Le 3ième tome de cette belle oeuvre nous fait découvrir la partie Argentine de l'aéropostale, et j'avoue avoir été particulièrement ému par ce récit. En effet, jeune, pour ma Coopération lorsque le service militaire était encore obligatoire, j'ai été envoyé à Comodoro-Rivadavia, une grande ville de Patagonie ayant appuyé son développement sur l'économie du pétrole. Je pensais être le seul français sur place, c'est en tout cas ce qu'on m'avait dit à Paris avant de partir. Qu'elle ne fut pas ma surprise de constater, à la sortie de l'aéroport, que ce n'était pas le cas. En effet, un panneau indiquait : "ici, en 1929 a vécu
Antoine de Saint-Exupéry, pour créer la ligne aéropostale de Patagonie". J'avais un ami sur place et j'en étais heureux, même si le dialogue, au delà des années, et de la mort, n'était pas des plus évidents. Qu'importe : il avait vécu ici, et je pouvais m'épancher auprès de lui, le sonder, comme auprès d'un bon ami que la différence d'âge ne rebute pas.
J'y ai donc retrouvé tous ces paysages de Patagonie, ces landes herbeuses, ces lacs, ces glaciers, ces petits villages comme San Julian. Et la ville de Comodoro Rivadavia dont on retrouve des descriptions inédites dans l'intégrale de la Pléiade. de mémoire, une ville comparée à celles de la ruée vers l'or dans l'ouest américain, avec cet appel d'air ici pétrolier qui fait venir toute la misère du monde, ces vieilles baraques construites dans l'urgence autour du Chenque, montagne entourant la ville, et que la Bd montre bien. Ses derricks de pétrole en bois ainsi que ses lions de mer se dorant sur les plages sont également présents.
J'avais eu la chance de rencontrer une vieille dame dans le petit village adjacent de Rada Tilly, sorte de Maud contemporaine se moulant parfaitement dans le personnage de la pièce Harold et Maud, une vieille dame excentrique donc, qui avait connu les aviateurs de l'aéropostale. Elle m'avait raconté le souvenir de sa grand-mère frottant le torse et les membres gelés des aviateurs qui, à leur descente d'avion, étaient invités à dîner et à passer la nuit dans la grande maison familiale de cette famille d'immigrés russes : Mermoz, Guillaumet, Saint-Ex et les autres.
La Bd relate un passage étonnant d'une halte au milieu de nulle part dans une grande maison bourgeoise perdue au milieu de la Pampa, tenue par une famille d'immigrés français, avec une belle réflexion sur l'enfance trop vite perdue et dont on reste nostalgique. On y lit également le récit de la disparition de Guillaumet au dessus des Andes et qui a pu miraculeusement s'en sortir.
Le cycle finit bien par se terminer hélas, et on se dit qu'on aurait bien lu 20 tomes sur la vie de ce grand écrivain, qui a eu le bénéfice de vivre l'épopée qu'il a conté.