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EAN : 9782366299311
440 pages
Editions ActuSF (04/10/2018)
3.76/5   66 notes
Résumé :
Amérique. De nos jours. Ou presque.

Ils sont quatre. Quatre États du Sud des États-Unis à ne pas avoir aboli l'esclavage et à vivre sur l'exploitation abjecte de la détresse humaine. Mais au Nord, l'Underground Airlines permet aux esclaves évadés de rejoindre le Canada. Du moins s'ils parviennent à échapper aux chasseurs d'âmes, comme Victor. Ancien esclave contraint de travailler pour les U.S. Marshals, il va de ville en ville, pour traquer ses frère... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (19) Voir plus Ajouter une critique
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1861. Abraham Lincoln est assassiné alors que débute tout juste la Guerre de Sécession opposant les états du nord à ceux du sud des États-Unis. Profondément choqués par cette disparition, les deux camps décident de mettre rapidement fin au conflit et adoptent pour se faire un nouvel amendement à la Constitution. Ce treizième amandement stipule que le Congrès n'a désormais en aucun cas le pouvoir de légiférer sur l'esclavage et que son abolition ou son maintien est une décision qui doit être prise à l'échelle de chaque état. Libre donc à l'Alabama, au Missouri, à la Caroline ou encore à la Louisiane de continuer à asservir les populations noires sous son contrôle, et cela sans qu'aucun des états voisins ne lève le petit doigt. Plus d'un siècle plus tard, les États-Unis comportent ainsi toujours quatre états esclavagistes dans lesquels les Noirs triment dans les usines et les champs sous la supervision des Blancs. On ne parle plus d'esclaves, toutefois, mais plutôt de TA (comprenez « travailleurs affiliés »), une terminologie moins connotée qui laisse à penser à un statut revalorisé. Il n'en est toutefois rien, et Victor est bien placé pour le savoir. Après être parvenu à fuir l'exploitation dans laquelle il avait grandi et à gagner le Nord du pays, cet ancien TA n'aura pas pu profiter bien longtemps de sa liberté retrouvée. Repéré par une agence gouvernementale, le voilà forcé depuis des années à travailler en tant que « chasseur d'âme », autrement dit à traquer les esclaves en fuite afin de les livrer aux autorités. Si la plupart de ses missions se déroulent d'ordinaire sans accros et s'achèvent inévitablement par l'arrestation du fugitif, la dernière affaire qu'on lui a confié lui donne du fil à retordre. A priori banale, son enquête va très vite mettre en lumière un certain nombre d'anomalies mettant en cause le gouvernement lui-même.

Véritable page-turner, le roman de Ben H. Winters happe le lecteur dès les premières pages sans plus le relâcher. On retrouve ici tous les éléments caractéristiques du thriller : un rythme haletant du début à la fin, de nombreux rebondissements, beaucoup de scènes de tension, et bien évidemment un bon nombre de mystères qu'il tarde au lecteur de voir élucider. On pourrait reprocher au roman quelques scènes un peu tirées par les cheveux et quelques facilités scénaristiques, mais l'ensemble reste tout de même bien orchestré, même si certains aspects sont abordés de manière trop expéditive. le récit nous est rapporté à la première personne par le protagoniste, le chasseur-d'âme Victor, qui nous expose sans chercher à se justifier ou se dédouaner en quoi consiste son rôle dans l'arrestation des esclaves en fuite. En dépit de sa profession, qui incite immédiatement le lecteur à le ranger dans la catégorie des ordures, le personnage parvient peu à peu à attendrir tant grâce à sa sincérité qu'à une dureté de façade dont on devine bien vite qu'elle témoignage davantage d'une douleur profondément enfouie que d'un véritable manque d'empathie. Ce héros nuancé est sans aucun doute l'une des plus grandes réussites du roman qui comprend également d'autres beaux portraits (quoique moins étoffés que celui du protagoniste), à commencer par le personnage de Martha, mère célibataire rongée par la disparition de son compagnon, ou encore celui plus effacé encore mais néanmoins très émouvant de Jackdaw. Ben Winters échappe d'ailleurs avec succès à un écueil pourtant fréquent dans ce type de récit en n'opposant par les gentils abolitionnistes aux méchants esclavagistes : il y a des salauds dans les deux camps, et ce n'est pas parce que la cause défendue est juste que tous les moyens pour y parvenir doivent être tolérés ou que tous ceux qui la défendent sont des saints.

