Ce tome fait suite à DMZ tome 9 (épisodes 50 à 54) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 55 à 59, initialement parus en 2010, écrits par
Brian Wood, mis en couleurs par
Jeromy Cox, avec des couvertures réalisées par
John Paul Leon. Les épisodes ont été dessinés et encrés par
Andrea Mutti pour le 55,
Nathan Fox pour le 56,
Cliff Chiang pour le 57, Danijel Žeželj pour le 58, et
David Lapham pour le 59. Ces épisodes ont été réédités dans DMZ, Intégrale Tome 4 : qui contient les épisodes 45 à 59.
Épisode 55 : un homme armé perd le téléphone portable qui le maintenait en contact avec son équipe logistique qui lui avait demandé de rentrer ses coordonnées pour pouvoir être évacué. Conscient du risque qu'il court, il décide de descendre du toit de l'immeuble où il se tient pour joindre les sous-sols où il sera plus en sécurité. Avançant fusil au poing, il repère des grilles de ventilation lui permettant de rejoindre les quais d'une station de métro. Il continue d'avancer et finit par se retrouver dans des pièces souterraines où se tiennent une dizaine de personnes y ayant trouvé refuge dont Zee Hernandez. Épisode 56 : les missiles ont commencé à tomber sur Manhattan. À Chinatown, Wilson est tranquillement attablé devant une grande table ronde sur laquelle se trouve une quinzaine de plats. Il déguste un bouillon avec des grands bruits de succion. Il indique au cuisinier qu'il peut rentrer chez lui. Il se tourne vers Woodrow son garde du corps et lui indique que lui aussi peut rentrer chez lui. Il décline car il n'a aucune famille qui l'attende. Épisode 57 : Amina est en train de se faire un café chez elle, dans un appartement sécurisé, à l'intérieur d'un bâtiment qui abritait auparavant des installations d'imprimerie. Elle écoute la radio libre. Il lui semble entendre du bruit dans la rue, et elle écarte précautionneusement un rideau pour voir ce qui se passe. Au beau milieu de la chaussée, il y a un siège auto pour bébé, avec un nourrisson dedans. Elle descend en toute hâte pour le récupérer et pour le mettre en sureté chez elle.
Épisode 58 : plusieurs pâtés d'immeuble de la zone démilitarisée qu'est Manhattan sont en feu. Un homme avec la capuche de son blouson, rabattue sur sa tête, avance les mains dans les poches, seul dans la nuit. Une explosion se produit non loin de lui et il continue de marcher comme si de rien n'était. Il sort une bombe de peinture de sa poche, la secoue afin de mélanger la peinture et les solvants présents dans la bombe. Puis il enlève le capuchon qu'il laisse tomber à terre et il effectue son graffiti : un cercle avec une flèche vers la droite, et le nombre 10 inscrit à l'intérieur. L'artiste de rue Decade Later est de retour, libéré. Il se remémore son vol en hélicoptère en tant que prisonnier dans sa tenue orange, une cagoule opaque lui recouvrant toute la tête, les pieds et les poings entravés, comme les autres prisonniers à ses côtés. Il se remémore la découverte de sa minuscule cellule et les maltraitances physiques. Épisode 59 : les bombes et les missiles continuent de pleuvoir sur la DMZ. Matty Roth regagne les sous-sols d'un bâtiment où il sait qu'il sera en sécurité. Juste avant d'en pousser la porte, il vérifie le contenu de sa sacoche : la carte de presse, les liasses de billets, une carte de la ville, une bouteille d'eau. Il sort quelques billets et les fait passer par la fente dans la porte devant lui. Deux jeunes femmes lui ouvrent et il se retrouve dans une longue et large pièce abritant une trentaine de personnes qui le reconnaissent.
Le lecteur a pris l'habitude que de temps à autre l'intrigue principale soit interrompue par des histoires en 1 épisode, pour laisser le temps à l'artiste en titre de réaliser les épisodes suivants. Il a vite constaté qu'il ne s'agit en rien de bouche-trous réalisés à la petite semaine, mais bien de récits ayant leur place dans l'intrigue globale, mettant développant l'environnement de la zone démilitarisée, faisant y vivre la population et développant des personnages secondaires chers au coeur du lecteur. Il en va ainsi de des quatre premiers épisodes qui lui permettent de retrouver Zee Hernandez, Wilson, Amina et Decade Later. le dernier met en scène le personnage principal Matty Roth. le fait d'avoir un dessinateur différent pour chaque épisode est légitimé par le fait qu'il s'agit à chaque fois d'un personnage différent, donc d'un autre regard.
Jeromy Cox assure une unité de ton avec sa mise en couleurs qui participe à montrer au lecteur que tous les récits se passent bien dans le même environnement (la DMZ), qu'ils sont juste vus par les yeux d'individus différents.
Andrea Mutti utilise des traits fins et secs, un peu adoucis par la mise en couleurs. Il reste dans un registre descriptif, avec un art consommé pour donner une sensation de fort niveau de détails, sans que ses cases n'en deviennent illisibles, grâce à une habile gestion des textures. le lecteur se rend vite compte que Zee Hernandez joue en fait un rôle très secondaire, ce qui ne rend pas le récit inintéressant pour autant. le scénariste revient sur le fait qu'une personne venant du dehors, ne vivant pas dans la DMZ, n'a aucune chance de pouvoir donner le change, de faire croire qu'elle en est un habitant. Il sait montrer, plutôt qu'expliquer, que les conditions de vie des habitants de la DMZ participent à en faire une communauté, des individus qui reconnaissent les signes de l'adaptation à ces conditions de vie. Wood se montre encore plus subtil dans la relation qui s'installe entre l'homme armé et une des femmes présente, en montrant que cet homme n'a pas les capacités de s'adapter, de reconnaitre et d'accepter ces conditions de vie si éloignées de son expérience de vie.
