Billet peut-être plus personnel que d'habitude pour ce livre reçu grâce à la Masse critique non-fiction, merci à l'éditeur et à l'équipe de Babelio. Personnel car je suis passée par la case thèse en tant que doctorante il y a quelques années – et je m'apprête d'ailleurs à y repasser pour la première fois en tant que directrice. Autant dire que ce livre tombait à pic. Cela dit, il ne s'adresse pas spécialement aux membres de la profession, mais à celles et ceux qui s'intéressent aux conditions de formation des chercheurs en France. Fluide et vivant, il s'organise autour de témoignages qui incarnent le propos et le rendent facile d'accès.
Docteure en neurobiologie,
Adèle B. Combes pose une excellente question : d'où vient le blues que les doctorants sont nombreux à afficher même si beaucoup le font sur le mode de l'humour ? Après tout, une thèse, c'est l'initiation au beau métier de chercheur et cela devrait permettre de se consacrer aux questions qui nous passionnent ! Pourquoi devrait-on souffrir pendant sa thèse ? Sur la base d'une enquête par questionnaire et de multiples entretiens, l'autrice avance qu'il ne s'agit pas de dérives isolées, mais de dysfonctionnements structurels permettant à de nombreux individus d'abuser de la passion et de la dépendance de jeunes chercheurs.
On savait déjà que très motivés, ils sont nombreux à ne pas compter leurs heures pour pouvoir s'investir sur tous les fronts – recherche individuelle et projets collaboratifs, enseignement et responsabilités collectives – pour un salaire largement inférieur aux niveaux moyens à la sortie du Master. Presque tous doivent prendre en charge des frais liés à leur activité professionnelle, à commencer par les frais d'inscription à l'école doctorale. Pour ma part, pourtant inscrite dans une institution comparativement bien dotée, j'avais dû acheter mon ordinateur et mes logiciels, régler la majeure partie des frais d'inscription à des formations indispensables, partager des chambres avec des collègues pour pouvoir assister à des conférences ou payer les frais d'impression de ma thèse.
Mais il est question d'autre chose dans le livre. de situations terribles, à mille lieux des grands idéaux scientifiques qu'on pourrait avoir. Des doctorants et doctorantes réduits à de petites mains corvéables à merci, poussés à travailler envers et contre toutes les règles de sécurité et le droit du travail, dénigrés, harcelés de la plus effroyable manière.
Évidemment, il est difficile de prendre la mesure du phénomène. Les chiffres du questionnaire sont très alarmants, même s'ils doivent être interprétés avec précaution vu les biais liés au mode de passation (basée sur le volontariat). Il n'empêche qu'à la lecture, il m'a bien fallu admettre que beaucoup d'entre elles – flou des frontières entre vie professionnelle et privée, doctorants complètement livrés à eux-mêmes, appropriation d'idées de jeunes chercheurs ou disqualification de résultats désavantageux, harcèlement sexuel – m'ont semblé familières, même si heureusement minoritaires autour de moi. Il faut croire que ces situations sont moins anecdotiques que je le pensais. En tout cas, les témoignages montrent à quel point les doctorants sont démunis face à toute forme d'abus, car totalement dépendants du jugement et du soutien de leur directeur – qui, lui, n'est généralement ni formé, ni encadré.
Les propositions formulées par
Adèle B. Combes pour garantir des conditions de travail saines et améliorer le suivi des doctorants, de façon à pouvoir détecter les difficultés et dérives, semblent donc salutaires. À nous de les faire progresser dans nos labos et de contribuer à les porter auprès des instances.
J'espère que ces éléments seront systématisés dans le futur sur la base d'une analyse comparative. Je ferais l'hypothèse que les dérives décrites ne sont pas propres au doctorat en France, mais découlent des relations de pouvoir/dépendance. La situation des doctorants est probablement particulière du fait de coûts d'opportunité énormes : la thèse requiert une telle somme de travail qu'il arrive un moment où elle ne peut plus être mise en jeu. Mais il serait intéressant, par exemple de comparer les institutions / disciplines différant dans leurs pratiques, y compris à travers plusieurs pays. Il y a des différences énormes dans le niveau de rémunération, les attendus et les conditions de validation de la thèse, le degré de collégialité autour du directeur, les modalités de représentation des jeunes chercheurs. Une enquête comparative pourrait permettre d'identifier les conditions permettant aux doctorants de s'initier sereinement au métier.