« La censure, quelle qu'elle soit, me paraît une monstruosité, une chose pire que l'homicide; l'attentat contre la pensée est un crime de lèse-âme. »
Gustave FlaubertAlexandre Najjar nous livre la biographie de Pierre Ernest Pinard, arriviste procureur, tristement célèbre et richement récompensé par un fauteuil de Ministre de l'Intérieur et une Légion d'Honneur, pour avoir poursuivi en justice
Flaubert,
Baudelaire et
Eugène Sue !
Flaubert est acquitté.
Ha ! La fameuse « scandaleuse » scène du fiacre dans «
Madame Bovary » !
Comment ? Vous n'avez pas encore lu «
Madame Bovary » ?
Flaubert, avant son procès, écrit cette lettre savoureuse à un ami : « Je vous annonce que demain 24 janvier, j'honore de ma présence le banc des escrocs, 6ème chambre de police correctionnelle, 10 heures du matin. Les dames sont admises; une tenue décente et de bon goût est de rigueur. Je ne compte sur aucune justice. Je serai condamné et au maximum peut-être, douce récompense de mes travaux, noble encouragement donné à la littérature !... Vous aurez peut-être, un jour ou l'autre, l'occasion d'entretenir l'Empereur de ces matières. Vous pourrez, en matière d'exemple, citer mon procès comme une des turpitudes les plus ineptes qui se passent sous son régime. Je déplais aux jésuites de robe courte et aux jésuites de robes longues; mes métaphores irritent les premiers; ma franchise scandalise les seconds. »
Un extrait du réquisitoire d'Ernest Pinard qui accuse
Flaubert de « réalisme vulgaire et souvent choquant de la peinture des caractères»
« Cette morale stigmatise la littérature réaliste, non pas parce qu'elle peint les passions : la haine, la vengeance, l'amour ; le monde ne vit que là-dessus, et l'art doit les peindre ; mais quand elle les peint sans frein, sans mesure. L'art sans règle n'est plus l'art ; c'est comme une femme qui quitterait tout vêtement. Imposer à l'art l'unique règle de la décence publique, ce n'est pas l'asservir, mais l'honorer. On ne grandit qu'avec une règle. Voilà, messieurs, les principes que nous professons, voilà une doctrine que nous défendons avec conscience. »
Le ténébreux
Baudelaire accusé d'être « un défi jeté aux lois qui protègent la religion et la morale » est condamné à 300 francs d'amende avec interdiction de publication de certains poèmes de ses « Fleurs du Mal », poèmes sulfureux qui seront réhabilités en... 1949 !!!
(il s'agit des poèmes Les Bijoux, le Léthé, Lesbos, les Métamorphoses du vampire, Femmes damnées, À celle qui est trop gaie)
Les très émouvantes lettres de
Flaubert et
Baudelaire témoignent : ils sont surpris, inquiets et blessés face aux accusations.
Le lecteur curieux suivra pas à pas l'organisation de la défense, le procès avec ses accusations et ses plaidoiries. Très instructif !
Enfin, Pinard condamne « Les Mystères du Peuple ou Histoire d'une famille de prolétaires à travers les âges » d'
Eugène Sue, mort depuis 3 ans... ce sont donc le propriétaire de l'oeuvre, son éditeur et son imprimeur qui sont sur le banc des accusés
Mais c'est surtout une « biographie » très documentée du Second Empire : la révolution de 1848, l'abdication de Louis Philippe, la proclamation de la République par Lamartine.
Un petit texte qui éclaire, souvent « drôlement » (en effet, cet Ernest Pinard est décidément, souvent, malgré lui, très risible !) la justice, les moeurs et la censure de cette époque... de notre époque aussi ?
Un hommage à la littérature ?
Celui qui écrit et celui qui lit seraient-ils dangereux ?
Oui... l'histoire de la littérature le démontre... encore aujourd'hui !
« SHAKESPEARE AUSSI ÉTAIT UN TERRORISTE
"Words... words... words..." disait-il »
(
Léo Ferré)