L'aspect le plus intéressant du roman de Ben Winters reste toutefois la manière dont il aborde cette Amérique uchronique, ainsi que les parallèles effectués avec celle que nous connaissons aujourd'hui. C'est particulièrement visible dans la première partie du roman qui se déroule au nord du pays, c'est-à-dire dans des états où les Noirs n'ont, à priori, pas à s'inquiéter de leur couleur de peau. La situation telle que dépeinte par notre narrateur fait toutefois état d'une toute autre réalité. Racisme, ségrégation, inégalité devant la loi, réponses disproportionnées des forces de polices… : l'Amérique que nous décrit le personnage n'a en fait guère de différences avec celle que l'on connaît, ce qui renforce évidemment le propos du roman. Difficile de ne pas être révolté face à la description de certains comportements, moins ceux des Blancs, d'ailleurs, que ceux des Noirs, forcés pour se protéger à singer attitude de servitude (ne jamais regarder un Blanc dans les yeux, ne pas répondre à un policier, se laisser fouiller sans aucune raison…). La violence telle que présentée dans le roman est ainsi moins physique que sociétale, et nous incite évidemment à nous interroger sur notre propre société, son hypocrisie et ses compromis impardonnables. L'auteur aborde par exemple la question des vêtements ou des aliments fabriqués par des esclaves dans les états du sud et la volonté de certains citoyens de boycotter ces produits. Une initiative louable mais qui, dans les faits n'a que peu d'impact, les grandes entreprises de distribution rendant presque impossible la traçabilité des marchandises qui peuvent tout à fait se retrouvées estampillés « propres » (sous entendu « non produites par des esclaves ») alors que ce n'est absolument pas le cas. La situation telle que vécue par les esclaves au sud du pays est elle aussi évoquée mais de manière plus brève. On retrouve évidemment de nombreuses références au contexte du XIXe : les punitions, l'éparpillement des familles, l'Underground Railroad (un réseau clandestin utilisé par les esclaves pour rallier les pays du nord et auquel le titre du roman est évidemment un clin d'oeil)...

Ben Winters signe avec « Underground Airlines » un bon page-turner et une uchronie captivante qui permet de mettre en lumière la situation des Noirs aux États-Unis, non seulement à l'époque de l'esclavage mais aussi et surtout aujourd'hui. A noter qu'une adaptation télévisée serait apparemment en préparation…
Lien : https://lebibliocosme.fr/201..
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Après les bons avis des Blogopotes sur ce roman et le fait qu'il ait obtenu deux Prix (celui de Sidewise en 2016 et celui du Prix Imaginaire 2019 du roman étranger), il n'est donc pas étonnant que j'ai accepté le service presse proposé par ActuSF. Et à ce titre, je les remercie de me l'avoir envoyé car j'ai eu un énorme coup de coeur pour ce roman!

Dans un XXIème siècle alternatif, quatre États américains du Sud (Alabama, Mississippi, Louisiane et les deux Caroline unifiées) maintiennent encore l'esclavage. Cette « main d'oeuvre » peu coûteuse leur permettent ainsi d'avoir une économie prospère au point de supplanter les autres États et d'alimenter les marchés mondiaux en produits bon marché. Ils achètent aussi leur bonne conscience en régissant leur exploitation afin que cela paraisse acceptable aux yeux du monde (les esclaves sont par exemple appelés TA pour Travailleurs Affiliés, leur meurtre est en théorie interdit et les châtiments encadrés). Toutefois, il n'en demeure pas moins que les conditions de vie des esclaves restent effroyables au point que certains d'entre eux choisissent de s'enfuir. Pour cela, ils sont aidés par l'Underground airlines, une organisation clandestine des États du Nord qui permettent aux esclaves en fuite de rallier le Canada. C'est ainsi qu'intervient Victor, un ancien TA contraint par le Gouvernement américain d'infiltrer ce fameux réseau et de pister les fugitifs. Il est chargé de retrouver Jackdaw mais cette affaire ne va pas se dérouler exactement comme prévue…

Une uchronie…

Underground Airlines est une uchronie dont le point de rupture se situe en 1861 lorsque le Président Abraham Lincoln est assassiné (dans notre Histoire, il le sera mais quatre ans plus tard). Si les conséquences immédiates sont la fin de la Guerre de Sécession, l'abolition de l'esclavage ne sera en revanche pas promulguée en 1862 ; pire, un amendement à la Constitution permet à chaque État de choisir s'il veut le maintenir ou non et c'est ainsi que les quatre États pré-cités le confirment et l'institutionnalisent.

