Terre de rêves, ce sont plusieurs récits du regretté
Jirô Taniguchi, réunis ici en un seul recueil. Et si l'on peut noter une grande cohésion entre les quatre premiers récits, qui forment une seule histoire sur la vie ordinaire d'un couple, on se demande en revanche ce que vient faire là le tout dernier, qui ne relève carrément pas du même thème ni de la même démarche.
Avoir un chien, Et maintenant... un chat, Vue du jardin et Quelques jours à trois sont des mangas du quotidien. Comme l'explique Taniguchi à la fin du volume (il faut absolument s'attarder sur ses textes en fin d'albums, qui éclairent toujours son travail et sont complémentaires de la bande dessinée elle-même), c'était là, à l'époque, une nouvelle forme de manga - forme dont il deviendra plus ou moins le chantre et qui lui a sans doute valu son succès en France. L'originalité profonde de ces récits-là, au-delà de la veine autobiographique, c'est qu'ils abordent des sujets considérés comme très anecdotiques pour beaucoup de personnes - japonaises ou pas. Les choses ont certes un peu changé depuis la première publication, mais, à lire encore certains commentaires de lecteurs sur Avoir un chien, on voit bien que Taniguchi est encore aujourd'hui relativement en marge dans sa relation avec les animaux, comme on voit qu'il porte un regard différent de ses contemporains sur la nature dans d'autres albums.
Avoir un chien, c'est l'histoire, racontée avec une grande subtilité, des derniers jours d'un chien et de son accompagnement dans la mort par sa famille. C'est aussi, tout simplement, l'histoire qu'a vécue Taniguchi avec son chien. Certains y ont vu une simple anecdote gnan-gnan. Je ne suis pas de ces personnes. Oh que non ! de mon point de vue, c'est sans conteste l'histoire la plus poignante du recueil, mais aussi la plus réussie. Taniguchi a réussi à transcender cette expérience personnelle pour parler des relations humains/animaux, de la vieillesse, de la fin de vie, de la douleur et de la difficulté de voir un être cher - animal ou être humain - s'éteindre. Très finement, il montre, de façon presque accessoire, combien on essaie d'éviter de penser à la vieillesse et à la mort, à travers le personnage d'une vieille dame qui croise Tam, le vieux chien déclinant, et qui engage un dialogue avec lui. C'est avec ce genre de récit qu'on sent à quel point Taniguchi était un homme à bien des égards délicat et hors-normes, lui qui portait autant d'attention aux derniers jours d'un chien qu'à celle d'un homme.
Les trois histoires suivantes traitent de l'adoption d'une chatte abandonnée et de ce qui s'ensuit - chatte enceinte, naissance des chatons, installation définitive des chatons dans la famille ou séparation -, mais font encore référence à la mort de Tam, le chien, et introduisent un nouveau personnage, Aki, la nièce du couple dont on suit la vie quotidienne. Façon de traiter de l'abandon des animaux, mais aussi de continuer sur une note optimiste : la vie reprend le dessus. On peut regretter que l'histoire d'Aki ne soit pas plus développée, d'autant qu'à travers elle on aborde un sujet assez délicat au Japon : celui des remariages et de la place des enfants dans un nouveau couple. Quant à l'histoire de la chatte Boro, elle est vraiment centrée sur des petits riens de la vie de tous les jours, et, si elle ne manque pas de charme, elle n'est pas non plus traitée en profondeur comme Avoir un chien. Mais elle parlera bien entendu à beaucoup de lecteurs vivant avec des chats (et moins aux autres, j'en ai peur).
Je l'ai dit, La terre de la promesse, dernier récit du recueil et inspiré de la vie de l'alpiniste Kawamura Keisuke, tombe un peu ici comme un cheveu sur la soupe. du coup, sans doute parce qu'il ne cadre pas avec le reste, j'y ai porté moins d'attention et il m'a laissé un goût de déception : pourquoi ce manque de cohésion soudain dans l'album ? Et pourquoi ce titre français pour le recueil, alors que le titre original était très proche de celui du premier récit, Avoir un chien ?