Yann Quenet en avait toujours rêvé… alors il l'a fait ! Arrivé à l'âge de la retraite, sans plus d'attaches ni de contraintes en France, il décide de construire son propre bateau et de partir pour un long voyage, d'abord traverser l'Atlantique et ensuite on verra bien. Mais point de budget faramineux ni de construction alambiquée ici, Baluchon, son fidèle navire, sera une simple coque de noix d'à peine 4 mètres de long, conçue avec amour et où tout problème technique trouve une solution, de préférence simple et peu onéreuse.
A l'heure où les récits de voyage de pseudo-aventuriers, soit aidés par des moyens financiers et/ou techniques impressionnants une fois qu'ils ont acquis une certaine célébrité, soit transformant le récit de leurs vacances en vraie fausse aventure, ont la fâcheuse tendance à fleurir en librairie, j'avoue que cela fait vraiment du bien de se plonger dans le livre de
Yann Quenet. Ici nulle volonté d'esbroufe, encore moins de défi sportif, juste une envie folle : celle de découvrir le monde via ses océans et de trouver une certaine forme de sérénité et de paix au milieu de l'eau, loin du monde et des hommes. Alors quand la première version de son petit bateau chavire irrémédiablement au large de l'Espagne,
Yann Quenet (qui entre parenthèses aurait pu y laisser sa peau sans de bons réflexes, une bonne préparation et un peu de chance) reprend ses outils, réfléchit à ce qui n'a pas fonctionné sur cette première version et construit un nouveau bateau qui deviendra le célèbre Baluchon héros de France et d'ailleurs. Cela nous vaut un premier chapitre épique et impressionnant qui donne d'emblée le ton de l'ouvrage : tout en modestie malgré un évident savoir faire et un grand courage.
Le reste du récit se dévore de la même manière grâce au ton si juste de l'auteur et à son humour qui nous vaut de merveilleux passages. Car bien sûr Baluchon (et son propriétaire) ne rentre pas dans les cases : à l'heure où la sécurité absolue est un impératif, où tout doit être contrôlé et réglementé, c'est un vrai régal de voir
Yann Quenet embarquer en douce, quitter les ports de nuit sans rien demander à personne, masquant si besoin l'objet de son périple puisque son bateau ne respecte absolument pas toutes les règles en matière de navigation hauturière. Et quand le voyage de l'auteur se heurte à la crise sanitaire engendrée par le Covid19 et à son cortège de confinements et restrictions c'est encore plus drôle et on l'envie d'avoir vécu si longtemps en mer loin de notre monde devenu fou ! Et puis même si tout ça est narré de manière à minimiser l'aventure et le savoir-faire de l'auteur, on ne peut qu'admirer l'ingéniosité dont il fait preuve pour traverser ainsi des océans (dont le redoutable Pacfique qui a effrayé plus d'un bateau) à bord de sa petite coque de noix, avec un équipement plus que minimal, se nourrissant de boîtes de sardine et de nouilles lyophilisées, dormant sur une simple mousse posée sur ses caisses de ravitaillement, vivant dans une humidité constante et prenant des paquets de mer au moindre grain après s'être rendu compte qu'il fallait laisser ouvert l'accès au cockpit s'il ne voulait pas étouffer pendant la nuit… Toutes ces anecdotes ainsi que toutes les rencontres et aventures vécues au fil des ports et des mois sont narrées de manière très expressive, avec un récit qui sonne toujours juste sans jamais nous lasser et surtout qui nous force à réfléchir sur ce besoin de toujours plus et sur le courage de certains pour prouver que tout est possible même avec des moyens plus que réduits quand on en a vraiment envie.
Il me restera de ce récit une belle image, plusieurs fois décrite par l'auteur au fil des arrivées au port : ce bateau miniature entrant au port à la rame (aucun moteur sur Baluchon !) après avoir traversé les océans et venant se ranger à côté de navires tellement plus gros et mieux équipés que lui, au point que pas un marin ne veut d'abord croire que l'auteur arrive de l'autre côté de l'océan. Un récit de voyage toujours prenant où on ne s'ennuie jamais et où on guette avec impatience la prochaine escale et qui en plus nous fait réfléchir au sens que l'on veut donner à sa vie et à l'absurdité parfois de notre monde… que demander de mieux ? L'auteur est semble-t-il en train de réfléchir à un prochain ériple, pour ma part j'espère bien qu'il prendra le temps de nous le raconter car je suis déjà en manque des aventures de Baluchon.