Le premier véritable coup de mou du Haut-Royaume... et venant à la suite du meilleur des cinq romans que comptent cette série jusqu'à maintenant. Quel dommage!
D'autant plus décevant que je pensais savoir la direction que prenait
Pevel avec une histoire qu'il faisait durer depuis longtemps. Jouant avec cette ambiguïté du héros qu'il affectionne tant, la confrontation finale entre le Chevalier à l'Épée et le Prince Noir aurait pu aboutir au meilleur développement de personnage héroïque ou anti-heroique jamais entrepris. Mais ça n'est pas la direction qu'il a pris.
Après avoir lu L'Adversaire, j'étais convaincu que Serk'Arn utiliserait l'Esprit d'Obscure qu'il avait extrait de Lorn pour donner vie et puissance à son nouvel 'Emissaire', le Prince Noir, un écho sombre de Lorn censé remplacer son demi-frère mort-né. Mais non. En lieu de ça, le rôle du Prince Noir va apparemment revenir à Jall, un personnage intéressant, certes. Mais loin d'être aussi intéressant que Lorn s'affrontant lui-même. En lieu de cela,
Pevel semble ramener Lorn fermement dans le rôle du héros, sans la moindre once de malice demeurant en lui. Pas plus que le doute, à l'exception évidente du désespoir qui le touche quand la cause qu'il soutient semble perdue ou qu'il ne sache toujours pas quoi faire du Destin qu'il a accepté dans le précédent tome. Hormis cela,
Pevel utilise surtout ce tome pour permettre à Lorn de compter avec ses erreurs passées et de véritablement devenir le héros qu'il était toujours censé être.
L'Emissaire n'est pas le premier coup de mou de
Pevel dans sa carrière. Il a toujours eu tendance à nous faire apprécier des histoires vraiment brillantes avant de piquer du nez soudainement au moment d'achever l'histoire. Ca a été le cas avec le Dragon des Arcanes et le Chevalier de Wielstadt, et c'est désormais le cas avec le Haut-Royaume. La seule de ses sagas à échapper à cette tendance à été le Paris des Merveilles. Mais, comme dans le cas de ces autres romans, cela ne veux pas dire que celui-ci est mauvais. Loin de là. Comme d'habitude, on se laisse entrainer.
Pevel excelle toujours dans la présentation des intrigues et d'un sentiment de realpolitik qui se heurte aux rancoeurs et aux destins. de même, il maîtrise très bien les personnages et ce roman nous permet de retrouver certains que l'on n'avait pas revus depuis un moment. Et cela fait plaisir.
Pour moi, l'un des véritable plaisirs de cet histoire a été de retrouver le prince Yrdel, et la famille de Laurens, personnages qui ont tous bien changés depuis la dernière fois qu'on les a vus.
Yrdel, toujours prétendant au trône du Haut-Royaume, est en mauvaise passe quand le roman commence, mais la décision de plusieurs personnages de s'associer à lui font que l'on peux enfin le voir sous son vrai jour: un homme sage, certes convaincu qu'il est dans son droit et prêt à faire la guerre pour le défendre, il ne la méprise néanmoins énormément et préféra toujours faire la paix. Comme le décrit Lorn dans le roman, il est un homme capable de décision qui a souffert d'être caractérisé comme étant indécis sans jamais contester cette image.
Alors que ses troupes restantes sont encerclées par les mercenaires de son frère, il envisages de se rendre pour épargner ses derniers partisans, plaçant leur bien-être au dessus de son droit. Mais Lorn l'en dissuade. Malheureusement, on ne passe guère plus d'un seul chapitre dans sa tête, et c'est dommage.
Plus tard, on retrouves les Laurens, la famille princière de Sarme et de Vallence (il faut s'imaginer les Medici pour les représenter, surtout que les similarités entre l'Irédie et l'Italie sont encore plus poussées dans ce tome). Leur situation a changé depuis L'Héritier, en particulier par les actions de Lorn. Lui qui devait jadis rejoindre leur famille, le voici désormais privé de leur affection et de leur amitié.
