Ce roman autobiographique est une ode pleine de vie au lien mère-fille, à ses douleurs, amertumes, mais aussi à ses moments de grâce et de complicité.
Pas de spoil ici, puisque nous savons dès la première page que Michelle, jeune américano-coréenne, vient de perdre sa mère, avec qui elle avait longtemps entretenu un lien fusionnel, et qui représentait son ancrage asiatique. Ainsi, en ces premières pages du roman, la voyons-nous "
pleurer au supermarché", à la recherche d'ingrédients de la cuisine coréenne, perdue et en manque de repères au H-Mart. Mener son deuil n'est pas facile pour cette jeune femme déterminée, qui a quitté ses parents tôt pour réaliser son rêve de musique.
Fille unique d'un couple mixte, Michelle a grandi dans une maison isolée au milieu des bois, avec une grande liberté, mais sous le regard des plus vigilants de Chongmi, sa mère, femme au foyer. Michelle a comme sans doute beaucoup de filles, et peut-être encore plus des filles uniques, des sentiments ambivalents envers sa mère : elle partage avec elle de bons moments, notamment autour de l'alimentation, des plats coréens que sa mère lui concocte avec amour, mais elle la juge également dure, dépourvue d'empathie et d'encouragements maternels. La phrase préférée de Chongmi lorsque sa fille se blesse : "Garde tes larmes pour quand ta mère sera morte". Son père est certes présent, mais le couple bat de l'aile, et l'empreinte de la mère est bien plus forte sur sa fille.
Nous suivons, en de fréquents mouvements du présent au passé, l'adolescence tumultueuse de Michelle, sa passion un peu désordonnée pour la musique, ses petits jobs, un semblant de réconciliation avec ses parents lorsque arrive la terrible vérité : sa mère est atteinte d'un cancer foudroyant. Commence alors une lutte de chaque instant pour qu'elle s'en sorte, et Michelle déménage pour se consacrer à sa mère et l'aider, avec des amies coréennes de Chongmi, à lutter contre la maladie. Elle apprend des choses essentielles, mais découvre aussi que sa mère a ses secrets. Sa part d'identité coréenne resurgit, à travers ses souvenirs de voyages à Séoul où vit sa famille maternelle, sa grand-mère et ses deux tantes.
J'ai dévoré ce roman peuplé de références à la cuisine coréenne, à la ville de Séoul que j'aimerais tant découvrir ; je n'ai en cela pas été très déroutée par les termes coréens dont je connaissais une grande partie, à force d'écumer le moindre bar ou restaurant coréens dans les grandes villes, ici en France, où j'ai la chance de passer. J'ai été passionnée par le passage où Michelle achète une jarre traditionnelle pour réaliser son propre kimchi, et par sa résilience avec les vidéos de Maangchi. J'ai souri devant les indications fantaisistes de sa mère pour réaliser les recettes - "ajoute de l'huile de sésame jusqu'à obtenir le même goût que Maman". J'ai écouté les morceaux de son groupe, Japanese Breakfast, mais aussi la belle chanson de Shin Joon Hyun, Coffee Hanjan, citée à la fin du roman.
Le style m'a paru parfois un peu familier, la dérive adolescente de Michelle m'a par moments un peu agacée, mais ce roman tourne autour de la cuisine et de l'amour maternel, et son message est fort. Michelle croit que l'incompréhension entre elle et sa mère est devenue amour, alors même que l'amour a toujours été là, précédant l'incompréhension qui s'est installée plus tard - amour capable d'exprimer sa pureté une fois qu'elle lui laisse l'espace nécessaire pour se déployer. Enfin, la langue, les mots coréens, déploient une douce puissance qui fait naître, puis exister véritablement les sensations, qui fait se déployer devant nous les lieux et leur intimité.
Merci à @Cassiopee42 qui me l'a fait découvrir !