Vidéo de Christina Mirjol
Et le temps qui est long dans ces cas-là, mon Dieu, qu'est-ce que le temps est long quand il n'y a plus d'espoir !
C’est à travers des formules toute faites, indifférenciées même des rêves de pacotille, que surgit le désir d’émancipation, dont on subodore l’échec à venir. Et c’est sur cet échange pathétique que se clôt la pièce Haute-Autriche [de Franz Xaver Kroetz], dans laquelle toute l’action est portée par le langage.
Ma première lecture de ce texte fut pour moi un choc au moment où je le découvris tardivement dans les années 2000. Il réactivait les questions que je me posais dans mes mises en scène, et venait percuter mes premiers pas en écriture. Exploiter la matière orale de toutes les façons possibles s’était imposé naturellement dans l’écriture de mon premier texte, Les cris. Le monologue intérieur, tel que Joyce l’avait sublimé dans Ulysse, les jeux polyphoniques, la voix rhapsodique telle que définie par Jean-Pierre Sarrazac, résultat de métissage des formes épique, dramatique et lyrique « cousues » entre elles, etc.. avaient été autant d’exercices à explorer pour ce texte. Mais, assez vite, c’est la voix, la voix métaphorique, représentative de l’Autre au singulier, propre à chaque Autre et irréductible à lui, abstraite en vérité, qui s’imposa dans mon écriture, au point que je puis dire que la « voix du texte », son style, inséparable de l’auteur et cependant « insaisissable » par lui-même, selon la formule de Jon Fosse, serait le résultat pluriel, polyphonique, de voix qui me sont étrangères.
Une présence occupée n'importune personne. Il n'y a rien de plus naturel qu'une présence occupée. Mais une présence inoccupée ? Comment la regarder ? Personne n'est habitué.
Je veux bien qu’on m’enterre, je veux bien, mais pas trop profond, pas trop. Pas trop profond, je veux, et je veux autour de moi des murs en béton. Pas de terre dedans. Pas de terre. Du béton autour et de l’air. Et que ce soit carré. Surtout pas un couloir. Une chambre. Une chambre carrée, pas un couloir avec du noir au bout. Un carré. Du béton. Une chambre avec de l’air autour. Et puis, je veux bien sur ma tombe une pierre, mais avec un regard. Pas une pierre scellée. Pas scellée. Une pierre pas scellée. Un regard aussi, un regard à l’endroit des yeux sur la pierre. Une pierre pas scellée. Avec un regard. Et qui laisse passer la lumière.
(page 129)
Cri n°18
Le bûcheron
Il était vieux. Alors, je l'ai cogné. J'ai cogné, j'ai cogné et parce qu'il résistait, je l'ai cogné encore. Je l'ai cogné longtemps. Jusqu'à ce qu'il tombe. Sa sève coulait à flots sur ma lame comme du sang. Éclaboussait mes manches. Et quand il est tombé, l'arbre, son grincement nerveux m'est entré dans l'âme. C'est un cri, j'ai compris, qui ne vient ps du tronc mais vient droit de la cime.
Quel besoin tu as de T’HABITUER ?… Oublie !... Les heures ne se suivent plus, tu n’as pas compris ça ?... Elles se remplacent !... Plus rien ne s’ajoute à rien, tu n’as pas compris ça ? On n’a pas le temps de s’habituer. Oublie ça !... L’habitude, ça n’existe plus !
(page 87)
Sur les terres les plus riches et donc les plus enviées, se développe en effet de façon synchronique une très grande méfiance à l'égard de l'intrus.
(p. 19)
Quand quelqu’un crie, sept huitièmes des gens qui traversent entendent les cris dans toutes les positions, sauf la tête en bas, et un huitième n’entend rien. Surtout s’il promène un chien.
(page 10)
Il est l'homme anonyme au destin criminel, sentinelle transparente que l'on montre du doigt, responsable, cela va de soi, de son mauvais départ, responsable de sa honte, coupable de toutes les fautes.
Dix ans.
Tout ce qui nous arrive, les choses qui nous arrivent, entraine des petits cataclysmes, même les choses minuscules on ne s'en méfie pas. Elles nous blessent, elles nous blessent, continuent de nous blesser, et sont aussi cruelles qu'elles étaient ordinaires au moment d'arriver ; ainsi sommes-nous la proie de tristesses dérisoires...
(Incipit)