Le titre du roman Underground Airlines fait également référence à un réseau clandestin qui a véritablement existé au XIXème siècle mais qui s'appelait dans notre réalité Underground railroad (qui est aussi le titre éponyme du roman de Colson Whitehead sorti en 2016). Ce réseau n'était pas un chemin de fer comme le laisse entendre le terme « railroad », il permettait aux esclaves en fuite de se rendre soit au nord, au Canada soit au sud, au Mexique. Les fugitifs aidés par les organisateurs appelés « chefs de gare », se déplaçaient de nuit et de jour étaient abrités dans des lieux secrets, les « stations ». Les propriétaires d'esclaves commençaient à craindre que ces fuites ne se généralisent et ont fait appel à l'Etat pour qu'il intervienne. Ainsi, des marshalls et des chasseurs de prime ont été mandatés pour retrouver les fuyards. le roman Underground Airlines reprend exactement le même procédé excepté que le voyage s'achève par un vol direct vers le Canada, d'où le terme « airlines ».

…efficace…

Le roman est divisé en trois parties : la première et la dernière se déroulent dans les États du Nord et la seconde, dans un Etat du Sud, celui de l'Alabama. Si le début de ma lecture a été un peu longuet (je dirais les cinquante premières pages), je ne l'ai plus lâché par la suite, le finissant très rapidement. J'ai d'ailleurs beaucoup aimé le rythme de l'intrigue menée tambour battant (cela est renforcé par les courses-poursuites et les nombreux jeux de chat et de la souris) qui alterne avec de nombreux rebondissements et des cliffhangers en fin de chapitre ou de partie.

Le personnage principal de Victor est également très intéressant dans le sens où bien qu'il soit le narrateur, non seulement il mène souvent son lecteur en bateau mais il est un personnage des plus ambivalents. Ancien TA dans un abattoir, il parvient à s'échapper en Indiana. Six ans plus tard, il est rattrapé par un Marshall qui lui propose un deal : il n'est pas livré à son ancien propriétaire en échange de quoi, il devra aider le Gouvernement à retrouver d'autres TA en fuite. N'ayant pas vraiment eu le choix, Victor accepte et c'est ainsi qu'il se retrouve à traquer ses frères. Ce personnage est vraiment très nuancé et très crédible, j'ai trouvé.

…qui dénonce les discriminations raciales aux Etats-Unis.

Cette uchronie est également l'occasion pour Ben H. Winters de dénoncer les violences à l'encontre des Noirs, dans les Etats-Unis actuelles. Cela m'a ainsi fait penser à l'essai Triste Amérique de Michel Floquet que j'avais lu il y a trois ans ainsi que l'excellent roman historique Power de Michael Mention qui retraçait le parcours du Mouvement des Black Panthers, dans les années 60 et 70. Il n'est donc pas étonnant que Underground Airlines fasse référence à ce parti alors même qu'il a été dissous dans les années 80.

Le racisme est partout présent dans le roman :
– dans les quatre États du Sud évidemment dans lesquels les Noirs sont réduits en esclavage et sont obligés de travailler dans des usines qui s'apparent à des camps de travail (le roman donne l'exemple d'un abattoir pour Victor mais Jackdaw travaillait dans une usine de vêtements). Ils subissent également des mauvais traitements que ce soit des tortures, des horaires de travail longs et difficiles, peu de protections, peu de soins, ils sont attachés, subissent des punitions physiques et morales, etc…
– dans les États du Nord où ils sont libres, ils sont parqués dans des quartiers insalubres comme celui de Freedman Town. Cela fait directement référence à la situation actuelle des Etats-Unis.

En conclusion, Underground Airlines est une véritable réussite et c'est ce genre de roman que j'aime mettre en avant lorsque je dois défendre les Littératures de l'Imaginaire. Possédant un double niveau de lecture, cette uchronie efficace n'est pas seulement un thriller. Au contraire, s'inspirant du passé des Etats-Unis, elle permet de dénoncer les discriminations raciales et les inégalités à l'encontre des Noirs, et ce bien qu'un Président Noir ait été élu à la Maison Blanche, entre 2009 et 2017. Bref, un roman remarquable que je recommande!
Lien : https://labibliothequedaelin..
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Underground Airlines avait attiré mon attention grâce à son postulat osé et puissant. Puis il a reçu quelques prix, et pas des moindres. Alors quand ActuSF me l'a proposé en service presse, j'ai sauté sur l'occasion. J'ai bien fait, car il s'agit d'une pépite de la dystopie et de l'uchronie.

