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EAN : 9782226461452
192 pages
Albin Michel (30/03/2022)
3.69/5   67 notes
Résumé :
Ella a un don.
Parfois, quand elle regarde un enfant et avant que son nez ne se mette à saigner, elle sait s'il va devenir infirmier en gériatrie où s'il va mourir avant l'âge de onze ans, étendu sur un trottoir, les yeux tournés vers le ciel, injustement fauché par l'incompréhensible guerre des gangs qui ensanglante son quartier depuis toujours. Pirus, Crips, Bloods, la violence a tant de noms à Compton.
Quand son frère Kevin naît, en 1992, pendant le... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (31) Voir plus Ajouter une critique
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Tout d'abord, merci Stoffia pour la liste Imaginaire noir (ici : https://www.babelio.com/liste/46749/Imaginaire-noir) qui m'a permis de découvrir ce roman.

Mark Russell, auteur de BD, avait fait une remarque très intéressante, en affirmant que ce qui est une dystopie pour certains, est une réalité pour d'autres. Et Jean Giraud disait « La science-fiction a toujours été une façon de parler du présent d'une manière métaphorique ».

Alors quoi dire sur cette vague de romans, séries, films : P. Djèli Clark qui refaçonne L Histoire en Georgie en 1925 pour exposer des réalités raciales, Colson Whitehead qui transforme la métaphore du chemin de fer clandestin en un véritable tunnel pour rappeler l'horreur de l'esclavage, Nana-Kwame Adjey-Brenyah qui utilise l'extrapolation de la violence pour forcer la reconnaissance d'une réalité omniprésente, ou Rivers Salomon, Octavia Butler, Tananarive Due (nous attendons un traducteur ce serait sympa merci), Nnedi Okorafor, et pour le cinéma Jordan Peele (Get Out la critique percutante du racisme subtil systémique, ou Us qui examine les dualités d'une société américaine et ses identités, ou Nope une lutte contre la domestication sous toutes ses formes), Nia Da Costa et le remake de Candyman réévoquant les injustices sociales du passé et du présent, la mémoire collective des horreurs de l'esclavage, de la ségrégation, et du délit de faciès, et pour les séries Them de Little Marvin sur l'arrivée d'une famille noire dans un quartier blanc en 1953, Lovecraft Country (que je ne connais pas encore), et cet excellent court-métrage que je conseille fortement : Two Distant Strangers, qui examine la brutalité policière et les cycles répétés de violence auxquelles les communautés noires font face… Et tout cela, dans le genre SFFF.

Les affirmations de Jean Giraud et Mark Russell se rejoignent alors dans l'idée que l'horreur de l'imaginaire est également une métaphore pour aborder une réalité vécu depuis plusieurs siècles. Ces oeuvres deviennent alors des cris de douleur symboliques que la société a longtemps ignoré. Des récits où les frontières entre réalité et fiction s'estompent pour révéler des vérités humaines. Des cauchemars pour certains étaient des réalités pour d'autre, nous forçant ainsi, nous lecteurs, à prendre parti dans ses réflexions et trouver alors des solutions pour un avenir plus juste et équitable.

Le roman de Tochi Onyebuchi figure parmi ses récits : Ella et Kev, frère et soeur, sont marquées par des pouvoirs extraordinaires dans un monde ravagé par le racisme et la brutalité policière. Les passages de voyage du corps astral qui voguent entre le passé et le présent sont d'une sensibilité percutante. La structure narrative m'a parfois désorienté, on passe de la première personne du singulier à la troisième aussi brutalement qu'un coup dans le dos, ce qui rajoute à la violence du récit. Tandis que Kev suit la ligne directive que sa couleur de peau lui oblige à prendre (on comprend qu'il est un génie et il finira pourtant en prison comme beaucoup de noirs qui viennent des quartiers ouvriers, me rappelant un roman dont j'ai oublié le titre pardonnez-moi, où le protagoniste malgré toutes ses tentatives pour éviter de devenir un voyou, y est contraint pour protéger son frère), Ella voyage avec son don à travers le passé, le présent et le futur, et force son frère à participer à ses voyages qui ne font qu'alimenter le désir de vengeance. Entre l'esclavage, la ségrégation et se faire verbaliser arbitrairement parce qu'un noir correspond à la description d'un autre noir ne peut qu'inciter de la colère. Et la colère entraine la haine et la vengeance. Kev emprisonné, représente le sort destiné de cette société impitoyable, tandis qu'Ella qui vogue d'un état à l'autre représente une forme de liberté, mais une liberté qui n'a accès qu'aux images de souffrances, d'injustices et de désespoirs.
Le roman de Tochi Onyebuchi est un cri de douleur.
Moi j'ai entendu ce cri, et vous?