Après ce démarrage de haut niveau, le lecteur est conforté dans sa conviction que ces épisodes sont autant essentiels que ceux avec Matty Roth. Il se délecte en découvrant que le suivant met en scène Wilson, personnage haut en couleurs. En prime,
Nathan Fox est dans une forme éblouissante avec des protagonistes expressifs, Wilson jouant un rôle, celui de son personnage public à dessein pour son interlocuteur. Cox utilise une palette de couleurs plus brillantes. le lecteur ressent un vrai plaisir de narration, se délecte des détails comme Wilson se délecte des plats de son repas. Il y a une forme d'exubérance visuelle un peu exotique qui donne une saveur extraordinaire au personnage et aux décors. Il lui faut du coup un peu de temps pour prendre la mesure de ce que raconte l'histoire, du drame qui se joue, et pour prendre conscience de l'événement qui se produit, similaire à un présent dans l'épisode précédent. Il passe au troisième épisode et retrouve toujours avec plaisir Amina, personnage apparu pour la première fois dans le tome 3, et revue une fois ou deux depuis. Après les dessins de Mutti et Fox, les dessins de
Cliff Chiang semblent un peu fades. Pourtant ils ne sont ni laborieux, ni expédiés, c'est juste que la personnalité graphique est moins perceptible. le lecteur attentif relève que ce quartier est moins touché par l'événement que les deux précédents. Il éprouve une sorte de contentement à voir l'évolution de la situation personnelle d'Amina, sa reconstruction progressive, sa capacité de résilience, tout en trouvant qu'il manque un petit quelque chose pour être complètement incarné dans ce récit. Il en ressort à la fois content de l'avoir retrouvée en meilleure posture, et un peu déçu de ne pas avoir pu mieux discuter avec elle, ou en tout cas qu'elle n'ait pas plus développé son point de vue.
L'épisode 58 ramène un autre personnage haut en couleur : un graffeur qui avait dû s'interroger sur son utilité en tant qu'individu, sur la futilité de son art en temps de guerre. le lecteur a gardé un excellent souvenir de ce questionnement et de l'histoire personnelle de Decade Later, certainement parce que le créateur qu'est le scénariste a nourri ce personnage de lui-même. Il découvre comment donc l'armée constituée a traité cet individu considéré comme un terroriste, comme un écho d'autres détentions dont celle de Matty Roth, un écho également des sévices infligés à Guantanamo. À nouveau, il est question de résilience,
de montrer comment un individu peut tenir face à un traitement inhumain des semaines et des mois durant. Mais rapidement le récit s'envole vers des sommets plus impressionnants. Wood a indiqué qu'il avait choisi l'artiste pour ses capacités, spécifiquement pour cet épisode. Effectivement Danijel Žeželj apporte énormément au récit, nourrissant lui le graffeur de ses propres créations. La complémentarité entre scénariste et artiste et la confiance du premier dans le second donnent lieu à un récit de haute volée, de toute beauté et d'une sensibilité extraordinaire, justifiant à lui tout seul l'achat et la lecture de ce tome. Extraordinaire. du coup c'est presqu'à regret que le lecteur revient à Matty Roth pour le dernier épisode.
David Lapham est le créateur et l'auteur de l'excellente série polar Stray Bullets. Ici il donne presque l'impression de se retenir pour ne pas calquer son style narratif sur DMZ et pour plutôt se s'intégrer à un réalisme cadré. En particulier il n'applique pas son découpage en grille de 8 cases, 4 bandes de 2 cases chacune. Pour autant, il réalise une mise en images détaillée et réaliste, un peu moins personnelle que celle de
Burchielli. Redescendant des hauteurs vertigineuses de l'épisode précédent, le lecteur voit Matty Roth interagir avec 3 individus très différents, attestant que lui est complètement intégré à la population autochtone, par opposition à l'homme armé du premier épisode. Wood se montre fin portraitiste en montrant le comportement et le caractère de 3 habitants très différents de la DMZ, au parcours et aux origines bien distinctes, sans caricature, et tout ça en à peine un épisode (car il se passe aussi d'autres choses), du grand art. Enfin, le lecteur prend la mesure de l'ampleur de l'événement qui se déroule en toile de fond de ces 5 épisodes, événement majeur avec un impact énorme sur la suite de la série.
Le lecteur a donc pris l'habitude de ces changements de rythme dans la narration, pas une pause, mais un changement de focal pour montrer d'autres aspects de la zone démilitarisée, pour pouvoir faire vivre d'autres habitants, tout en conservant la DMZ au coeur du récit. Il prend donc grand plaisir à regarder cet homme armé échouer à s'intégrer, Wilson à déguster un festin, Amina à gagner en autonomie, Decade Later à créer de l'art et Matty Roth à revenir en tant que journaliste. En fonction de ses sensibilités, il apprécie plus certains artistes que d'autres, tout en tombant sous le charme du plaisir évident de
Nathan Fox, et sous la beauté habitée des cases incroyables de Danijel Žeželj. En quittant à regret ces individus, il se rend compte qu'ils ont tous vécu un même événement qui remet totalement en cause le statut de la DMZ et son avenir, se déroulant discrètement arrière-plan. du grand art.