Les mots vont profond : ils murmurent dès qu’on les touche et s’ouvrent sur des paysages engloutis ; ils dévoilent souplement, dans leurs jeux, les mouvements de l’onde de la parole… ils nous noient et nous renouvellent, ils délivrent l’ancienne vie vocale engloutie. Il y a une géologie charnelle, une histoire animale, une sexualité et des jeux de séparations et d’unions vivantes en chacun des mots. L’histoire de « l’apparition de la vie par la parole » se cache dans chacune de nos langues. Chaque mot que l’on souffle se souvient que toutes les choses ont été appelées une à une.
Qu’apprend-on en France, aux écoliers comme aux agrégatifs ?… « — Qu’entre Aristote et Descartes s’étend la nuit noire du Moyen Âge. » D’un revers de main, dans la poubelle des superstitions et des inutilités sont rejetés : la Somme théologique, le Sefer Yetsira, le Talmud, la Philocalie, l’Adversus haereses d’Irénée de Lyon, la Fons vitae d’Ibn Gabirol, le Périphiséon de Jean Scot Érigène… Alors que si l’on creuse un peu les choses, il apparaît très vite que c’est dans ces livres oubliés que sont cachés les fondements profonds, les ressorts, le secret rythmique de nos structures mentales.
Le latin m’a fait découvrir et ouvrir le sol des langues. Il m’a soudainement recentré en me révélant l’ossature, la tectonique, l’architecture de notre langue ; il m’a aidé à comprendre comment elle tient debout. Mais il m’a donné bien plus, il m’a offert, au passage, la clé profonde des langues voisines : l’italien bien sûr, mais aussi le franco-provençal (qui n’est pas du tout du français estropié mais une autre façon de descendre du latin). C’est avec mon très peu de latin que j’ai compris ce que cachait le très joli mot patois désignant le printemps : un mot bien plus étrange et plus surprenant que primavera, spring, Frühling, etc.
La langue nous travaille beaucoup dans la nuit. Mon fils Virgile le sait mieux que moi, lui qui poursuit aujourd’hui très méthodiquement un travail sur la furtive mascarade des mots nous apparaissant à la lisière du sommeil. Le jour venu, il va saisir ces ombres et les porte au clair, puis il retourne chercher dans l’obscurité. Je lui ai envoyé hier une carte postale avec ces mots de Charles Nodier : « Le sommeil est non seulement l’état le plus puissant, mais encore le plus lucide de la pensée, sinon dans les illusions passagères dont il l’enveloppe, du moins dans les perceptions qui en dérivent. »
Que tout le monde me foute la paix y compris l'homme qui se prétend moi-même !
Lecture par André Marcon, Dominique Reymond & l'auteur
Musique : Anssi Karttunen (violoncelle)
Pour cette carte blanche, Valère Novarina a choisi de faire entendre des extraits de trois textes. La clef des langues paru cette année aux éditions POL : « roman nominaire » et large estuaire où se croisent les quatre fleuves de noms, de verbes, d'actions et de dessins. Dominique Reymond puisera dedans pour faire entendre la liste des définitions de Dieu.
Valère Novarina lira lui-même des extraits de Pour Louis de Funès, essai sur l'acteur qui pourrait être aussi un « Pour André Marcon » puisqu'il est né de l'observation quotidienne et presque chirurgicale du travail d'André Marcon dans le passage impensable du plateau à la salle lors de la création du Monologue d'Adramélech au théâtre de la Bastille en 1984.
Monologue d'Adramélech qui aura été préalablement lu ce soir par André Marcon accompagné de Anssi Karttunen au violoncelle.
À lire – L'oeuvre de Valère Novarina est éditée chez P.O.L.
Son : Lenny Szpira
Lumière : Patrick Clitus
Direction technique : Guillaume Parra
Captation : Claire Jarlan
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