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Que demande-t-on à un écrivain ? D'écrire avec ses tripes et de nous remuer, de bouger notre petit confort de lecteur, de nous surprendre, de nous malmener même, bref, de nous marquer.
Tochi Onyebuchi serait donc à ce titre un très grand écrivain puisque son premier roman, en réalité une novella, porte en elle toute sa colère et toute sa rage comme un brasero incandescent, comme une arme brutale qui détonne quand on ne s'y attend pas.
Pourtant, Gilles Dumay nous prévient déjà dans la préface de L'Architecte de la Vengeance. Il nous dit que ce texte a tout de l'uppercut, ce qualificatif souvent galvaudé, et qu'il faudra du contexte au lecteur pour comprendre ce qu'il va se prendre dans la face. Que le lecteur soit noir ou blanc d'ailleurs.
C'est pourquoi la novella s'accompagne de deux articles de Tochi Onyebuchi, ancien juriste en droits civiques américain, d'origine Nigériane et plus précisément Igbo comme une certaine Nnedi Okorafor, autre grande écrivaine de science-fiction et fantasy américaine.
Des articles passionnants et essentiels pour resituer la pensée et l'état d'esprit de son auteur, et qui amènent forcément le lecteur à réfléchir encore et encore sur ce qu'il vient de lire.
Ce qui permet d'en venir au second point important autour de la littérature, de l'écrivain et de tout le reste : la « grande littérature » , celle qui perdure dans le temps, est aussi celle qui fait réfléchir et qui refuse le consensuel.
Alors asseyez-vous, car vous êtes au bon endroit.

Nous étions des enfants…
L'architecte de la Vengeance n'est pas une novella confortable.
C'est un récit de rage, de colère, d'indignation, de révolte où deux frère et soeur retrouve une voix.
Ella est une jeune fille noire qui vit en Californie. Tous les jours, elle est confrontée aux gangs locaux, à la violence, à l'injustice. Elle vit dans un monde que les blancs ne connaissent pas et ne veulent pas connaître, un monde de discriminations et d'injustices, un monde où un gamin de dix ans peut être abattu froidement dans la rue et où des policiers vous font la peau parce qu'il n'aime pas sa couleur. Un monde dans lequel des détenus noirs peuvent être tués par un rodéo « récréatif » sans que personne ne bronche.
Kev, lui, c'est l'enfant de l'Émeute, né pendant le Soulèvement de 1992 suite à l'acquittement des policiers qui ont tabassé Rodney King. Kev n'est pas comme sa soeur, même s'il subit le système aussi. Même s'il finit en taule pour un cambriolage qui tourne mal et parce qu'il n'a simplement pas la thune pour sa caution.
Car Ella a un Don. Elle peut s'infiltrer dans le souvenir des gens et se balader dans leur avenir. Elle peut ressentir les drames et les joies, les ombres et les peines. Mais surtout, Ella pourrait faire bouillir la cervelle des gens ou détruire un pâté de maison si elle le voulait.
Et si, enfin, Ella utilisait son Don pour que l'injustice cesse ?
Comment décrire ce texte autrement que par l'image d'un brasier ?
Celui d'une colère sourde qui grandit de page en page, taillée dans un style acéré qui tranche ses phrases à la serpe et les retaille au scalpel ?
Tochi Onyebuchi n'est pas un adepte des fioritures, son récit va droit où il doit aller, à la mesure de la rage qui habite ses personnages.

