Les Derniers Géants est un album (ou texte illustré) écrit et illustré par
François Place, édité en 1992 chez Casterman.
Au cours d'une promenade sur les docks, Archibald Leopold Ruthmore fait l'acquisition d'un objet insolite et extraordinaire : une dent de géant ornée de gravures sur toute sa surface. Après une étude minutieuse de l'objet fantastique, l'explorateur anglais découvre une carte géographique sur une face interne de la dent et décide de partir en expédition, à la recherche du « Païs des géants ». Animé par une curiosité sans bornes et une soif de découverte, il embarque sur un navire, l'esprit rêveur. Arrivé en Birmanie, Archibald s'entoure d'une vingtaine d'hommes pour l'accompagner dans son périple. Les eaux déchaînées, la jungle hostile, la chaleur moite et écrasante rendent le voyage difficile et dangereux. Arrivé au pays des Wa (peuple coupeurs de têtes), l'équipe se fait massacrer et Archibald doit poursuivre la route seul malgré les risques qui pèsent maintenant sur sa vie. Tant bien que mal il progresse jusqu'à la découverte d'empreintes de pas de géants puis d'un cimetière. Exténué, il perd connaissance pour se réveiller entre les mains bienveillante des Géants dont il a tant rêvé...
Les géants, tatoués de la tête aux pieds, l'accueillent et prennent soin de notre explorateur. du détail des dessins de leurs peaux à leurs chants mélodieux Archibald note et immortalise tout dans ses carnets de voyage. Alors qu'Archibald apprend tout de leur mode de vie, les mystères de leur existence et de leur peau enluminée, semblable à des tatouages maori, demeurent. Presque une année après son arrivée, Archibald s'ennuie de l'Angleterre et quitte le Pays des Géants pour retrouver la civilisation et surtout rédiger un ouvrage scientifique sur le peuple qu'il a découvert. Son ouvrage connaît un succès phénoménal en dépit du scepticisme de la communauté scientifique. Comme investi du devoir de révéler la vérité, il réunit les fonds pour une seconde expédition. Accueilli en héros en Birmanie, il découvre avec horreur la tête d'un géant qu'on lui offre. le secret révélé par les livres d'Archibald a causé la perte des neuf géants, ses neuf amis, trahis par son désir de gloire. Anéanti par les tristes conséquences de ses actes, il abandonne livres et science pour devenir matelot. le corps tatoué et la tête pleines d'histoires on le retrouve à conter la beauté du monde dans chaque port.
L'histoire se présente sous la forme d'un carnet de voyage dans lequel le texte sur la page de gauche est placé en vis à vis de l'image à droite.
François Place emploie un langage soutenu qui correspond à la catégorie sociale du jeune Archibald, explorateur et scientifique érudit du 19e siècle. le texte déploie des descriptions détaillées (paysages rocheux, jungle luxuriante...) au moyen d'un vocabulaire très précis et peu courant dans la littérature jeunesse actuelle. le voyage est raconté dans l'ordre chronologique, à la première personne, ce qui nous permet de découvrir l'histoire dans le vif de son déroulement. L'imparfait et le passé simple ancrent le récit dans un temps révolu néanmoins, ce qui marque une petite distance entre le récit et le jeune lecteur. Grâce à la richesse de ses descriptions et les repères chronologiques (le récit se déroule sur plus de dix ans) et historiques, le récit tend vers un réalisme dont seuls les personnages fantastiques de Géants nous éloignent.
Si le récit est mené à la 1ere personne (sauf la dernière page) toutes les illustrations montrent l'explorateur d'un oeil extérieur, ce qui n'invite pas à l'identification au personnage. le narrateur est omniprésent dans l'image et le texte. Les illustrations sont de magnifiques aquarelles, très détaillées et oniriques, de taille égale au texte et le décrivent parfaitement, en alimentant l'imaginaire de l'enfant. Les couleurs froides ( nuances de bleu, vert, gris) teintent la majorité des illustrations et invitent à la rêverie en alternant avec des teintes ocres.
Les derniers Géants est une véritable aventure humaine lors de laquelle le narrateur éprouve toute une palette d'émotions, de l'excitation du voyage en passant par l'exaltation de la découverte jusqu'à la tristesse d'une prise de conscience. C'est aussi une aventure initiatique qui apporte la connaissance au héro qui en sort métamorphosé. La question de l'ambition personnelle et scientifique est posée : « Jusqu'où faut-il aller pour la science ? » Et de façon plus générale, « Faut-il révéler un secret ? ».
La chute des derniers géants fait écho à la disparition de civilisations anciennes comme le peuple Maya. le thème de l'intrusion hostile d'un peuple dans une culture renvoie au thème plus général de la colonisation auquel le jeune lecteur sera invité à s'intéresser.
Les derniers géants s'apparente aussi à un conte philosophique. Archibald paie de la vie de ses amis géants sa soif de découverte et d'ambition mais trouve le salut dans la métamorphose de son personnage. Sa rencontre avec un peuple inconnu, la compréhension et acceptation mutuelles qui en découlent n'ont pas suffit à l'explorateur pour prendre conscience de la richesse d'esprit que lui avait apporté les géants. C'est en devenant matelot et en abandonnant toute richesse superflue et matérielle que se révèle la véritable richesse, celle du coeur, de la nature, des yeux écarquillés des enfants qui écoutent ses récits.
Concernant les personnages, ils incarnent la confrontation de deux univers. Tout oppose Archibald aux Géants. Ils ne portent qu'un manteau de feuilles pour couvrir leur peau tatouée des événements de leur vie, tels des livres ouverts. Honnêtes, hospitaliers et pacifiques, seuls des chants empreints de douceur expriment leur pensée. A l'opposé, Archibald est richement habillé, ne quitte pas son haut de forme et ne cesse de penser à son projet scientifique, caché derrière ses notes, aveuglé par son ambition. Lui ne profite pas réellement de l'échange.
Le livre s'adresse à des enfants à partir de 10 ans mais un adulte peut y trouver matière à réfléchir.
Le récit n'épargne ni les difficultés ni la mort aux enfants et le dénouement est bouleversant pour qui est entré dans l'histoire. Cet ouvrage est une aventure pleine de rebondissements qui divertit et instruit en même temps, à la manière d'un apologue.
Du même illustrateur, je recommande
le Roi de la forêt des brumes (
Gallimard Jeunesse, 2013) de
Michael Morpurgo (auteur). Cet album est aussi une invitation à relire
Les Voyages de Gulliver de
Jonathan Swift.