L'une des premières qualités du roman est sa capacité à nous plonger dans un monde terrifiant. L'écriture de Ben H. Winters nous plonge immédiatement dans un univers violent. Sa plume est directe et sèche, s'accorde peu de fioritures hormis pour souligner les moments où notre personnage principal baratine en empruntant une autre identité. L'auteur ne lésine pas sur les insultes et les moments de pur malaise tant le racisme suinte au Nord comme au Sud.

Il y a quelques détails particulièrement finement pensés. En dehors des quatre Etats esclavagistes, il existe par exemple des marques de cigarettes avec un label qui garantissent leur production hors esclavage. C'est un peu cynique et tellement réaliste tant la proximité avec les labels équitables est visible. L'autorisation de l'esclavage amène à de nouveaux modes d'organisation du travail, avec ses rites, ses règles, mais aussi ses espaces consacrés qui montrent un paradoxe criant entre une société qui perpétue un racisme institutionnel mais en le maquillant d'une humanité paternaliste qui dégouline d'hypocrisie.

Outre le contexte, l'histoire est en elle-même captivante. L'auteur prend le parti de l'ambiguïté en mettant en avant un ancien esclave qui capture les fuyards qui tentent de rejoindre le Canada. Dès lors, on comprend que l'on sera baigné dans une moralité grise, où personne ne peut vraiment être un héros, où les combattants de la liberté ne sont pas toujours les plus reluisants et les esclavagistes ont aussi une famille et des rêves.

Le centre de l'histoire est dans un premier temps une chasse et une enquête classiques à première vue. Mais on découvre avec Victor qu'il y a plus de profondeur : les rebondissements sont nombreux et maîtrisés. le scénario est à l'image de l'univers, complexe et doux-amer. Certains moments sont violents, physiquement comme psychologiquement, mais ce n'est jamais dans la gratuité.

Les personnages sont également très bien campés. Victor brille par sa psychologie fine. On est dans sa tête l'ensemble du récit, observant ses doutes, constatant son évolution. Mais les autres protagonistes sont parfaits. Martha, la jeune femme faussement insouciante, amoureuse d'un esclave. Même ceux dont on a juste quelques lignes de description sont parfaitement croqués et on se les imagine très nettement.

En conclusion, c'est un bon cru. Je commençais à désespérer de trouver des dystopies qui soient originales. Underground Airlines parvient à échapper aux tropes les plus répétitifs du sous-genre pour proposer une histoire avec une critique acérée des problématiques raciales aux Etats-Unis mais aussi sur la fragilité de l'histoire et de la tolérance. Monde immersif et bien pensé, personnages bien construits et scénario mené de main de maître, c'est un récit marquant que je vous conseille !




Lien : https://lageekosophe.com/
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Je publie des chroniques littéraires sur lavisqteam.fr et celle de ce roman est présente au lien suivant : http://www.lavisqteam.fr/?p=41399
J'ai mis la note de : 16.5/20

Mon avis : Underground Airlines est un roman dont le ton brut et vrai est donné dès le départ. Cela, ajouté à la violence du thème et à la noirceur de la politique des USA imaginaires, rend quelque peu mal à l'aise et révolte. Tout sonne si juste et si réaliste que cela perturbe. Cela trouble d'autant plus que le sujet abordé n'est pas totalement réglé ni enterré. En effet, aujourd'hui encore, le racisme envers les noirs est toujours vivace, en attestent les nombreux films dénonçant ces problématiques, comme Green book : sur les routes du sud pour le plus récent d'entre eux.

Underground Airlines réinvente le futur de notre civilisation, et notamment celui des USA dont une partie n'a pas décidé de voter pour l'abolition de l'esclavage. La guerre de Sécession n'a même pas eu lieu, un évènement tragique ayant stoppé net sa mise en place. le pays est divisé en deux : le nord industriel combattant pour la liberté, contre un sud moins altruiste avec quatre Etats s'enrichissant sur le dos des esclaves, nouvellement appelés Travailleurs Affiliés.