Black Live Matters
Le lecteur découvre, ou redécouvre, l'injustice raciale qui règne aux États-Unis. L'architecte de la Vengeance explore les quartiers noirs où les gangs s'entretuent, où la drogue fait des ravages, où les gens vivent dans la misère et l'humiliation. L'humiliation. C'est un mot important celui-ci car dans nombre des réminiscences que va parcourir Ella, c'est l'humiliation qui engendre la rage, la haine, l'envie de vengeance. Ella, continuellement confrontée aux émeutes, aux conditions de vie, au mépris des Noirs, à la vie carcérale, à sa naissance même, Ella va ressentir une colère aussi légitime que brûlante. L'Architecte de la Vengeance, c'est la description d'un système qui ne laisse pas de place au Noir, qui l'envoie à Rikers pour un cambriolage ou un vol de rien, qui le garde sous contrôle et l'humilie constamment.
C'est un roman dur. Un roman qui sait vous prendre les tripes pour les tirer d'un coup, comme lorsqu'Ella explore la souffrance de sa mère lors de son accouchement, un moment de bravoure littéraire qui sonne comme un direct dans le plexus. Et puis il y a chaque histoire, chaque bout de récit croisé de-ci de-là qui s'additionnent et forment quelque chose de monstrueux, le fondement d'un ressentiment, d'une colère, d'une envie de se venger devant ce spectacle innommable.
L'Architecte de la Vengeance voit deux trajectoires et deux « acceptations » de la condition Noire par Ella et par son frère Kev. Lui, plus victime qu'autre chose, et elle, un espoir, mais un espoir qui n'est pas celui, consensuel, que l'on attend dans ce genre de récit. L'histoire de Tochi Onyebuchi n'est pas là pour faire dans la nuance, ici, Le Blanc n'a pas de rédemption, il est, au mieux, pitoyable et très loin de l'image de dominant qu'il veut se donner.
Non, ce roman n'est pas pour la nuance.
C'est à la fois son plus grand et évident défaut…et sa plus brillante qualité.

Justice ou Vengeance ?
En tant qu'objet purement littéraire, L'Architecte de la Vengeance impressionne par la précision de sa plume, sublimement retranscrite en français par la géniale Anne-Sylvie Homassel. Si le récit vire carrément à la dystopie dans ses dernières pages, c'est aussi pour renforcer le sentiment de son auteur derrière, son sentiment que rien, non rien ne s'arrangera…à moins que…
Et c'est ici que L'Architecte de la Vengeance divisera. Car sa solution radicale passe par la révolte et l'annihilation, sa solution c'est d'arrêter les demi-mesures et de ne plus murmurer mais d'hurler. C'est de mettre le feu et de ne plus lever un bras. Pendant de nombreuses pages, on comprend.
Oui, on comprend que confronter de façon sempiternelle à l'injustice et, disons-le carrément, à l'horreur, l'écrivain derrière ce récit n'a plus envie d'être timoré, il a envie d'aller au bout, d'abattre les responsables et de ne pas être là où on l'attend, comme un chantre de l'égalité ou pour l'apaisement entre les Noirs et les Blancs. D'une façon extrême, L'Architecte de la Vengeance, qui porte très bien son titre français, montre qu'à la fin, tout ce qui reste à des gens désespérés et sans cesse humiliés, c'est la vengeance, c'est la violence, ce sont les sauterelles et les ténèbres pour les Blancs.
Alors oui, Tochi Onyebuchi n'a aucune nuance. Ce n'est pas le récit mesuré (et pourtant génial) d'un P. Djèlí Clark dans Ring Shout ou celui d'un Colson Whitehead dans Nickel Boys. C'est celui d'un homme qui a la rage, d'un écrivain en colère et qui n'en peut plus, c'est un exercice cathartique qui va au bout et qui, en un sens fait peur car il montre le résultat de décennies de racisme et de violences policières (ou non). Ce qui est intéressant ici, c'est qu'on peut ne pas du tout adhérer au point de vue de plus en plus radical exprimé par l'auteur, on peut trouver aussi qu'à force de ne plus voir que la violence et la haine, il finit par avoir un prisme complètement déformé de tout ce qu'il lit et ce qu'il vit. Oui. On peut penser tout ça et parvenir tout de même à comprendre qu'on lit quelque chose de grand et d'important qui laisse à réfléchir. Un récit où une héroïne des X-Men décide de prendre sa liberté en se salissant les mains pour qu'enfin tout cela cesse. On pourrait arguer que cela ne fera que transformer la victime en monstre mais ce qui est certain, c'est que cette fois au moins, le monstre a des raisons d'advenir. L'exploit de L'Architecte de la Vengeance, par sa force littéraire et sa force de conviction, c'est de laisser admiratif même quand on est fondamentalement en désaccord avec son idéologie finale.
Parce que c'est un roman de rage et qu'Ella, comme Kev, sont des personnages inoubliables qui ont toutes les raisons de perdre l'espoir dans un monde devenu tout simplement dégueulasse.

