Citations sur L'ombre animale (27)
… de notre mère, les jours de vaches maigres où elle mettait de l’eau à bouillir dans une casserole vide en nous faisant croire qu’on allait bientôt manger, entre-temps elle nous racontait des histoires jusqu’à ce que le sommeil nous emporte,…
...Toi avait trouvé du travail comme "technicienne de surface" c'est à dire chienne à plein temps et à tout faire pour trois fois rien, en haut chez les riches on s'efforce de dire autrement les même choses qu'on dit en bas chez les pauvres, avec des mots qui passent par tous les chemins, s'arrêtent à tous les carrefours avant de se diriger vers le but fixé, à croire que leurs euphémismes rendraient moins pénible, moins avilissant, le boulot de cette étrangère qui vient s'ajouter aux malheurs de notre ville,...
« il est de ces jours où il fait un temps à aimer la vie, coucher sous les arbres, regarder danser le vent dans les branches, compter les étoiles éparpillées sur l'immense tapis noir du ciel, à essayer bêtement à trouver celle qui t'appartient, car chaque vivant sur la terre est branché à une étoile dans le ciel qui file la veille de sa mort (...) »
La fille, c’était la porte de sortie de la famille. Dès qu’elle arrivait à l’adolescence, on l’emmenait au marché pour être vendue au plus offrant. Il ne s’agissait pas de mariage arrangé, où il y a parfois une petite complicité entre les futurs époux, mais d’un trafic, une question de vie ou de mort.
« partir, appartenir à la beauté, la beauté hors de toute conjugaison, réinventer le voyage, bouteille à la mer, au bout de la nuit, ballottée vers soi-même, un ailleurs sans nom, sans trêve, s'extirper de sa léthargie, sa chrysalide, l'inaccessible enfance, Makenzy toute sa vie avait souffert secrètement de la même blessure, le même silence, tu sais, les souvenirs à marée haute, avides, impitoyables, et toutes ces choses de l'intérieur jamais prêtes à lever le camp, quoi qu'on fasse (...) »
ce serait mentir de dire que ça a toujours été facile de vivre seule ici, à passer des journées entières sans entrevoir la moindre silhouette de vivant, sinon quelques rares loques humaines aux regards vides rampant dans la poussière, je m'amusais parfois à me remémorer notre vie d'autrefois, et je disais à ce grand vide dressé devant moi, quel mal y a-t-il à rester quand tous les autres partent, à se foutre de tout ce qu'ils croient pouvoir faire leur bonheur, à s'enfermer loin du monde, et mourir comme un rat dans son trou, se nicher là où les autres ne voient que la merde, la peste, j'avais commencé à prendre conscience de ma mort, à l'assumer, à la vivre pleinement, tout le contraire d'Orcel qui n'était ni ici ni ailleurs, jamais présent ni totalement absent non plus, une des rares facultés que je possédais et qui faisait de moi un être essentiellement vivant, sensible, était d'être présente même dans mon détachement, d'être à cent pour cent au coeur de mon absence, je n'ai pas d'autres mots pour l'expliquer, Makenzy a toujours voulu que je devienne une autre...
… au lieu de nous envoyer à l’école, tu étais d’un tel égoïsme, papa, non l’école n’a jamais été une échappatoire pour ceux qui s’ennuient chez eux, contrairement à ce que tu crois, c’est peut-être le plus beau cadeau qu’on puisse offrir à son enfant, …
... ainsi que je l'ai dit, je suis morte, tout ce qui me reste maintenant c'est de te parler, ça doit être ça l'éternité, parler à quelqu'un de n'importe où, sans façon, sans chichis, ...mourir pour pouvoir être continuellement là par ses mots et sa puanteur, ma présence au monde est le seul besoin que je satisfais pour l'instant dans cette chambre où personne n'est entré depuis le départ de mes parents là-bas, ou ce trou creusé loin du monde pour moi seule
je suis le rare cadavre ici qui n’ait pas été tué par un coup de magie…
il était seul contre sa mémoire, seul à escalader les falaises qui bordaient sa vie