"La rivière à l'envers" et des souvenirs, soudain, en pagaille!
Un retour en arrière s'impose qui me donne vivement des envies de Pays Imaginaire, de Peter et de Wendy; qui -surtout- me rappelle que j'ai bien vieilli… C'st injuste, mais c'est ainsi. Peut-être est-ce d'ailleurs là la raison d'être des livres et des souvenirs: nous rappeler plus encore que le passage du temps les enfants que nous étions…
Nous entamons l'année scolaire qui s'étirera de 2001 à 2002 et je suis en classe de quatrième. Notre professeure de français nous distribue un jour d'automne un roman jeunesse (à ma grande déception… En ce temps-là, j'avais des velléités de "grande") nous expliquant du même coup que plus tard dans l'année nous ferons la rencontre de l'auteur.
Ce roman, c'est "La Rivière à l'envers" que je me souviens avoir dévoré avec frénésie. J'avais beaucoup aimé les péripéties de Tomek qui recherche Hannah aussi fort qu'il espère trouver la rivière Qjar pour en rapporter l'eau miraculeuse. Ce petit gout salé d'aventures et de grands chemins, les crêpes des Parfumeurs...
Il fallait lire bien sûr, mais cours de français oblige, il fallait aussi préparer la venue de
Jean-Claude Mourlevat dans notre petit collège. A cette époque, la suite de "La Rivière à l'envers" n'étais pas encore publiée mais j'entends encore Madame B. nous expliquer que l'auteur avait écrit l'histoire du point de vue de Hannah, qu'elle n'était pas encore sortie et que ce serait un beau cadeau à faire à
Jean-Claude Mourlevat que d'écrire nous aussi le récit des aventures de la jeune fille, par petits groupes, un chapitre chacun.
Nous nous étions lancés dans ce projet avec coeur, je crois, et le jour de la rencontre est l'un de mes beaux souvenirs de collégienne. Ce jour-là, je m'étais promis de lire le deuxième opus de "La Rivière à l'Envers". Je n'ai pas tenu ma promesse. Si en fait, mais avec vingt-deux ans de retard...
Les années ont passé et j'ai toujours gardé le souvenir tendre, aux contours de plus en plus flous de Tomek, de Hannah et des Parfumeurs. Et puis, il y a peu, j'ai appris que
Jean-Claude Mourlevat serait présent à la fête du livre qu'organise ma ville. C'est ainsi que j'ai pris rendez-vous avec cet auteur qui mérite bien tout le bien qu'on dit de lui, ces personnages et la collégienne que j'étais et que je me suis offert l'intégral de "La Rivière à l'Envers".
Je l'ai dévoré en deux coups de cuillère à pot, avec autant de plaisir que j'en aurais eu à déguster un pot de confiture de fraises. C'est avec joie que j'ai retrouvé Tomek, son petit village, ses rêves d'aventures. Mes souvenirs n'étaient pas aussi précis que je ne le croyais de prime abord et j'ai redécouvert son histoire. Ainsi, si je me souvenais fort bien des Parfumeurs mangeurs de crêpes, j'avais oublié le personnage de Marie, si lumineux, si bienveillant et qui sans le vouloir ni en avoir l'air nous donne une très belle leçon sur la vie et la mort, le deuil surtout. J'avais oublié la passerine (alors que!), le voyage en mer et le panda, Hicham…
En revanche, je me souvenais bien du caractère de Tomek déchiré entre sa tranquillité et son rêve d'ailleurs qui m'a d'ailleurs fortement rappelé un certain Bilbo... Je me souvenais bien également de l'histoire d'amour lumineuse qui parcourt le livre et de l'évidence qui frôle Hannah et Tomek dans la petite épicerie aux mille tiroirs.
L'espace de quelques pages, je suis redevenue une enfant et chaque péripétie, chaque trouvaille, chaque invention m'a saisie et réjouie; je me suis laissée allée au plaisir simple de m'extraire de mon monde pour un pays imaginaire où tout est possible, surtout la fantaisie! Mention spéciale pour les "mots qui réveillent" et les arbres-écureuils.
Et puis, il y a ce que je n'avais pas perçu autrefois: la poésie incroyable qui découle de l'écriture de
Mourlevat, sa sensibilité et sa fantaisie, la gravité des thèmes abordés et leur profondeur!
La seconde partie de la rivière, celle qui concerne Hannah fut une totale découverte et je l'ai lu avec d'autant plus de curiosité que la partie consacrée à Tomek joue sur le mystère qui entoure la jeune fille. Racontée à la première personne par le personnage, cette seconde partie est tout aussi belle, poétique et délectable que la première. Pour autant, je l'ai trouvé très différente: plus grave, plus sombre et le personnage de Hannah m'a semble plus complexe que celui de Tomek. Les aventures vécues par la jeune fille sont toutes nimbées de mélancolie, de son enfance auprès d'un père pris de folie douce à son séjour dans le désert auprès d'un futur qui s'évapore en passant par son improbable trajet jusqu'à Ban Baïtan en compagnie d'une sorte de Gavroche et d'un Don Quichotte qui voudrait mourir ou par son escale dans un royaume de conte de fées pleurant à chaude larmes sa princesse disparue et donnent une profondeur insoupçonnée ce voyage initiatique qui la place sur le chemin de Tomek, plus doux, plus naïf.
Et que dire du dernier paragraphe, de celui qui referme le livre, qui constitue sans doute une des plus belles déclarations au monde de la littérature en même temps que d'une ode au désert?
"La Rivière à l'envers" est un récit initiatique, un voyage envoutant qui, comme tous les contes, peut ravir le coeur des petits comme celui des grands, plus profond qu'on ne pourrait le croire. Fantaisiste, poétique, complexe aussi et souvent mélancolique, ses deux moitiés bien différentes se complètent pourtant et forment un même océan dans lequel il faut plonger sans hésiter.