Durant la fin de la guerre et après 1945 des milliers d'enfants ont été laissés-pour-compte qu'ils soient issus de viols ou de relations franco-allemandes durant l'occupation. Devenus adultes ils sont nombreux à partir en quête de leurs origines. C'est sur les traces de ce passé, de leur histoire douloureuse que
Laure Barachin nous emmène.
On recense pas moins de 55000 enfants recueillis par l'Assistance Publique de
Paris entre 1940 et 1944. Un chiffre qui fait froid dans le dos.
Dans son roman
Laure Barachin donne la parole à ces enfants, les laissés-pour-compte, pupilles de la Nation, orphelins de guerre, qui en grandissant, comme Capucine le personnage principal du récit, doivent vivre avec la blessure profonde de ne pas savoir qui ils sont ni d'où ils viennent. C'est son histoire mais aussi celle de tous les autres, les anonymes, que Capucine a voulu transmettre à sa fille. Cette histoire et ses espoirs qu'elle a couchés sur les pages de son cahier, jour après jour, sous la forme d'une longue lettre adressée à Aurore qu'elle commence à rédiger en 1953 alors qu'elle est une petite fille de 9 ans, placée temporairement au foyer des Lilas après avoir été retirée à son père adoptif.
De ses premières années Capucine ne sait rien si ce n'est qu'elle a été abandonnée alors qu'elle n'était qu'un bébé devant le parvis de l'église d'Isigny-les-eaux. Pas de photos, pas de souvenirs, une page blanche sur laquelle seul subsiste un sentiment d'abandon et d'indifférence qu'elle tente de compenser en donnant de l'amour, beaucoup d'amour à Lucie, petite puce de 5 ans qui est devenue muette suite à un choc post-traumatique, déplorable conséquence des sévices monstrueux que lui ont infligés ses parents. Toutes les deux sont placées en famille d'accueil chez les Legrand, elles y rejoignent Christopher et Samuel avec lesquels elles vont former la fratrie, la famille qui leur manque tant.
Un récit divisé en trois parties dans lequel l'autrice a pris soin d'insérer citations et
poèmes de grands écrivains tels que
Victor Hugo (qui démarre magistralement la préface avec "Il fait froid"),
Honoré de Balzac,
Fiodor Dostoïevski,
Emily Brontë et d'autres encore suivent pour faire écho à l'histoire. Dans la deuxième partie qui se déroule au début des années 70 à
Paris nous retrouvons une Capucine plus apaisée et plus mature qui vient de décrocher brillamment son doctorat en pédiatrie et qui semble bien décidée à lever le voile sur le mystère qui entoure ses origines, quitte à déterrer les secrets effroyables qui sont enfouis depuis mai 1943 dans l'imposant manoir anglais où vivent la vieille Elizabeth de Chesterfield et sa fille aliénée, Rose-Mary. Mais ne vaut-il pas mieux parfois laisser les secrets bien gardés tant la vérité peut être inconcevable ?
Un roman fort et sensible, dont la narration va crescendo jusqu'au dénouement final, qui nous parle de l'héritage familial, celui que l'on ne choisit pas, les liens du sang. Quand on a que le poids du silence en héritage encore faut-il être capable de vivre avec. Un roman qui pose question quant au bien-fondé des protocoles d'éloignements abusifs entre l'enfant et le parent (adoptif ou non) et qui évoque également la difficulté de placement en famille d'accueil ou à l'adoption des enfants souffrant de handicaps comme la petite Lucie dont l'histoire terrible m'a énormément touchée car la différence fait peur et encore aujourd'hui en 2021 il est difficile de faire adopter un enfant différent et ces enfants en payent malheureusement le lourd tribut puisqu'ils se sentent doublement abandonnés et n'ont pour horizon que celui d'être ballottés de famille d'accueil en famille d'accueil et aussitôt qu'il y a un tant soit peu d'amour, on le leur reprend en les déplaçant pour ne pas qu'ils s'attachent.
Les enfants du mal, les enfants de personne, les laissés-pour-compte, les non désirés, les mal aimés, les rejetés, les abandonnés : Capucine, Christopher, Samuel, Lucie, ils n'ont pas ou si peu connu la guerre et pourtant ils portent malgré eux le lourd fardeau de la Shoah sur leurs frêles épaules.
Les enfants du mal, les déportés, les massacrés, les torturés, les assassinés : Émilie, Maria, Schlomo, Jacob, décédés dans les camps à Auschwitz ou en chemin. Ces enfants d'Israël qui n'auront pas eu la chance de connaître la terre promise de leurs ancêtres, la terre de celui qui fut leur père, leur frère, Moshé Vigotska, qui lui devra finir ses jours avec le pire des traumatismes, celui d'avoir survécu aux siens. Son histoire m'a aussi bouleversée.
"Vous auriez sûrement préféré ne pas venir au monde mais vous avez tort car chaque vie est nécessaire. Tout être humain est libre de choisir entre le bien et le mal, vous y compris, loin des déterminations de l'hérédité. Vous êtes vous et non un mélange des caractéristiques de votre père et de votre mère. Votre existence sera ce que vous en ferez, vous serez ce que vous voudrez être". (p 206)
Un très très beau roman que je vous invite à lire pour ne pas oublier...
Merci infiniment Laure pour ta confiance.