(...) Comme le fait remarquer avec espièglerie la préhistorienne dans son introduction, « Pour expliquer l'invisibilité des femmes préhistoriques, l'idée selon laquelle les vestiges archéologiques ne livrent guère d'éléments permettant de leur assigner un rôle social et économique est souvent avancée. Or il en est de même pour les hommes ! » On verra au fil de la lecture de ce livre iconoclaste que certains vestiges archéologiques sont cependant maintenant identifiables, et que les résultats de ces investigations démolissent ce qu'il faut bien appeler des stéréotypes de genre appliqués à
la préhistoire. Celle-ci est née au milieu du XIXe siècle, et « Il est probable que les rôles tenus par les deux sexes décrits dans les premiers textes de cette nouvelle discipline aient plus à voir avec la réalité de l'époque qu'avec celle du temps des cavernes. » (...)
Les vestiges identifiables, pourtant, à la faveur de l'archéologie du genre, qui pose la question du genre en archéologie, livrent une vision des sociétés préhistoriques beaucoup moins homogène et stéréotypée que
la préhistoire de papa. Il s'avère que les femmes préhistoriques sont de véritables athlètes, qu'elles chassent, sont guerrières parfois, dessinent au fond des grottes. En ce qui concerne les Vénus paléolithique, on les suppose, aujourd'hui, façonnées par des femmes et à leur usage, amulettes, aide-mémoire contraceptif ou calendrier obstétrical en raison du nombre d'encoches ou de sillons qu'elles portent. Ces hypothèses sont évidemment âprement critiquées, comme tout ce qui suppose aux femmes une maîtrise quelconque d'un aspect de leur vie. On voit aussi que les préjugés prétendument étayés par la science tels que le rôle des hormones dans la division sexuelle du travail ont chez certains préhistoriens contemporains la peau dure. Et pourtant… (...) les procédés d'analyse plus affinés aujourd'hui révèlent que certains guerriers enterrés avec leur apparat et leurs armes sont en fait des guerrières, que certains chefs aux riches tombeaux sont des cheffes. On trouve des traces de mains et de pieds de femmes jusqu'aux salles les plus reculées des grottes, et les empreintes de mains sont souvent féminines. Les ossatures féminines portent des blessures qu'on ne se fait pas en berçant les bambins et l'insertion des tendons atteste de musculatures puissantes. Les sociétés paléolithiques sont beaucoup plus horizontales qu'on l'avait supposé, et si certaines sociétés néolithiques voient l'avènement des hiérarchies, des subordinations de sexe et de la violence avec les formes nouvelles de propriété et de territoire, ce n'est pas le cas de toutes.
Patou-Mathis décortique ainsi les idées reçues en faisant un tour d'horizon des apports concrets, vérifiables, de
la préhistoire actuelle, mais aussi de ce qui est encore invérifiable et invérifié et donne lieu à des hypothèses passionnantes une fois dépoussiéré le fond de misogynie originelle.(...)
C'est extrêmement bien construit et documenté, l'avéré y côtoie l'hypothétique et tout ce qui est invérifiable s'y voit renvoyé dos à dos, qu'il s'agisse du rôle supposé des femmes ou de celui non moins supposé des hommes. de surcroît, cet essai se lit comme un roman, la langue est vive, précise et sobre, et en apprenant des choses passionnantes on passe un excellent moment.
Lonnie pour Double Marge
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