Eva Illouz, sociologue et philosophe, était l'invitée de "La Fabrique des idées", les masterclass de Philosophie magazine, mercredi 24 janvier au Club de l'Étoile, à Paris (17e).
Prochain rendez-vous :
Jean-Luc Marion, phénoménologue, académicien, grand théoricien de la "donation", mercredi 6 mars en présentiel ou visio. Informations et résa :
www.philomag.com/masterclass
D'un côté, le moi n'est pas responsable de sa souffrance, il est l'objet de ses parents, pour dire les choses rapidement, et n'est donc pas source d'autonomie et de volonté. De l'autre coté, quand il s'agit de changer, ce moi posséderait tout à coup une capacité à se transformer. Cette dualité est inhérente au récit psychologique même. L'injonction de changer conduit à utiliser des classifications qui "pathologisent" ce que nous sommes.
-Books n°37-
Les changements dans la sexualité après la Première Guerre mondiale, et plus encore après la Seconde, furent interprétés par de nombreux chercheurs comme la montée en puissance d'une "sexualité récréative", interprétée à son tour comme une sexualité aliénée, marchandisée et narcissique. Je pense pour ma part qu'il est plus pertinent de considérer la sexualité, comme la beauté, une "caractéristique diffuse du statut", c'est à dire une caractéristique conférant un statut. (p98)
Du XVIIIe siècle au milieu du XIXe, le sentiment était autant la prérogative des hommes que des femmes; le milieu du XIXe siècle franchi, il devint une prérogative principalement féminine. (p140)
La liberté sexuelle crée l'abondance, ce qui, à son tour, crée le problème de l'assignation d'une valeur à l'objet de désir. (p168-169)
Les hommes ont transféré sur le sexe et la sexualité le contrôle qu'ils avaient jusque-là exercé au sein du foyer. (p147)
Contrairement à l’intellectuel du XIXe siècle, qui pouvait critiquer le capitalisme en se situant hors de son atteinte, le critique contemporain n’a que rarement la possibilité de s’exprimer en dehors du monde des institutions et des organisations capitalistes. Cela ne signifie pas que nous devions nous résigner à accepter la domination du capitalisme sur toutes les sphères sociales. Mais cela implique que nous développions des stratégies d’interprétations aussi rusées que les forces du marché auxquelles nous voulons nous opposer. La force d’une critique se fonde sur une connaissance intime de son objet.
Ces industries ont géré le moi, ont géré la personne en termes d'image" explique Eva Illouz, "ce sont les industries de la mode, du cinéma, de la télévision, des cosmétiques... Elles ont transformé le corps en unité visuelle séduisante et attirante, pour créer des marchés de masse. Le corps de la femme devient alors une unité monnayable, exploitable. C'est un nouveau capitalisme.
Parce que la souffrance est l'irruption de l'irrationnel dans la vie quotidienne, elle exige une explication rationnelle.
Rien n'est plus suspect que l'affirmation d'une transparence totale.
Ivan Krastev
Nous vivons une transformation du désir parce qu'il n'est plus animé par la rareté, mais en situation permanente d'abondance. Comment aime-t-on quand on a le sentiment que quelqu'un de mieux peut surgir à tout moment, quand les échantillons du choix s'élargissent, quand la longévité fait que l'on demeure sur le marché sexuel jusqu'à un âge avancé ? Pour toutes ces raisons, l'amour n'a plus la force morale qu'il avait lorsque la figure de l'individu était en gestation.
-Page des Libraires n°156-