L'Architecte de la Vengeance n'est pas une claque comme on le dit souvent.
Non.
L'Architecte de la Vengeance est une série d'uppercuts d'une rare violence qui tapent là où ça fait mal : au coeur. Avec cette plume trempée dans le feu, une plume qui scalpe le récit comme on sculpte un bloc de pierre pour en faire une statue que personne ne pourra ignorer, Tochi Onyebuchi nous secoue, nous émeut, nous transporte, nous fracasse et nous laisse là, à comprendre que tout cela mènera à la vengeance…à défaut d'obtenir justice.
Lien : https://justaword.fr/larchit..
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Laquan McDonald, Michael Brown, Eric Garner, Breonna Taylor, George Floyd, Walter Scott, Tamir Rice, Philando Castille. Qu'ont en commun ces noms ? Ils appartiennent à des femmes et hommes afro-américains abattus dans des circonstances souvent douteuses par la police américaine. Par des policiers blancs. Et cette liste n'est pas exhaustive. Pourquoi commencer cette chronique par une telle liste ? Parce que ces morts et d'autres encore sont au centre du roman (ou novella) de Tochi Onyebuchi, L'Architecte de la vengeance.

Cet ouvrage est différent des précédents de la collection initiée par Gilles Dumay chez Albin Michel. Comme il l'écrit lui-même dans un avant-propos très éclairant, il n'avait pas prévu de publier de textes de ce format, laissant cela à des collections comme UHL chez le Bélial' (dont j'ai parlé récemment, mais pas seulement, à propos de leurs dernières publications : le Serpent de Claire North ou Simulacres martiens d'Eric Brown) . Mais ce texte s'est imposé à lui comme un coup au plexus (« un coup de coeur pour ce texte coup de poing ») et, nous le verrons en suite, c'en est effectivement un. Pour l'enrichir et le rendre plus compréhensible, rendre plus sensible son contexte d'écriture, il lui a adjoint deux articles du même auteur : « Je ne vois pas mention dans votre déposition du fait que vous êtes noir » et « Je n'ai pas de bouche : et pourtant, il me faut hurler ». Articles bourrés de références et écrits de façon parfois elliptique, mais effectivement bienvenus pour accompagner un récit polémique par son message, par ses prises de position.

Cette novella met en scène deux jeunes gens, noirs, Ella et son petit frère Kevin. Ce dernier est né en pleine émeute suite à l'acquittement d'officiers de police blancs accusés d'avoir passé à tabac un automobiliste noir américain, Rodney King. Un cas de plus. On va les suivre tous les deux, et un peu leur mère, pendant leur enfance et, surtout, leur entrée dans l'âge adulte. Mais la narration n'est aucunement linéaire. Tout va fonctionner par retours en arrière plus ou moins intuitifs, plus ou moins expliqués. L'Architecte de la vengeance n'est pas un texte qui s'offre sans une légère résistance : il se mérite. le style, autant en dire un rapide mot tout de suite, est sec et ne s'embarrasse pas de fioritures. On va à l'essentiel. Et l'essentiel, c'est la violence et la haine qui hantent cette société et, par conséquent, ces pages.

Car dans cette novella, on est loin des clichés douceâtres offerts autrefois (et encore parfois) par les soaps. L'extérieur est dangereux : les policiers, aidés par de nouvelles technologies, surveillent et répriment avec sévérité et violence, sans vraiment se soucier de justice. Les interpellations sont musclées, injustifiées, fréquentes. Les affrontements entre policiers blancs et jeunes noirs, pas présentés sous leur meilleur jour (branleurs qui traînent dans les rues et se droguent en permanence), sont quotidiens. Difficile de marcher dans les rues sans risquer d'être pris dans l'un d'eux. Si l'on est noir de peau, dommage ! C'est le même décor que dans la nouvelle du même auteur récemment paru en version numérique gratuite aux mêmes éditions : « Dommages et intérêts » (https://lenocherdeslivres.wordpress.com/2022/03/19/dommages-et-interets-tochi-onyebuchi/). Et l'on retrouve la même ambiance délétère à l'intérieur de son appartement : les bruits et donc, la violence sont permanents. On ne peut s'extraire de ce climat malsain et anxiogène qui est là tout le temps et partout. Résultat, au moindre faux pas, c'est la faute et la prison. C'est ce qui arrive à Kevin, surnommé Kev. Il a fini par « choisir » les bandes et se retrouve derrière les barreaux.