Le roman met en avant de nombreux faits politiques américains qui sont inconnus pour les plus néophytes d'entre nous. Toutes les phases du livre ne sont ainsi pas évidentes à s'approprier et nécessiteraient des explications plus poussées au niveau historique. Les dernières pages du livre rattrapent quelque peu nos manques de connaissance grâce à une postface intéressante et basée sur la véritable Histoire. Pour un européen, il reste plutôt difficile de s'imaginer le climat ambiant des USA de l'époque ou certaines réactions des personnages du roman. On finit tout de même par s'attacher à eux, bien qu'une fine barrière reste dressée.

Le personnage principal, Victor, ne passe pas par de multiples détours pour nous expliquer ce qu'il pense et nous dévoiler la vérité sur les agissements de ses pairs. Il n'est pas évident à comprendre tant il joue de sa propre dualité tout au long du récit. Les premières pages se servent de cela à merveille et présentent le héros de l'intrigue d'une façon étonnante, voire choquante. On ne sait pas vraiment si on doit le détester ou l'aimer. Il s'ensuit que le lecteur finit par l'accepter tel qu'il est et que l'on suit ses péripéties avec envie. On apprécie grandement sa sincérité et on comprend vite que ce qu'il veut bien nous montrer n'est qu'une façade qui cache d'affreuses douleurs insoupçonnables.

Ses voyages nous font découvrir un monde bien sombre, où il ne fait pas bon vivre et où être noir est un vrai problème, que ce soit finalement au nord comme au sud. On retrouve des codes de l'Amérique que l'on connaît, entre ségrégation, racisme et inégalité devant la loi et face à la police. Cette uchronie est ainsi bien construite et relie l'imaginaire à notre Histoire bien réelle.

Notre héros est complexe et on a du mal à savoir s'il s'apprécie lui-même ou non. Ses choix étonnent, surtout dans les derniers chapitres et c'est dans les rebondissements et les revirements de situation qu'il nous en met plein la vue, se jouant constamment de nous et de tous les autres, voire de lui-même. Il ne cherche jamais à se dédouaner ni à se justifier et c'est ce que l'on aime chez lui.

Davantage qu'une simple mission de plus, son travail devient un véritable combat contre ses principes et ses croyances, surtout quand il comprend que cette affaire ne concerne pas seulement un esclave en fuite. Ancien esclave et à présent « chasseur d'âme », notre héros a un esprit pragmatique et ses réflexions pointues sont riches et intéressantes. On apprécie lire ses pérégrinations quand il essaie de comprendre ce qui se passe et quand il tente de démêler le vrai du faux. Ses analyses sont dignes des meilleurs enquêteurs et on se plaît à pouvoir réfléchir avec lui pour déchiffrer cet entrelac incompréhensible.

L'affaire devient de plus en plus complexe et la vie de Victor devient rapidement menacée. L'intrigue ne cesse d'évoluer et on se sent pris au piège jusqu'au bout : qu'est-ce que cachent les hauts dignitaires ? Que manigancent-ils ? La réponse finit par arriver et c'est un coup de théâtre retentissant autant que douloureux. L'histoire est rondement menée et l'intelligence de l'auteur nous permet de ne rien sentir venir. On retrouve tous les codes d'un thriller haletant, composant avec des scènes de forte tension et des rebondissements à la chaîne. Il est dommage, toutefois, que certains passages ne soient pas développés de manière plus poussée et que des facilités scénaristiques soient présentes. le lecteur se perd quelque peu, notamment au milieu du récit, où certains passages manquent de clarté et vont trop vite.

Les quelques pages relatant le passé de Victor sont éparpillées à travers le roman et cachent une vérité noire et dramatique qui nous révulse, tout en nous faisant comprendre pourquoi il est devenu ainsi. On ne sait plus très bien si on doit continuer à l'apprécier, espérer qu'il s'en sorte, ou si on veut surtout finir le livre pour la résolution de son intrigue policière. Révoltant, frustrant, perturbant… autant d'adjectifs qui qualifient tous les ingrédients de ce roman.