En raison du scandale autour de la grossesse d'Alissia et la mort du comte de Forland aux mains de Lorn, les seigneurs iridiens se sont rebéllés à la mort du duc, forçant son héritier Enzio (jadis le meilleur ami de Lorn) à prendre les armes dès son ascession au trône. Inutile de dire qu'il en veux beaucoup à son ancien ami. Maintenant, Lorn doit compter avec cette situation, surtout alors qu'il a besoin de leur aide. Et en payer le prix.
On apprend enfin ce qui arrive à Alissia et, je dois admettre, de tous les personnages de ce tome, c'est elle qui m'intrigue le plus. Sa fille, née de sa liaison d'une nuit avec Lorn, est morte un an après sa naissance, et Alissia décide de ne plus se contenter d'être la fille disgraciée d'une famille noble qui, pour la plupart (sauf Enzio, qui ne pourrait jamais se résoudre à abandonner sa soeur), l'a rejettée. Pour y échapper et enfin bénéficier d'un peu de pouvoir, elle rejoint l'ordre des courtisanes, les Lys, manipulant les évènements en secret pour permettre au prince Yrdel de reprendre l'ascendant sur Alan.
Dans le même registre,
Pevel fait avancer l'histoire considérablement. Ce tome traite du dernier chapitre de la Guerre des Trois Princes, décidant enfin qui des deux prétendants (Yrdel ou Alan) siègera sur le trône du Haut-Royaume. Les intrigues de Serk'Arn évolue continuellement, intégrant à ses plans un ennemi qui ne se contantait que d'observer et d'attendre son heure. Mais l'intrigue qui m'a la plus surprit, car on la suit depuis des années maintenant, se déroule au sein de l'Assemblée d'Irkans, les mystérieux gardiens et observateurs du Destin.
Ou, plus précisèment, leur absence. Car l'Assemblée s'est séparée, dissoute en raison des conflits séparant ses membres et la disparition du Dragon du Destin. Ne pouvant plus lire les possibles destins dans les étoiles à cause de cet évènement, elle n'a plus raison d'être. Ce que cela présage pour la suite de l'histoire est vraiment très, très intéressant.
Malgré ça, on ne peu pas échapper au mou et, si certaines de ces intrigues sont les bienvenues, on les a déjà vues et experimentées. Ce roman compte de nombreux détours qu'il n'était pas nécessaire de prendre. le passage à Oriale au début du roman aurait très bien pu être survolé, son intérêt ne nous montrant quelque chose que nous savions déjà à propos de Lorn (qu'il est prêt à tout, quelque soit les circonstances, pour sauver ses amis). le passage à Arcante semble avoir un intérêt, permettant à Lorn de confronter son passé tout en battant ses ennemis à leur jeu. Mais la récompense de ce détour ne se matérialise pas.
Après avoir souffert brutalement en tentant d'obtenir le soutien d'Enzio dans la guerre contre Alan, cet aide n'est même pas présente à leurs côtés pour la bataille finale à Oriale. On sait seulement qu'Yrdel s'est rendu en Irédie pour renforcer son alliance avec Enzio. C'est tout. Et Jall et Alan, qui ont joués un rôle si important auparavant, sont laissés sur la touche, leurs maigres scènes ne révèlant que très peu sur eux. Et certaines étant franchement décevantes.
Pourquoi Jall a-t-il été tué entre les deux romans plutôt qu'à la fin du précédent, ou en flashbacks pour nous permettre d'en mesurer l'impact? Comment Alan aurait-il réagit à la nouvelle que son frère est désormais le Prince Noir? Ou, si je reprends l'idée que Lorn aurait pu être le Prince Noir sous la forme de son Esprit d'Obscure, cela aurait pu permettre une confrontation très intéressante entre les deux. Mais non.
En définitve, il y avait tant de choses que
Pevel aurait pu faire avec ce tome, qu'il n'a soit pas fait ou qu'il a ignoré (où sont les Feln? Toujours absents après avoir été si présents dans les deux premiers tomes). On se laisse entrainer parce que
Pevel est toujours dôté d'une plume agréable et facile à lire, et qu'il maitrise les intrigues assez bien pour ne pas nous perdre. Mais, au moment du bilan, on peux se demander pourquoi il n'a pas été plus ambitieux.