Maryna Uzun –
Vous aimez les poètes, ne les nourrissez pas !
Si vous les aimez restez à leur écoute, laissez leurs ailes se déployer, envolez-vous avec eux, partagez leurs rêves, leurs folies des plus douces aux plus amères, riez et pleurez avec eux, n'essuyez pas vos larmes, eux ne le font pas non plus, autorisez-vous les cris de détresse et les cris de joie, vivez les chutes et les déchirures, grisez-vous des belles remontées quand le souffle s'arrête rempli du trop plein, prêt à exploser, acceptez les angoisses, les espoirs sans espoir, courez plus vite que vos jambes pour attraper au vol l'aigle, l'albatros ou le faucon, marcher au ralenti pour ne pas effrayer un lézard s'ensoleillant sur une pierre, ni une libellule qui joue coquettement avec les transparences de ses ailes, parlez aux pierres elles savent écouter, humez l'air de la terre il est bienfaisant, et rêvez, rêvez que, peut-être, tout se passera bien.
Je l'ai fait, croyez-moi, je n'avais plus envie d'abandonner cet envol et ses dangers que je craignais, et quand je suis arrivée à la dernière page et sa dernière ligne, je suis revenue au début et relu tout, de bout en bout, et « je resterai éprise de l'impossible dans ma clairière de l'invisibilité ! » p.9
Avant de commencer la lecture, on m'avait dit « butine mon abeille », coïncidence ! car j'étais sur un travaille « livre d'artiste » où, en répétitions de clepsydre, la feuille et l'alvéole créée par l'abeille revenaient en cycles grisants, sans fin sans commencement. Ah, les poètes, maudits ou bénis, « vous aquarellez avec vos larmes » p.10 le terne qu'on se crée nous-mêmes avec soin, et qu'on accuse après de nous avoir étouffés.
C'est un roman, une macaronée et comme toute macaronée elle est « rare et non paginée, se consomme en quantités réduites. Ce n'est pas systématiquement du miel apaisant, de l'huile luisante. C'est souvent de l'ail ou de la moutarde, ou du hareng saur. » p.12, ou de l'alcool fort. Mais nos yeux de lecteur « ont des pouvoirs de verres déformants qui bousculent l'ordre… La nuit, toutes les roses seront bleues ! » p.12 et la terre bleue comme une orange.
Et de page en page, d'une image à l'autre créée par l'appareil photo ou par des mots miraculés (guéris ou ressuscités grâce à l'imagination d'une poétesse émerveillée), le roman avance en racontant l'histoire incroyable mais vraie de ce qu'une sensibilité à fleur de peau a rencontré : les créateurs, musiciens, peintres ou poètes, la nature elle-même, une femme un homme et l'amour au milieu, l'amour quand il arrive non invité avec sa suite de rires de larmes de longues attentes.
Son roman aura éclairé le ciel, ébloui quelques humains, j'en fais partie, en conviens.
Que la poésie nous morde, nous chatouille, nous caresse, nous fouette au sang, nous enterre et nous élève, laissons la faire et prenons en soin.
Les mots dansent dans un carnaval fou, enluminé, souvent grotesque (j'entends les profondeurs d'une grotte), ils sont enchanteurs, malins, filous, s'associent en images surprises, font irruption comme « un tronc d'arbre en tutu » p.20, mots émotions ou clins d'oeil taquins en bons copains, je les aimes les relirai encore depuis le commencement, comme « Madame et Monsieur Peupliertitan [qui] se promènent sur la terrasse vide au petit matin. » p.22
Les images défient la mode et font un gracieux pied de nez aux phrases usées et fatiguées.
Les mots font la ronde et serrent la main à leurs confrères venus d'ailleurs d'outre océans langues cultures ou préjugés. Leurs vêtements sont cousus main pour émotions nouvelles, brodés avec soin, ou alors ils font un patchwork des plus rares et portent avec le plus grand naturel leur côté très précieux.
Un petit Nemorino est omniprésent, un certain Cazimir aussi, mais ce n'est qu'en lisant le roman qu'ils se dévoileront, ou pas.
Roman déconcertant, surprenant, mais non, plutôt surprises que surprenant (j'utilise bien le pluriel), tentez de suivre son fil et vous serez perdus, émerveillés en même temps.
Maryna Uzun est magicienne, tente, ose se lance dans l'océan des mots, elle est leur nymphe, leur muse. A sa rencontre les mots se libèrent du vieux « comme il faut » et se mettent à danser la ronde la plus folle, c'est grisant, comme une bonne drogue, j'en demande encore et encore.
Les mots sont guerriers et bons infirmiers, ils cassent, font des plaies, pansent aussi, ils sont toujours là.
Amoureuse, malheureuse, envolée sur les ailes de quelques cumulus poètes, Maryna, tu t'exprimes, tu fais sortir ton blues profond, tu te réjouis d'un moment de cueillette, lavande, fenouil, sauge, quelques grains de blé et tu te grises des bons moments fuyants qui passent et reviennent sans fin. Quand le « vin des métaphores se brouille » t'en bois encore, c'est ton « rêve hanteur » p.70. Mots filous, facétieux, chacun arrive avec son histoire, certains son appauvris tu en fais des arlequins, certains timides, tu leur donnes du courage et les habilles de fête, les mots arrivent et puis s'en vont en courant me laissant, lectrice non avertie, avec un tourbillon fou dans ma tête et la ronde ensorcelante, légère aussi, des lettres et des mots, images fées ou sorcières, ogres et petits poucets.
Je me prends dans le tourbillon des images surprenantes, je risque le grand vertige mais il me plaît, j'en boirais sans modération.
Chaque histoire une émotion et vice versa, elles viennent raconter la belle et poétique liberté des trouvailles et retrouvailles oubliées ou, peut-être, jamais tentées.
L'humour pointe son nez à chaque tournant, grand maître nageur, à expérience redoutable, il te/nous sauve de la noyade. « Cet homme n'est qu'un bouchon gris qui obstrue mon cerveau gourmand, c'est mon omelette volante non identifiée ! Il dort élégamment ses jours. »p.77.
Et la poésie arrive en urgence, ambulance sans retard pour te sauver d'une crise aiguë, d'un manque de souffle, que dis-je ? Manque de souffle ? Mais tu en as mis dans les 123 pages, il est court par moments, une tachycardie se fait sentir aussi, mais ton coeur de poète se remet aussitôt en marche, même forcée. « Je me cache bien dans le poème. Il est l'art de l'irrésolu avec une étreinte remise à plus tard » p.81 et quelques « virgules de larmes » p.82, toujours bien salées, empêchent l'implosion qui peut faire très mal.
« Clocharde olympique » p.87 accroche-toi à tes ballons de poésie, elle peut nous sauver, toi, moi, nous tous d'un désastre bien mérité. Créatrice sans répit, Nemorino et la poésie, laisse-moi m'accrocher à tes ballons magiques, on va s'envoler, le rêve a-t-il un âge, est-il désuet ?
Y a-t-il meilleur abreuvoir que la poésie ? Non ou peut-être si, à chacun comme il lui plaira. Pour moi, quelques vers, un pas de côté, une rime surprise bien achalandée, un saut sur un nuage pour dessiner ses clins d'oeil sont aussi « mes chimères bénéfiques, avec vous, j'ai tout et rien. Ma joie se profile sur le sable de notre précieux présent. Je me dépêche ! Mes mots s'oxydent ! Je les soumets sans faute à la vapeur sauveuse de la poésie. Mes vocables sont enfin vitalisées ! Ma vérité n'est pas dans les choses qui durent. Impressionniste, elle est dans l'éphémère. »