Les personnages secondaires sont peu nombreux et l'écriture donne presque l'étrange l'impression d'un huis clos, alors que Victor bouge sans cesse pour résoudre des énigmes et avancer dans son affaire. Les autres portraits ne sont clairement pas aussi détaillés que celui de notre héros et il est difficile de s'attacher à eux. le chef de Victor est une personne froide et facilement détestable alors que la jeune femme blanche qu'il rencontre inopinément, Martha, est l'image même de l'innocence, bien que l'habit ne fasse pas le moine. Les membres du Underground Airlines sont difficiles à cerner. Agissent-ils réellement pour le bien de l'humanité ou pour le profit ? On ne sait plus vraiment si l'on doit faire confiance à l'humain et c'est là tout le talent de l'auteur : il parvient à effacer l'idée d'un monde purement manichéen et à nous faire comprendre que le mal se trouve finalement partout, et que tous les moyens ne sont pas justes même si l'on se bat pour une cause qui l'est.

La description de la vie des esclaves n'est pas très poussée et c'est tant mieux. Les rares passages sur le passé du héros et sa visite dans une ferme géante suffisent à noircir le tableau. On a la sensation d'être face à des animaux qui n'ont pas droit à la parole, qui ne peuvent plus penser par eux-mêmes, qui vivent parqués, qui sont salement punis, et qui vivent malheureux sans espoir de vivre un jour une autre situation que la leur. L'auteur ne dénonce pas ouvertement et nous laisse juger par nous-mêmes.

Underground Airlines est un livre à l'intrigue policière prenante et qui ne laissera pas indifférent. L'auteur n'est pas moralisateur et nous laisse seuls spectateurs de ce qui se passe. Vivre l'aventure à travers les pensées de Victor, un héros bien particulier et pas toujours juste, est une épreuve comme un plaisir. L'uchronie se veut imaginaire mais nous décrit pourtant des éléments d'un passé proche dont l'humanité n'est pas fière, et certains faits d'un présent que l'on voudrait révolu. L'auteur nous rappelle que, plus que jamais, le racisme est un thème d'actualité !
Lien : http://www.lavisqteam.fr/?p=..
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Dans le monde de Victor, les USA ne sont pas ceux que nous connaissons . Dans le monde de Victor, la guerre de Sécession s'est finie en eau de boudin. Les Quatre, les États du Sud, continuent à vivre de l'esclavage, dans l'indifférence coupable des autres membres de l'Union. Parfois l'indignation molle . Mais bon, rien ne change pour les troupeaux de Noirs du Sud, si ce n'est le perfectionnement des systèmes de production, et des méthodes de répression .
Quelquefois, un esclave plus déterminé que les autres parvient à franchir la ligne de démarcation, et à rejoindre la résistance qui l'expédie au Canada, via l'Underground Airlines .
Mais c'est rare . Victor le sait bien, lui qui n'a accompli que la moitié du chemin avant d'être coincé, pucé, embrigadé par les US Marshals; depuis lors, il a gagné le droit de se promener à peu près librement dans le cadre de sa mission.
Qui consiste à infiltrer les antennes locales des Airlines pour rattraper d'autres fuyards .
Des scrupules, il n'en a plus depuis longtemps . Il a trop vécu avec la peur pour accepter d'y replonger; il veut être du bon côté de l'horreur, voilà tout . Et il accomplit son travail méthodiquement, avec succès .
Sauf lorsqu'on lui refile un dossier pourri. Celui de Jackdaw. Un jeune homme trop beau, trop endurant, trop cruel pour être vrai, en quelque sorte . Un jeune homme dont les descriptions administratives sont trop floues . Les projets qu'on lui attribue sont nébuleux . le récit de ses délits imprécis .
Entre conscience professionnelle et conscience tout court, il va falloir choisir .

