Noir sur blanc

En dix ans de carrière comme auteur et bientôt quarante ans de vie, il était pourtant censé avoir acquis la confiance des éditeurs, mais il faut avouer qu'il traînait une mauvaise réputation concernant l'argent qui le suivait partout où il passait.

Tout ce que j'écris est puisé à la source du tourment véritable.

Voyez-vous, pour son oeuvre, un artiste doit être prêt à risquer sa vie!

Je commençais à en avoir assez de ces geishas de bas étage, ces peinturlurées complètement anachroniques, et c’est justement à ce moment-là que cette femme me tombe du ciel. Il n’y a rien de plus essentiel pour un romancier que l’expérience…surtout l’expérience des femmes, eh oui.

C’était son rêve : écrire à une telle vitesse qu’il ne se souvienne même pas de ce qu’il avait écrit. Sauf que plus il forçait sur la vitesse, plus il butait sur les détails de l’expression, et il n’écrivait jamais une seule page complète sans en déchirer d’abord deux ou trois.

Le personnage principal de son roman était donc écrivain, un écrivain au parcours très semblable au sien… Depuis qu’il était né, il n’avait jamais éprouvé d’amour pour quiconque, hormis pour sa propre personne. Le monde n’est qu’un grand n’importe quoi de bout en bout, voilà le nihilisme sous-jacent qui parcourait son œuvre. Et plus son talent artistique s’amenuisait, plus il se sentait enclin à appliquer cette idée à la vie elle-même. D’un côté, c’était à cette mentalité qu’il devait de n’avoir aucun véritable ami et de mener la vie recluse et cynique qui était la sienne. S’il n’avait eu ce don particulier pour la fiction, sa vie n’aurait été que vanité et solitude. Mais d’un autre côté, il ressentait le besoin de se tester : n’éprouvait-il vraiment aucune mauvaise conscience ? Le seul fait de se le demander était la preuve que déjà la folie couvait en lui, il ne s’en était simplement pas encore rendu compte. De toute façon, à son sens, sentir le poids de la conscience relevait tout bonnement de la névrose. Le système nerveux de l’homme est tellement délicat. Qu’on force sur ses capacités cérébrales ou qu’on soumette son esprit à une stimulation un tant soit peu excessive, et le voilà qui s’épuise et se détraque en un rien de temps, sans avoir pour cela besoin de commettre quoi que ce soit d’immoral. Par conséquent, c’était bien simple, pour accomplir un crime sans être oppressé par le fardeau de la conscience, il suffisait, soit de tromper son système nerveux, soit de l’endormir jusqu’à ce qu’il s’accoutume au mal. Et dans la mesure où « tromper son système nerveux » signifiait tout simplement « agir avec logique »… il devait être tout à fait loisible d’enseigner à ses nerfs que commettre un acte de ce genre n’avait rien d’effrayant, qu’il ne s’agissait au contraire que de mettre héroïquement en accord ses actes avec ses idées. Il suffisait de s’endurcir peu à peu dans le mal en surveillant ses réactions nerveuses du coin de l’œil pour devenir capable d’accomplir n’importe quel crime en toute indifférence.

L’homme ne contrôle pas son esprit, son cerveau n’est que l’appareil de projection de son cinématographe intérieur ; un projecteur automatique pour tout dire, d’où jaillissent les monstres des films délirants qu’il a décidé de visionner et qu’il s’oblige à regarder. Arrivé à ce stade, il est bien question de symptômes ! On n’est déjà plus digne du nom d’homme, oui, c’est être déjà à moitié fou. D’ailleurs, la principale cause de cette manie de parler tout seul était à chercher dans sa solitude permanente, il le savait bien, dans le fait de n’avoir personne à pouvoir considérer comme un ami.

Des idées sans queue ni tête, des idées d’un instant, stupides comme un oiseau qui vient se ficher dans une cloison de papier, et qui lui venaient aux lèvres sans même qu’il s’en rende compte. Quand les mots lui échappaient comme cela, il sursautait et se traitait d’imbécile, ce qui n’arrangeait pas les choses. 
Il faudrait tout de même que je trouve un moyen de corriger cette manie…

Le choix du nom du personnage était donc crucial. L’idéal était d’inventer un nom tourné de telle façon qu’il faille être soi-même le modèle pour se reconnaître, ce qui supposait à vrai dire que le nom du personnage fictif soit tout de même assez proche du nom réel, de sorte qu’en fin de compte un lecteur ordinaire risquait lui aussi de le reconnaître, ce qui pouvait être fort ennuyeux.