Et on va l'y suivre, y découvrir son quotidien. Mais pas en versant dans le misérabilisme, ni dans la description précise et millimétrée de ses gestes, de ses souffrances, de ses doutes. Avec le même système que pour le reste : par touches qui se suivent de façon plus ou moins directe. Avec pour principal fil directeur Ella, sa soeur. Car Ella a un Don : depuis qu'elle est jeune, elle s'est aperçue qu'elle pouvait agir sur la matière, sur ce qui l'entoure. Elle est capable de créer des boules de glace, de feu. Elle peut s'immiscer dans les pensées et même lire l'avenir de chacun. Elle peut se déplacer instantanément de l'autre coté de la Terre. Enfin, tout cela lui a pris du temps : temps de prendre conscience de son Don, temps d'entraînement et de découverte de la pluralité de ses capacités. Or, elle supporte de moins en moins ce qu'elle voit. Surtout quand elle découvre le passé de sa famille, cruel et injuste, traitement fréquent de Noirs par des Blancs dans cette société gangrenée par la haine et la peur. Mais avec ses pouvoirs, cette colère qui naît en elle n'est-elle pas dangereuse ?

Et c'est là que réside le problème pour certains lecteurs. Cette novella explique, sans pour autant la justifier, la colère et, à sa suite, le désir de vengeance. Car quand on subit ce genre de traitements une fois, deux fois, cent fois, que l'on voit autour de soi que rien ne change ou alors si lentement, comment ne pas avoir envie de se venger, de tout casser ? Alors attention, je ne suis pas en train de cautionner les actes de violence. Mais soyons clairs, je suis un homme blanc inséré dans une société « faite pour lui ». Et donc, malgré toutes mes lectures, toute mon empathie, je ne peux réellement comprendre, ressentir ce que ressentent les personnes qui subissent ces situations. Je ne peux, par conséquent, pas dire, toujours, de rester calme à des gens qui vivent cela. Facile de parler de modération quand on ne subit pas ces agressions dans ses tripes, dans sa chair. La violence infiniment présente dans L'architecte de la vengeance est compréhensible. Pas souhaitable, pas facilement entendable, mais compréhensible. le « Bien fait ! » est lui aussi compréhensible, même s'il est puéril, malvenu ou tout ce que l'on veut. N'empêche qu'à la lecture de cette novella, cette violence, on la ressent à fond, on la prend en pleine gueule et, qu'on soit noir ou blanc, on n'en ressort pas indemne. On y est et on veut réagir aussi. C'est la force de ce texte.

L'Architecte de la vengeance est un cri, un hurlement à la face de tous ceux qui acceptent le monde tel qu'il est. Une paire de claques à ceux qui se sont endormis alors que les horreurs et les injustices continuent à pleuvoir. Un coup de boule à ceux qui, au nom d'un ordre défaillant, réclament des sanctions toujours plus fortes pour les personnes osant se plaindre. C'est un livre salutaire parce qu'il force à réfléchir et à se poser des questions sur des acquis. À ouvrir des yeux trop souvent baissés.
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Roman coup de poing !

Ella, adolescente noire qui vit dans les quartiers déshérités de Los Angeles dans les années 1990, a un Don. Elle voit le destin de certains enfants autour d'elle, y compris le petit garçon qui mourra lors d'une fusillade. Dans une Amérique gangrénée par le racisme, tout son univers tourne autour de la violence, la pauvreté et l'injustice. le danger est omniprésent.

Pendant les émeutes raciales de 1992 naît son petit frère Kev. Rapidement, le don d'Ella évolue, et leur mère s'inquiète. Ella veut protéger son petit frère, Ella voit ses congénères noirs victimes de la violence policière dont les USA sont coutumiers, Ella réconforte Kev quand il est envoyé en prison et le visite d'une manière inhabituelle…

Servie par une écriture âpre et à fleur de peau, l'auteur dissèque cette Amérique où trop de jeunes sont happés par une destinée implacable. L'histoire est prétexte à un cri de douleur et un désir de vengeance ; la touche fantastique crée l'allégorie de la femme à la fois protectrice et prophétesse dans un univers où le sang coule trop facilement, où l'impossibilité de grandir en paix comprime toute une communauté qui aspire à une autre vie.

