait d'accord quant au ressenti post-lecture.
Je me permets de citer un passage de la critique de notre amie :
"
le passeur fait partie de ce genre de livre qui crie, qui narre sans fioriture l'innommable, cet innommable à deux heures d'avion de nos petites vies occidentales confortables. Je ressors marquée, bouleversée, avec la nausée aussi tant le récit est brut."
Près d'une semaine après ma lecture, elle m'obsède encore, notamment parce que je n'arrive pas à faire le tri dans mes pensées.
Nous sommes en Lybie, le 15 octobre 2015, et les Croisières Seyoum s'apprêtent à effectuer la dernière traversée de l'année. Fermeture hivernale.
Les places sont chères pour embarquer sur le magnifique paquebot de 11 mètres de long, 2 mètres de large et 1.50 mètre de profondeur.
Capacité : entre 100 et 150 personnes.
Soudanais et Somaliens sont arrivés en masse, déjà trop nombreux.
La traversée du désert aura été moins fatale que l'avait prévu Seyoum.
Ajoutez à ça l'arrivée prochaine d'une soixantaine d'Érythréens.
Toute une vie d'économies pour prendre ce bateau, qui déposera les passagers en Italie... s'ils l'atteignent.
Nul besoin de vous faire un dessin.
Tout lecteur est prêt à le trouver immonde, ce Seyoum, qui se fait un fric monstre sur le malheur des désespérés... sur "l'espoir des désespérés".
Il est loin d'être le seul, le business a explosé, la concurrence se fait rude, les petits nouveaux étant bien décidés à profiter de la manne, ce qui n'arrange pas les garde-côtes.
Mine de rien, ça leur fait du boulot, tous ces naufrages successifs, résultats de l'inexpérience... entre autres, mais si on commence à parler de l'état des coquilles de noix, dont les fuites sont colmatées au petit bonheur la chance, on n'en sort plus.
Mais revenons à Seyoum, qui carbure au khat et à l'alcool de contrebande.
C'est important la qualité pour être bien dans ses pompes.
10 ans que le puissant et très connu Seyoum exerce dans la "profession", prenant grand soin de ses cargaisons, selon ses termes.
Pensez donc, un hangar presque spacieux, dans lequel les humains affamés et deshydratés s'entassent, avec le soleil impitoyable qui cogne sur les parois.
À propos de cogner, Seyoum et ses sbires ne s'en privent pas quand l'un des passagers tente d'émettre une plainte sur les conditions de déten... (pardon, j'ai failli critiquer) la chaleur, les odeurs insoutenables, au point qu'on suffoque en ouvrant la porte, sans parler de l'état des hommes, femmes, enfants.
Tous les sens sont sollicités...
Normalement, c'est là que je devrais dire que l'émotion m'étreignait intolérablement pour les pauvres gens, victimes ++
Mais en fait, lors de ma lecture, je n'ai pas ressenti ça du tout.
C'est venu ensuite.
En fait, j'étais tellement immergée dans la peau de ce passeur en particulier qu'au fur et à mesure de ma découverte de tout ce qu'il avait vécu comme horreurs, Érythréen lui aussi, arraché à sa famille, à la fille qu'il aimait, à tous ses proches et amis, dont certains furent assassinés.
Un sort terrible alors qu'il était à peine adolescent... je vous laisse découvrir...
Seyoum, après une enfance choyée, a connu de telles souffrances qu'il en a perdu toute confiance. La douleur l'a déshumanisé, les trahisons l'ont anéanti.
Tout le récit ne parlant que de lui, il est difficile de ne ressentir aucune empathie, d'autant que pratiquement aucun personnage secondaire n'est vraiment mis en avant, même si ceci ne justifie pas cela.
C'est d'ailleurs le reproche que je ferais à l'autrice. J'aurais aimé qu'il y ait davantage de pages, que certains aspects du récit soient creusés, mais finalement on reste en surface.
Stéphanie Coste nous fait connaître Seyoum, un peu trop superficiellement, et puis une petite poignée de personnes importantes rapidement évoquées.
Je me suis retrouvée sous le choc, bouleversée, le cerveau en vrac, le coeur au bord des lèvres et des larmes.
Le roman n'en est pas moins excellent et je ne regrette pas de l'avoir lu. J'espère ne pas vous avoir découragés, chaque ressenti est différent.
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