Àla découverte de Vidosav Stevanović, Видосав Стевановић, traduit par
Maria Bejanovska, publié numériquement par les Éditions Flora, un auteur serbe , qui a écrit drames, romans et une autobiographie du trop tristement célèbre Slobodan Milošević. Pendant la guerre de Yougoslavie, il a compté parmi les rares qui a pris le parti de résister frontalement à la politique du dictateur serbe, ce qui l'a conduit à l'exil. Il a habité Paris pendant un temps, aujourd'hui, il est retourné chez lui. Il a écrit ponctuellement pour des grands journaux européens, tels que Libération, le Monde, El Pais.
Iskra, étincelle en serbe, c'est le très court roman d'une jeune femme au prénom éponyme, une Bosnienne au coeur de la guerre de Yougoslavie : elle est accompagnée en tout début de récit de son père, de son prétendant qu'elle surnomme Chanteur. Jusqu'au moment où surgit une bombe, qui ravage tout, anéantit tout le monde ou presque. Mais c'est, avant tout, une confession imbriquée dans un conte, du moins ce qui prend tous les aspects d'un conte, mais qui s'en éloigne beaucoup. Point de fées ici, ce sont plutôt des figures de bourreaux, qui tour à tour maltraitent la jeune femme. Nul besoin d'être la mère d'une jeune fille qui a regardé le film en boucle pour relever l'allusion pleine d'ironie dès la deuxième de cette « reine des poêles ». Et un interlocuteur, un confident qui accueille cette confession, qui semble endossé la profession de journaliste ou d'auteur, comme un double fictif de notre auteur.
Je ne lui ai pas demandé : » Ne craignez-vous pas qu'en me servant de votre vie, et en raison des travers de mon métier, j'en invente une autre ? Une histoire écrite dans cette langue ou bien dans une autre, et qui serait plus au goût des lecteurs ? » Car il y a des faits que l'on ne peut pas inventer ni concevoir, ni même imaginer. Ils sont si terriblement réels que leur place n'est plus dans la réalité, ils doivent être déménagés dans un abri plus sûr. Tandis qu'une bonne prose ne dénonce ni ne trahit personne : elle dévoile la vérité mais garde le secret.
Un récit aux allures de conte, effectivement, les débuts qui en sont dignes, une petite fille qui naît, une mère qui meurt, un père seul, sans nom, qui élève sa fille, une histoire qui débute un soir d'hiver, la neige qui tombe. On comprend à diverses allusions sémantiques, celle du pèlerinage, du tapis, du cheitan (de l'arabe, signifiant Satan), que la famille est musulmane. Les promesses d'un avenir heureux s'arrêtent ce fameux soir ou la famille élargie, n'importe qui peut devenir un cousin, ou une fusillade éclate.
Iskra est enlevée, séquestrée et violée, et ce n'est que le début de son chemin de croix.
Et la guerre y est évoquée indirectement, à travers cette première fusillade, l'auteur parsème les indices qui nous entraînent sur la voix, le choix des mots est minutieux, coupant. La mort, la perte, le viol, en quelques pages, on est face aux crimes de guerre, où les hommes sont des bêtes laides, répugnantes et vicieuses, qui n'obéissent qu'à leur instinct de destruction et de domination. Les femmes sont désincarnées, leurs corps deviennent ceux de « poupées gonflables », réduites à l'état de bêtes battues, réduites à dévorer leur pitance à même la gamelle comme des chiens. Pas davantage de lumière dans la suite du récit – les premières lignes nous laissent cependant entrevoir un dénuement sinon heureux, au moins, un peu plus apaisé -, la continuité du chemin d'
Iskra qui va l'amener face à d'autres bêtes sauvages, qui va la mettre face à toutes les exactions possibles de la guerre face à l'armée serbe. Des Voïvodes, un grade militaire serbe, qui se voient et se prennent pour des fiers chevaliers venus combattre les Ottomans, ici les bosniaques.
Une écriture tout aussi brute, tranchante, à vif, elle met en exergue le pire, les pires horreurs de la guerre sont évoquées à tour de rôle, je parlais des méthodes employées pour asservir la population massacrée, mais également la vieille rengaine haineuse de l'épuration ethnique, où certains sont prêts à détruire plutôt qu'à accepter de coexister. La violence de la guerre est sourde, abrupte, aussi bien transposée dans l'histoire terrible d'
Iskra, que par les mots de Vidosav Stevanović, qui a su évoquer le pire, l'atroce, l'indicible presque, et toujours dans la retenue.
Iskra, c'est l'histoire d'un miracle, celui de la jeune femme bosniaque qui échappe de justesse plusieurs fois à la mort – mais au prix de violences inouïes, séquestrées, violée, trahi, vendue – et par qui l'enfant de son viol, serbo-bosniaque, contredit ainsi tous les plans des Milosevic et consorts qui ont tenté d'éteindre la population bosniaque. Avec cette grossesse pourtant indésirée et la naissance de cette enfant,
Iskra la vit comme une renaissance pour elle, même si d'autres embûches l'attendent, seule dans cette grotte, c'est très fort symboliquement. le reste de l'humanité est loin d'elle, dehors dans la vallée, en bas de la montagne qui l'abrite. Une fin un peu mystérieuse, qui laisse entrevoir une suite La toile d'araignée, qui traite de ces anciens paramilitaire, tel les bourreaux de
Iskra, qui revenus à la vie civile se sont confortablement laissés enfermés dans le rôle de bon père de famille. Des hommes qui n ‘ont rien réglé, et dont la guerre au contraire a exacerbé encore davantage les haines et ressentiments qui les consument.
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