Ce roman pourrait s'appeler le livre de l'Exode.
Le récit s'ouvre par une scène inaugurale qui évoque un châtiment céleste. On assiste, impuissant, à la destruction des récoltes et à l'anéantissement de tout espoir. le maïs sèche sur pied, faute de pluie, et une monstrueuse tempête de poussière vient se déposer comme un linceul sur les champs et les fermes.
Bien qu'installés depuis trois ou quatre générations, les fermiers endettés sont contraints de tout abandonner, en quête de la Terre Promise, la Californie.
Mais ils n'ont aucun Moïse pour les guider et pour accomplir des miracles en chemin. Même le Pasteur a perdu la foi et se refuse à dire des prières.
Alors commence un long chemin de croix, une errance de milliers de kilomètres et la dislocation progressive de la famille. Si au départ, ils doivent s'entasser à onze dans le vieux camion brinquebalant et rafistolé, au milieu du mobilier et des casseroles, des outils et des sacs de pommes de terre, chaque étape est marquée par une disparition. Comme dans les
Dix Petits Nègres d'
Agatha Christie, on se demande qui restera le dernier.
Le romancier alterne les chapitres consacrés aux pérégrinations de la famille et à sa lutte pour faire face aux difficultés, avec des récits plus "documentaires" sur la situation socio économique du pays pendant la Grande Dépression. Une mise en perspective plus politique qui permet de cerner l'ampleur des dégâts et les mécanismes de la crise. Mais il garde un ton résolument proche de la réalité, dans toute sa cruauté.
La baisse du coût du travail provoqué par le chômage de masse et l'afflux de main d'oeuvre, la concentration des domaines agricoles entre les mains d'un petit nombre de propriétaires, la répression brutale des grèves et des syndicats, l'absence de système d'assurance sociale, la précarité de la situation des migrants, le rejet dont ils sont l'objet, tous ces éléments forment la toile de fond sur laquelle la détresse humaine est au premier plan.
Misère matérielle et souffrance morale s'abattent sur ces cohortes de migrants, qui s'efforcent de conserver leur dignité à travers des gestes de solidarité, de partage et d'entraide. La scène finale, se déroulant dans un décor de fin du monde, tend à prouver qu'il peut y avoir de l'humanité même dans le dénuement le plus total.
Elle renforce aussi le rôle essentiel donné à la mère comme pilier de la société, aussi indispensable pour nourrir les estomacs que pour maintenir les liens et imposer une cohésion et une éthique.
Un roman intemporel, qui trouve un écho très actuel à l'heure où les questions migratoires se posent à nos sociétés, où les inégalités se creusent et où les désastres écologiques se multiplient.