"Aucune des deux soeurs Grimes ne serait heureuse dans la vie, et à regarder en arrière, il apparaît que les ennuis commencèrent avec le divorce de leurs parents".
Ainsi commence ce roman de
Richard Yates, et autant dire que dès cette première phrase le ton est donné.
L'auteur nous propose de suivre à travers cette histoire le destin de deux soeurs bien différentes l'une de l'autre : Sarah, la préférée des parents, la plus belle et la plus sensible, qui choisira une voie toute tracée par le mariage, les enfants et un foyer à tenir; et Emily, qui choisira une voie plus risquée, jalonnée de nombreux hommes mais aucun auquel elle s'attachera, vivant seule et par ses propres moyens, en somme, une femme moderne et libérée.
L'auteur s'attache clairement à ce deuxième personnage.
Emily est l'héroïne de ce roman, son point central et unique et vers lequel converge systématiquement tous les autres personnages. Elle est le coeur et l'âme de ce roman.
A travers elle,
Richard Yates livre aux lecteurs une chronique douce-amère des années glorieuses de la classe moyenne américaine.
J'ai littéralement adoré ce personnage et son histoire.
Malgré ses défauts, Emily est un personnage charismatique et une fois la lecture commencée il est très difficile de l'arrêter.
J'aime beaucoup ce personnage, à la fois complexe et compréhensible, mais surtout égaré durant toute sa vie et qui finira par avouer à son neveu : "Et tu sais le plus drôle ? J'ai presque cinquante ans et je n'ai jamais rien compris de toute ma vie".
Malgré un caractère fort et une volonté farouche, Emily est désarmante sur certains aspects, notamment lorsqu'elle ne comprend pas les situations et qu'inlassablement alors elle déclare "Je vois", sans voir aucunement quoi que ce soit.
Même lors d'une rupture avec un homme, un qui selon moi a compté pour elle, l'auteur écrit que "Pendant des semaines et des mois, après ça, Emily songea à des tas de répliques passionnées parfaitement formulées qu'elle aurait pu opposer à cette déclaration; mais, sur le moment, tout ce qu'elle trouva fut une petite réplique faiblarde qu'elle se détestait d'utiliser depuis l'enfance :
- Je vois."
Au final, malgré une vie menée comme un esprit libre, elle se raccrochera à une personne de sa famille, sans doute la seule qui l'accepte telle qu'elle est, car "c'est un crime d'être aussi seule".
Derrière un fond d'histoire à tendance dramatique, j'ai trouvé que l'auteur était surtout pessimiste par rapport à ses personnages et aux décennies 50/60/70.
Car finalement, Sarah n'a pas été heureuse dans sa vie, elle a préféré suivre une voie toute tracée plutôt que de se chercher, et Emily a passé son temps à se rêver pour passer à côté de tout et finir seule, abandonnée de tous ou presque. Elles n'ont été heureuses ni l'une ni l'autre tout en ayant des caractères diamétralement opposés et choisi des chemins différents, leur seul point commun est sans nul doute de noyer leur réalité dans l'alcool et la cigarette.
Elles n'auront fait que transposer le parcours de leur mère, Pookie.
De plus, ce livre est réellement bien écrit, j'ai pris beaucoup de plaisir à le lire et je pense que la traduction est fidèle à la version originale.
Ce qui m'a surpris, c'est que l'histoire se passe près de quarante ans en arrière et qu'elle n'est absolument pas démodée.
Elle m'a parlé, j'ai pu me retrouver dans certaines situations ou pensées d'Emily, "
Easter parade" reste donc un roman très contemporain.
Le côté amer de l'histoire est toujours d'actualité et l'absence de fond moralisateur est aussi sans doute pour quelque chose dans mon appréciation de cette lecture.
Ce fut une très belle découverte littéraire et je retiens le nom de
Richard Yates, auteur peu connu qui mérite de l'être beaucoup plus.
Ce livre a été lu dans le cadre du challenge ABC critiques 2012, lettre Y et du challenge New-York en littérature 2012.
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