Le voyage prend aux tripes le lecteur. Quand le style de l'écriture porte autant le message que l'histoire elle-même, on est sans conteste dans de la littérature.

On n'est pas dans la nuance ni la complexité du monde : chez l'auteur, tous les policiers sont des racistes violents, et tous les noirs sont des pauvres vivant dans des quartiers gangrénés par la criminalité. Il s'en dégage une révolte face à des situations que le lecteur au courant de l'actualité sait être trop fréquentes dans les USA, encore aujourd'hui.

L'auteur, un ancien juriste spécialisé dans les droits civiques, se sert de sa plume pour dénoncer une société américaine qui enferme les noirs des quartiers pauvres : même ceux qui ne sont pas en prison ne jouissent pas réellement de libertés. Les articles joints au récit confirment une vision sombre de la société raciale — du moins aux États-Unis — et un fort sentiment d'injustice allant jusqu'à une argumentation approchant certaines notions du racisme systémique. Vous êtes prévenus !

Lien : https://feygirl.home.blog/20..
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D'ordinaire plutôt habitué à s'adresser à un jeune public, Tochi Onyebuchi se lance dans la littérature pour adulte avec un roman coup de poing qui retranscrit durement la violence subie par les populations noires aux États-Unis. L'ouvrage est court (cent cinquante pages) et est suivi de deux articles écrits par l'auteur sur le même sujet : « Je ne vois pas mention dans votre déposition du fait que vous êtes noir » et « Je n'ai pas de bouche : et pourtant il me faut hurler ». Paru quelques mois seulement après le meurtre de Georges Floyd et l'amplification du mouvement Black Lives Matter qui a suivi, le roman traite d'un sujet brûlant d'actualité dont il nous expose sans pincettes la brutalité. Les péripéties qui rythment l'histoire racontée ici par Toni Onyebuchi s'apparentent en effet pour le lecteur à une succession d'uppercuts, que chacun encaissera plus ou moins aisément en fonction de sa sensibilité mais qui n'en laisse pas moins quelque peu sonné une fois la dernière page tournée. le roman met en scène une petite fille, Ella, qui comprend peu à peu qu'elle possède la capacité de voir ce que l'avenir réserve à ceux qui l'entourent. Or, dans un quartier populaire presque exclusivement peuplé de personnes racisées, inutile de préciser que les visions de notre héroïne sont généralement plus tragiques qu'enthousiastes. Très tôt, la jeune fille réalise que le destin des garçons de ces quartiers est tout tracé, les condamnant presque systématiquement à périr dans un règlement de compte entre bandes rivales, ou bien sous les balles ou les coups de la police, et ce en toute impunité. Alors quand sa mère accouche de son petit frère en plein pendant les émeutes de 1992, déclenchées suite à acquittement des policiers impliqués dans l'arrestation particulièrement brutale de Rodney King, Ella entend tout faire pour le protéger, quitte à se laisser ronger par ce curieux pouvoir qui l'habite et qui se révèle bien plus vaste que prévu.

Compte tenu de la dureté du sujet abordé, c'est sans surprise que le roman se révèle agréable à lire du point de vue de la narration, mais compliqué d'un point de vue émotionnel. La colère est évidemment le sentiment qui prédomine tout au long du récit et celle-ci s'incarne à merveille dans le personnage d'Ella à laquelle on peine à s'attacher en raison de sa froideur mais qui dégage malgré tout une telle force qu'on se sent presque magnétiquement attiré par elle. La question des violences policières est abordée de manière frontale et brosse, en filigrane, le portrait d'une Amérique raciste, incapable d'affronter sa propre histoire et de s'interroger sur les dégâts causés par la relégation de sa population noire en marge de la société. Parfaitement au fait à la fois des différents drames qui ont conduit à l'émergence du mouvement Black Lives matter, mais aussi du fonctionnement des institutions états-uniennes en tant qu'ancien juriste spécialiste des droits civiques, l'auteur décrit avec un réalisme glaçant le terrible engrenage dans lequel se retrouve pris le frère de l'héroïne, multipliant pour ce faire les scènes brutales mettant l'accent tour à tour sur la violence exercée par les policiers lors des arrestations, celle subie en prison, et celle, plus insidieuse mais toute aussi marquante, qui suit la sortie. le fantastique occupe une place centrale dans le roman et a une sorte d'effet cathartique, la colère débordante d'Ella et la puissance terrifiante de son pouvoir permettant ainsi au lecteur de ne pas exploser. Les articles qui suivent sont quant à eux passionnants et interrogent la question des races en imaginaire ainsi que la réactions des écrivains noirs à l'heure des émeutes qui enflamment l'Amérique après la mort de chaque afro-américain de la main d'un policier. Loin des lieux communs habituels, l'auteur se livre à une analyse sans concession de la racialisation des inégalités sociaux-économiques et du racisme systémique qui gangrène la société américaine, faisant entendre ainsi un cri de colère légitime et poignant.

