Premier tome de sa série sur le comté de Barset (qui est à Trollope ce qu'est le Wessex de
Thomas Hardy),
le Directeur, publié en 1855 après trois autres romans au succès mitigé, se focalise sur les accusations de détournement des revenus d'une oeuvre de charité au profit d'un ecclésiastique.
Le directeur du titre, Septimus Harding, titulaire d'une petite cure près du siège épiscopal de Barchester, devient sur proposition de l'évêque à la fois chantre de la cathédrale et directeur de l'hospice caritatif construit et géré à la suite d'un legs datant du XVème siècle. Cette charge n'en est pas une puisqu'il s'agit d'une sinécure payée 800£ par an avec une belle demeure mise à disposition. M. Harding est tout sauf un homme âpre au gain. Bon, féru de musique, violoncelliste lui-même, disposé à apporter soutien et réconfort aux douze pensionnaires de l'hospice, quelle n'est pas sa surprise et sa douleur d'être dénoncé et fustigé comme profiteur d'une institution charitable au détriment desdits pauvres pensionnaires!
Anthony Trollope rebondit avec son roman sur plusieurs affaires de prébendes et bénéfices ecclésiastiques multiples, qui secouent l'Église anglicane depuis quelques années, certains ayant ainsi amassés via le cumul des charges des dizaines de milliers de livres (bien que datant du milieu du XIXème siècle, ce type d'affaires gardent une certaine contemporanéité avec les problèmes de cumul de mandats des hommes politiques).
De sa plume vive et ironique, l'auteur dénonce les excès du clergé d'État à travers les péripéties judiciaires et de conscience du pauvre Septimus Harding qui ne mérite vraiment pas tant d'affronts dans les éditoriaux du Jupiter (alias le Times). Et Trollope d'en profiter pour égratigner les éditorialistes qui font la pluie et le beau temps, descendent à coup d'articles venimeux politiciens, prélats, généraux, etc.
Le Directeur offre aussi une belle galerie de personnages dont il dépeint fort bien, avec la touche satirique qui va bien, la psychologie et les habitudes: le doux Harding qui ne brille pas par un dynamisme exacerbé et souhaite le confort et la paix tant matérielle que de l'âme (ce qui le rend au final héroïque de moralité), l'évêque bonhomme et incompétent, son fils archidiacre qualifié de dictatorial par son auteur (même s'il reconnaît que cette histoire n'a pas permis de voir les bons côtés de l'homme qui existent aussi en dépit de son autoritarisme arrogant), le docteur Bold idéaliste et prêt à mettre en branle un procès au nom des douze vieillards qu'il estime spoliés, etc. A noter que les femmes sont hélas peu présentes ni éminentes dans leur rôle. On peut juste noter que la fille aînée de Harding, mariée au fameux archidiacre, est la seule à se permettre de contrarier ses dires et à lui asséner qu'elle n'attend pas de lui qu'il reconnaisse un jour avoir tort...
Le Directeur n'est certes pas le plus palpitant des romans victoriens. Pourtant il possède d'indéniables atouts et qualités. le style de Trollope en fait partie. Et à travers son récit, on découvre l'organisation du clergé anglican ainsi que la façon dont ses prérogatives et bénéfices commencent à être remis en cause. Merci aux notes en fin de volume qui éclairent diverses références à des personnages et affaires de l'époque décrite, inconnus au lecteur non anglais et non spécialiste du XIXème siècle britannique. Merci également à Folio pour son résumé de l'Histoire de l'anglicanisme et ses définitions des termes ecclésiastiques. La chronologie de la vie d'
Anthony Trollope, mise en comparaison avec les divers événements de son siècle, tant historiques que littéraires, permet de mieux contextualiser son oeuvre et de mieux le situer parmi ses confrères et consoeurs écrivains comme Dickens (moqué d'ailleurs ici sous le nom de M. Sentiment Populaire qui sauta sur l'affaire de l'hospice de Barchester pour pondre un larmoyant feuilleton avec pauvres pensionnaires maltraités et directeur ecclésiastique vicieux, aviné et les doigts crochus de spoliateur crispés sur le magot détourné),
Elisabeth Gaskell,
Thackeray, etc.
Après cette première découverte de l'écriture de Trollope fils (puisque sa mère écrit également), je poursuivrai avec plaisir ses Chroniques du Barset, avant de voir d'autres pans de son oeuvre.