81. À l'intérieur de la vue (1948)
LE DEUXIÈME POÈME VISIBLE
I
Six cent soixante-six soleils, quand j'éteignis la
lampe, descendirent dans le gouffre de mes yeux.
Comme au creux des Alpes, le rayon foudroyant du
jour le plus court de l'année. La lumière contrariait
mes habitudes, froissait la pudeur acquise dans les
circonstances honteuses de la vie commune. Le rideau
de cristal noir était crevé. Je me trouvais sous la loupe
épouvantable de six cent soixante-six soleils et je me
supposais couverts de boues, de croutes, de cendres,
de poils emmêlés, de matières inconnues plus rebu-
tantes que celles que je n'avais jamais osé toucher.
Le lendemain, les yeux ouverts, je me vis successive-
ment revêtu de mousses, de flocons, de coraux, de
glaciers et d'un petit feu tranquille et mordoré.
En somme aussi grand que nature.
p.152
109. Poèmes pour tous
MESSAGE *
AUX DÉLÉGUÉS DU RASSEMBLEMENT
POUR LA PAIX
Malgré le ciel clément et la terre ralliée
Malgré l'été plus glorieux que les guerriers
Un sanglot sans écho comme une île déserte
Surgit du flot des guerres et de la misère
Il faut vivre pour rien ou bien dans des tortures
Qui font pâlir les vieux martyrs épris d'azur
Comparé au charnier immense du profit
Leur bûcher est un lit sensible à l'agonie.
*
Guerre à la Grèce à la Corée à l'Indochine
Guerre partout ou se révoltent les victimes
Guerre vaine la vie a trop de partisans
Pour se laisser aller dans la cendre et le sang
Le monde entier devient un Nouveau Monde
Et l'homme en est la flamme et la source féconde
D'où peuvent naître la raison et le bonheur
Comme l'action du rêve et le fruit de la fleur.
*
J'entends un rire il luit comme l'eau d'un torrent
Un cœur bat au-dedans qui nie l'ombre et la mort
J'entends des mots d'amour changer le cours du
temps
Changer l'homme en enfant et le soir en aurore
Qui parle si ce n'est le même au même instant
J'entends l'ancien l'espoir chanter et rajeunir
Il ne vit pas de souvenirs mais d'avenir
Je vous salue mes camarades résistants
Qui venez aujourd'hui pour demain à jamais
Jurer que nous aurons la justice et la paix.
1er juillet 1951
p.647-648
* Ce poème, [fut] écrit à l'occasion du 3e Festival mondial de la jeunesse et des étudiants pour la paix, organisé par la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique, du 5 au 9août 1951, à Berlin.
AILLEURS ICI PARTOUT
…
Apprends à tout me dire je peux tout entendre
Ta pensée est sans honte pense à haute voix
Silence la merveille simple
Et de fil en aiguille
Tout s’est épanoui
Le vent obscurément nettoie
La mer et le soleil
Ton souffle gonfle mes réponses
Entends le vent je sais ce que tu dis
Et je me lie aux bruits qui te font vivre
Sur une route où l’écho bat dans tous les cœurs
Malgré la porte et les volets fermés
Ma timide écoutons le tonnerre des bruits
Et les muets cherchant à dissiper leur nuit
Écoutons ce qui dort en nous d’inexprimé
Franchissons nos limites
J’étais loin j’avais faim j’avais soif d’un contact
Te toucher ressemblait aux terres fécondées
Aux terres épuisées
Par l’effort des charrues des pluies et des étés
Te toucher composait un visage de feuilles
Un corps d’herbes un corps couché dans un buisson
Ta main m’a protégé des orties et des ronces
Mes caresses fondaient mes rêves en un seul
Clairvoyant et aveugle un rêve de durée
Car je te touchais mieux la nuit
J’étais sauvé
D’avoir goûté le ciel la terre et la marée
Senti le sang la peau la gelée et le foin
D’avoir tout entendu touché je me montrais
Je respirais me colorais marchais parlais
Et me reproduisais
D’avoir vu clair en plein midi j’acceptais l’ombre
Je savais diviser et grouper les étoiles
Et les actes des hommes
Je savais être moins et bien plus que moi-même
Mes cinq sens faisaient place à l’imagination
…
p.677-678
Premiers poèmes
CRUAUTÉ
Le jour finit et tout veut se pâmer, mourir
En l'arôme troublant des parfums amassés
Par la chaleur, en les calices élancés
Des fleurs qui vivent comme un homme peut souffrir.
Un cerf s'élance et fuit, ne voulant pas périr,
Devant Diane dont les seins purs et dressés,
Aux deux bijoux de feu qu'on n'a jamais baisés,
Ne soulèvent pas pour l'effort de courir.
Mais c'est plaisir humain que de tuer un cerf,
Et la belle déesse, aux forts et calmes nerfs,
Lie l'animal vivant, aux grands yeux douloureux.
Et le soleil couchant embrase ses cheveux,
Ses beaux cheveux mêlés formant un fouillis d'or …
Cependant qu'au lointain, apparaît un condor.
p.723
Premiers poèmes
RONDEAU DE LA SUFFISANCE
Des vers d’amour, j’en ai rarement fait.
Je ne sais pas murmurer : « Je t’adore »
En rythmes doux, qu’inspiré, l’on décore
Des mots subtils, par lesquels est parfait
Le très cher lien, qui toujours, veut éclore.
Je crois qu’un jour, Daudet vit le préfet,
Dans un grand bois, consommer le forfait
De mal rimer — je dis ce qu’on ignore —
Des vers d’amour.
Je produirais sûrement mon effet
Si j’en faisais, mais je suis satisfait
De mes succès de brillant matamore…
Quand je serai le vieux beau qu’on honore,
J’ouvrerai pour un minois stupéfait
Des vers d’amour.
p.719-720
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