Donne-moi une raison. Une raison d’écrire une potentielle histoire. Donne-moi ce qu’il faut pour nourrir le brasier. Et s’il n’y a plus rien en toi à arpenter que des hectares de cendres, plus rien à consumer, elle s’éteindra d’elle-même.
J’appelle à moi seulement les matières inflammables dont on fait les récits.
Je suis l’eau qui charrie les larmes de Clara. La vapeur du souvenir au carreau de fenêtre lorsque tombe la nuit. Je suis les flocons de neige se posant sur leurs langues tirées haut vers le ciel, dans l’hiver cristallin. Je suis le ruisselet où elles marchaient pieds nus lorsque venait l’été. Je suis l’humidité entre leurs cuisses mêlées et au bout de leurs doigts, je suis le torrent de leurs âmes liquides, et la salive des mots qu’elles chuchotaient tout bas. Je suis la nuée, l’onde après le tonnerre qui noie toute la vallée sous un fracas d’éclairs, je suis leur joie grondante, je suis leur colère. Il faut bien qu’on m’entende, j’ai une histoire à dire, seul le vent me répond. Le vent a retenu le souvenir de Meni.
Chaque histoire qui commence contient en elle les germes de sa trame narrative et de son dénouement. Suffit d'être attentive. Observer par avance où la faille va s'ouvrir. Guetter la vibration du tout puissant premier séisme, voir la terre sous mes mains se lézarder un peu. Observer les zébrures qu'elle dessine au sol. Tenter d'anticiper sa profondeur future. Car c'est précisément là où s'ouvrira la faille que naîtra la musique, que le récit vaudra la peine d'être conté. Parce qu'un amour heureux [...] un amour qui serait absolument serein, n'est pas du matériau dont on fait les récits. Si bien que pour écrire, il faut souffrir un peu.
Je n'en ai jamais vu, ce qu'on appelle la neige. Ma mère m'a raconté, c'est quelque chose de blanc, léger et vaporeux, qui fond lorsqu'on la touche. Il a neigé, une fois, quand elle était petite. Mais je connais la grêle, qui s'abat sans prévenir durant les mois d'hiver et décime les récoltes qui ne sont pas sous serre.
Un univers empli de toutes les variations que prend la voix du vent: frémissante, gémissante, chantante ou hurlante à travers les pins sombres et les immenses mélèzes à la couleur de feu. La forêt, le vent et moi étions de tous leurs contes, poésies et chansons.
Je me souviens aussi très bien de mon intime et brutale conviction que nous allions nous aimer vraiment et longtemps, depuis le moment où ma bouche avait trouvé la tienne, le soir, devant un bar.
Je n'ai attendu personne avec cette ferveur-là. Nos premiers baisers ont eu le goût d'une eau venant désaltérer un immense incendie.
Trop tard pour cette histoire. J'en garde le secret dans mes ondes souterraines à présent, un secret que partage le vent.
Les outils du langage viennent fixer ce qu'ils peuvent de l'expérience humaine. Souvent, c'est moins le sens des mots qui rend pleinement ce qu'ils tentent de décrire, que le rythme qu'ils prennent à l'oreille qui entend, sans même qu'on les prononce.
Qu’elle écrive la fin toute seule maintenant. Je deviens page blanche et ma rage est muette, elle n’aura pas un mot.