UN DERNIER POÈME QUI RESTAIT
Là où sont des étoffes c’est que des gens sont vivants :
Carrés de torchons petite culotte ou T-shirt qui sèchent
Sur un fil qui traverse la rue pas large, on devine
Le manque d’espace (et peu d’argent) pour rien installer
dans la maison, la table de la pièce à manger pour tout
repasser, va jouer dehors dit la mère,
Comme de précipiter dans la rue
Les deux trois couleurs de chiffons qu’est l’enfant.
Dehors
Ces couleurs de tissus vivants
Du pavé jusqu’au ciel d’entre les toits.
L’enfant sali regarde
L’intimité de chez lui qui sèche et parfume le temps.
Si j’étais celui qui prend les photos
Dans mon sentiment pour un objet, un paysage
Il faudrait que j’apprenne, je le sens bien
À ne plus voir, à ne plus vouloir me saisir de rien
Mais faire comme si dans l’instant j’inventais
Des formes et des couleurs, et que pourtant
Le tissu du rideau qui bouge
Contre une ferronnerie d’un salon de thé, à Taroudant
Soit quand même ce rideau
Sur la photo que je viens de prendre.
Se rapprocher des photos
On l'étendait parfois dans l'herbe
Juste pour s'asseoir, y bouger, le corps
Dans la douceur du vieux couvre-lit, la prairie
Comme une chambre en plein ciel comme si
Tout le fermé du cœur se trouvait déplié.
Le vert que broutaient les vaches, on les voyait
Parcourant lentement du grand bleu.
Un vieux couvre-lit
Comme un nuage mis par terre.
James SACRÉ – Surpris par la Poésie (France Culture, 2003)
L’émission « Surpris par la Poésie », par Frank Smith, enregistrée dans la Petite Salle du Centre Georges Pompidou, diffusée le 23 mai 2003 sur France Culture. Invités : François Boddaert et Bruno Di Rosa.