J'ai trouvé ce roman excellent en tous points . On vit au rythme de la traque, on entre dans la psychologie du héros très progressivement mais avec assurance, et l'auteur nous plonge dans un monde parallèle sans avoir l'air d'y toucher. Tout a l'air vrai.
C'est peut-être le cas ?
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critiques presse (1)
SciFiUniverse
04 décembre 2018
Ben H. Winters nous propose ici un thriller uchronique tendu et prenant dans lequel quatre Etats américains n'ont jamais aboli l'esclavage. Vous voici à suivre Victor, un chasseur d'âmes, un homme noir qui en retrouve d'autres pour le compte des US Marshalls.
Lire la critique sur le site : SciFiUniverse
Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
Je fis de mon mieux pour faire bonne figure pendant notre rapide dîner, ne levant pas les yeux de mon assiette, de mon sandwich, de mon coleslaw et de mon thé glacé. Dieu seul sait ce que j’avais espéré. Une chose est sûre, je ne m’étais pas imaginé que cet homme – ce gamin – irait prendre sur ses épaules le fardeau de ma souffrance. Que le cas de Gentle l’émouvrait au point de se ruer vers le Sud, flingues à la main, ou qu’il irait mettre sur pied une équipe de gros bras pour investir de force une mine de bauxite de Caroline. Je ne m’étais pas attendu non plus à le voir dégainer son portable et battre le rappel dans les rangs de l’armée des abolitionnistes.
Tout d’abord, parce qu’une telle armée n’existe pas. Tout le monde sait ça. Enfin, tous ceux qui ont un peu de jugeote. Pas d’Underground Airlines, du moins pas comme on pourrait l’imaginer. Pas de bases de commandement secrètes perdues dans les sables des déserts du Nouveau-Mexique, comme dans ce navet qu’ils avaient sorti il y a quelques années. Pas de groupes paramilitaires équipés d’hélicoptères de combat et de bombes incendiaires, qui attendraient que quelque mystérieux général abolitionniste leur ordonne de passer à l’action.
Pourtant, il y avait bien des missions de récupération. Des sauveteurs. Mais c’était au coup par coup. Des raids éclair menés par des commandos de nordistes, assez fous ou gonflés pour attaquer les Hard Four et ramener des gens vers la liberté. Des actions ciblées, des petites équipes, organisées en cellules, chacune traçant sa propre route le long de l’Underground Airlines. Tout ce qu’il fallait, c’était connaître la bonne personne. Et cet homme, ce père Barton, était justement censé être la bonne personne. Celui qu’il fallait suivre. Tous ceux que j’avais rencontrés jusqu’à présent m’avaient dit que là-bas, dans l’Indiana, à Indianapolis, c’était le père Barton de Sainte-Catherine l’homme à contacter.
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En créant des enclos comme celui-ci [Freedman Town], on ne laisse d’autres choix à ceux qui y habitent que de vivre comme des animaux. Il ne reste plus qu’à les désigner comme tel aux yeux du monde et dire Vous avez vu ces animaux? Car c’est bien le genre de personnes que c’est. Et comme ça, l’idée se diffuse dans toute la société, comme la fumée d’une usine : Noirs = pauvres et pauvres = dangereux et, petit à petit, les mots se mélangent pour devenir une seule et même idée sombre, un nuage noir dont les fumerolles nocives viennent planer dans le ciel du pays tout entier. (P. 192-193)
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Le centre communautaire ne devait pas être beaucoup plus grand qu’une maison de Monopoly, et il était aussi vieux que le péché. Peut-être même aussi vieux qu’Adam et Ève.
Sauf le cadenas. En laiton et qui, lui, avait l’air flambant neuf.
Je souriais tout seul dans mon coin en notant le numéro de téléphone, assez content de moi d’avoir remarqué ce détail. Content – avec un simple reçu de distributeur automatique – d’être remonté jusqu’à la banque, puis au centre, à Ruben et à cette porte. Content, en somme, d’être arrivé jusque)là avant même que Bridge n’ait pu me communiquer le dossier complet. C’était le plaisir de la découverte, la satisfaction du travail bien fait.
Et c’est bien ça le problème quand on fait le boulot du Diable. C’est qu’il peut aussi être gratifiant. Sacrément gratifiant.
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Nous avions aussi droit à notre petite polémique locale autour d’une initiative caritative appelée « Le Placard de Suzie » : des gens se rassemblant dans des arrière-salles d’églises pour envoyer des colis dans les plantations avec dedans des couvertures, des barres chocolatées, des trucs du genre. Ils étaient tout d’abord aller interviewer un travailleur social qui militait pour la cause des SDF et qui se demandait pourquoi notre attention devait se tourner vers le Sud, alors « qu’il y avait tellement de souffrance à notre porte ». Puis ça avait été le tour d’un porte-parole des Black Panthers qui avait dénoncé une campagne « d’améliorationnisme béat », reprochant à Suzie sa naïveté. Ce que j’avais trouvé un peu dur, étant donné que la gamine n’avait que neuf ans, après tout.
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Un Etat n'est pas un être moral, mais ses décisions à l'encontre des peuples qui le composent doivent l'être. Sinon il ne reste plus rien à graver dans le marbre.
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