« L'architecte de la vengeance » est un roman coup de poing consacré au destin d'une jeune fille et de son frère dans une Amérique dans laquelle les populations noires subissent de plein fouet le racisme de leurs institutions, à commencer par la police. Bien que rude émotionnellement, la lecture n'en est pas moins captivante, entraînant un sentiment proche de ce qu'on pouvait ressentir avec « Vigilance » de Robert Jackson Bennett ou encore « Ring shout » de Phenderson Djeli Clark.
Lien : https://lebibliocosme.fr/202..
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critiques presse (2)
Elbakin.net
29 avril 2022
C’est un récit âpre, qui nous laisse volontairement sans repères. Y compris avec cette traduction, comme l’explique même Gilles Dumay dans son introduction : pas de notes de la traductrice, qu’il soit question de remise en contexte historique (les émeutes de Los Angeles en 1992) ou plus culturelle (la définition du tchip), à l’image de ce que nous propose l’auteur ici, qui se concentre sur son histoire et son histoire seule.
Lire la critique sur le site : Elbakin.net
Liberation
22 avril 2022
«L'Architecte de la vengance» met en scène un trio familial fictif qui permet de comprendre la réalité du racisme et des brutalités policières subies par les afro-américains ces dernières années.
Lire la critique sur le site : Liberation
Citations et extraits (30) Voir plus Ajouter une citation
Elle cherche le mot qui fera comprendre à sa mère à quel point la violence est envahissante, à quel point elle déteste avoir à se cacher dans le placard chaque fois qu'il y a du gang dans l'air, à quel point elle déteste savoir à son âge ce que signifie le fait d'habiter dans une zone Hoover, ou d'imaginer quasiment en permanence les choses horribles qui vont arriver aux garçons d'ici, ce qui l'empêche de penser à tout le reste - au mot qui décrira ce qui lui ronge tout le temps les intestins et la manière dont le sol gronde sous ses pieds chaque fois qu'elle saigne du nez, comme si la terre allait ouvrir sa gueule et tout engloutir.
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Le genre d'histoire qui vous fait vous demander à quoi ça sert qu'un néonazi apprenne à considérer qu'une personne noire est un être humain, s'il doit crever dix-huit mois plus tard : ou la morale de ladite histoire est peut-être que les seuls blancs qui sont disposés à considérer les noirs comme des êtres humains sont aussi ceux qui, de toute façon se préparent à mourir.
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Les évènements peuvent se développer d'un million de façons qu'Ella voit toutes s'accomplir sous ses yeux. Dans des projections holographiques qui croissent et se solidifient, formant des escaliers de bois qui grincent sous les lourdes semelles et des fenêtres si sales qu'on voit à peine dehors s'il pleut, s'il neige, s'il faut soleil ; un visage sur lequel pousse la chair, tiède au contact ; une lueur de tristesse ou de joie ou un mélange des deux dans le regard.
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Ou remonter plus loin encore et inciter Maman à s'installer dans un endroit où la terre ne prend pas feu sous eux, où ils pourraient prendre racine, où les blancs en voudraient peut-être un peu moins à sa peau.
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Dieu est amour, mais il est également l'architecte de notre vengeance. Il nous libère de nos liens en Egypte. Mais c'est lui qui provoque les nuées de sauterelles, les grenouilles, les fleuves de sang.
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Video de Tochi Onyebuchi (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Tochi Onyebuchi
Extrait du livre audio "L'Architecte de la vengeance" de Tochi Onyebuchi lu par Charles Morillon. Parution numérique le 24 août 2022.
https://www.audiolib.fr/livre/larchitecte-de-la-vengeance-9791035411190/
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