Avec Paul B. Preciado, c'est soit tout, soit pas grand chose.
Les passages quasi-encyclopédiques étaient agréables à lire : on en apprend beaucoup sur toutes sortes de thématiques et ces nombreux fun facts sont contés avec habileté et maîtrise.
Néanmoins, l'accumulation de belles formules, de mots inutilement complexifiés et d'images assez capilotractées ne rendent pas l'oeuvre plus intéressante. Au lieu de se focaliser sur des constats déjà généralisants et approximatifs qui ne manqueraient pas à être plus étayés, plus scientifiquement fondés et généralement mieux démontrés, Preciado s'obstine à répéter sans cesse les mêmes choses. Les 150 dernières pages m'ont tellement fait souffler... J'avais l'impression de devenir sénile à force de lire en boucle les mêmes “preuves” du caractère pharmacopornographique de l'ère globalisée dans laquelle nous nous trouvons et j'ai mis beaucoup de temps à finir ces derniers chapitres.
Et puis de nombreuses conclusions sortent un peu de son chapeau. Dans certains passages, il s'applique tellement à sourcer et expliquer par les productions scientifiques d'universitaires tout ce qu'il raconte, qu'on ne peut qu'être déstabilisé par ce contraste gênant et excessif.
Il y a de nombreuses références passionnantes dans ce texte, une bonne introduction à pas mal de concepts philosophiques et penseur·se·s. À nouveau, c'est très regrettable qu'il n'y ait pas plus d'ancrage sociologique, mais ce n'est pas ce que la plupart du lectorat-cible de Preciado recherche, je pense. Ce défaut rend l'oeuvre moins appréciable à mes yeux car la position d'écriture de départ qui était celle d'un carnet sur sa prise de testo et ses réflexions personnelles autour, évolue très rapidement en manifeste de philosophie politique un peu grossier dans ses démonstrations et perd tout intérêt dès qu'il narre ses aventures passionnelles avec Despentes. Alors, il sombre dans des élucubrations inutilement compliquées mais qui prennent le soin d'éviter toutes explications/prescriptions de stratégies politiques concrètes (autre que la subversion des normes de genre à échelle individuelle ou micro-militante). Mais bon, je suppose que c'est comme ça, il faut savoir être moins carré et plus flexible, notamment lorsque l'on lit des personnes aussi brillantes (mais un peu perchées quand même).
Pour les scènes de sexe avec
Virginie Despentes : bon, en tant que lecteurices, on porte clairement la chandelle. Au début, c'est “intéressant” de découvrir leur dynamique artistes-amants-penseurs féministes ; ensuite, ça devient redondant et un peu cringe sur les bords, surtout dans la manière qu'il a parfois de parler de “V. D.” presque comme un gros mascu (que leur roleplay peut expliquer partiellement mais pas du tout intégralement).
Je suis beaucoup restée sur ma faim. de nombreux passages ne demandaient qu'à être plus détaillés, mais c'est là que l'on voit les limites de ce travail : l'auteur ne parvient pas à donner réponse (rigoureusement) à toutes les questions qu'il ambitionnait d'explorer.
Quoi qu'il en soit, cette lecture m'a permis de visualiser en quoi les apports de la pensée postmoderniste sont tout de même importants et m'a fait noter des dizaines et dizaines de références biblio qui ont l'air incroyables. Petit conseil : il vaut mieux débuter cette lecture en ayant une connaissance (même superficielle) des travaux de Foucault, de Deleuze &
Guattari.
Impression finale : Preciado arrive à de nombreuses reprises à être un grand pédagogue et je lirai certainement ses autres livres !