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Serge Quadruppani (Traducteur)
EAN : 9782377293230
400 pages
Libertalia (17/05/2024)
4.5/5   13 notes
Résumé :
1978 fut à la fois l’année de l’enlèvement d’Aldo Moro, qui marqua la fin de la période d’agitation révolutionnaire et culturelle post-68 en Italie, et celle où il y eut dans la Péninsule le plus de signalements d’ovnis.

Dans ce roman exigeant, et qui emmène loin, on suit principalement trois personnages : Zanka, écrivain communiste à succès, est pris entre doutes sur la légitimité de son travail et besoin de gagner de l’argent. Son fils Vincenzo, qui... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Ovni 78, une image de la société italienne de la décennie 1970

Wu Ming n'est pas un écrivain chinois, comme on pourrait le penser, mais un collectif de quatre auteurs italiens originaire de Bologne. S'ils adoptent ce nom chinois qui signifie « anonyme », c'est pour mettre en avant leur oeuvre plutôt que leur nom. Et celle-ci s'étoffe depuis la première publication du collectif, en 1999. Ovni 78 est le dernier livre paru à cette date. Un roman qui tourne autour d'une mystérieuse disparition sous fond de troubles politiques, dans l'Italie de la fin des années 1970.

Une disparition mystérieuse comme point de départ d'Ovni 78

En août 1976, Jacopo et Margherita, deux jeunes de 14 ans, disparaissent dans le massif du Quarzerone, en Lunigiana. Ils campaient là, dans cette région du nord-ouest de l'Italie, avec leur groupe de scouts. Un dispositif important est déployé pour les rechercher auquel se joint une bonne partie de la population de Forravalle, la commune qui se trouve à proximité du mont Quarzerone. Parmi ceux qui participent à la battue se trouve le garde forestier Elio Gornara, dit Gheppio. Son aide est précieuse car il connaît très bien les lieux. Hélas, on a beau fouiller le moindre recoin de la montagne, il n'y a quasiment pas de trace des deux adolescents. Seule une barrette à cheveux de Margherita est retrouvée.

Presque 2 ans plus tard, cette disparition occupe moins les esprits sinon pour son caractère mystérieux. Jacopo et Margherita sont-ils tombés dans un gouffre ? Se sont-ils fait kidnapper ? Qui sait si ce n'est pas le fait d'extraterrestres ? En cette année 1978, les ovnis intéressent beaucoup de monde en Italie. Il n'y a jamais eu autant de signalements recensés.

Entre ovnis et crise politique

Gianmaria Zanchini, alias Martin Zanka, est une sommité dans le domaine de l'ufologie. Il est écrivain et émet l'hypothèse suivante : les extraterrestres seraient entrés en contact avec les humains dès la préhistoire ou l'antiquité. Ces ouvrages connaissent un tel succès qu'il a pu arrêter sa carrière de journaliste. Il creuse toujours sa piste et écrit un nouveau livre qui a justement pour cadre la Lunigiana. Succès oblige, il est aussi régulièrement sollicité. On lui a confié l'organisation d'une conférence sur l'ufologie qui doit se tenir à Rome.

La star de cette conférence est Allen Rynek, célèbre ufologue américain qui aurait inspiré Steven Spielberg pour son film Rencontres du troisième type. Milena Cravero vient de Turin exprès pour le rencontrer. Il ne faut pas se méprendre. Cette jeune femme n'est pas une groupie d'Allen Rynek. Si elle veut s'entretenir avec lui, c'est pour alimenter ses recherches. Milena Cravero est anthropologue et étudie le milieu de l'ufologie. A Turin, elle se rend régulièrement aux réunions du cercle d'ufologues du Grucat, en tant qu'observatrice.

Coup de théâtre ! La conférence est annulée, comme nombre d'évènements à Rome ce jeudi 16 mars 1978. Aldo Moro, figure importante de la Démocratie chrétienne, parti politique de centre droit, a été enlevé par les Brigades rouges. En Italie, c'est la consternation. le gouvernement déploie de grands moyens pour retrouver Aldo Moro. Les perquisitions policières s'intensifient et ciblent en priorité les milieux politiques de gauche.

Une communauté spirituelle à la paisibilité bousculée

La communauté Thanur fait partie des lieux perquisitionnés. Elle est pourtant non-violente. Retirée dans la campagne de Forravalle, Thanur offre à ses membres un cadre dans lequel ils assouvissent leur quête spirituelle. Orsola Galbiati, la fondatrice de cette communauté et psychothérapeute féministe, les guide dans cette voie. Mais certains à Forravalle voient Thanur d'un oeil suspect. Et puis, parmi ses membres se trouve Maurizio, le frère d'Andrea Salvetti, un militant notoire de Justice prolétaire pour le communisme. Pour la police, cette proximité justifie amplement la perquisition.

Vincenzo Zanchini, le fils de l'écrivain Martin Zanka, vit aussi à Thanur. Cela fait quelques mois qu'il a intégré cette communauté. Depuis, il ne touche plus à l'héroïne. Son père qui s'est endetté pour le sortir de cette addiction n'y croyait plus. La volonté de Vincenzo demeure cependant fragile. Elle peut fléchir au moindre pépin. Et là, Martin Zanka apprend de la bouche de son fils une nouvelle inattendue : il va peut-être devenir papa. Tout dépend si la jeune fille concernée, Rossella, décide de garder le bébé. Au sein de la communauté, Rossela Hilzer n'est pas n'importe qui. C'est la propriétaire du manoir dans lequel se trouve Thanur. Elle en a hérité de sa grand-mère. Cela lui confère un certain poids au sein de la communauté, même si c'est Orsola qui en est la guide.

Le Quarzerone, une montagne de mystères

Le massif du Quarzerone cumule depuis longtemps nombre de mystères. Il y en a encore un qui vient de se produire et il attire l'attention de cercles de l'ufologie. Filippo Bernacca, employé municipal de la commune de Forravalle, en est si l'on peut dire la vedette. Il affirme être tombé nez à nez avec des extraterrestres dans la montagne et avoir été sauvagement agressé. Il en porte encore les stigmates. Son affaire conduit Martin Zanka ainsi que des membres du Grucat accompagnés de Milena Cravero à faire le voyage pour rencontrer la victime.

La mésaventure de Filippo Bernacca n'est pas la seule chose qui intéresse Milena Cravero et Martin Zanka en Lunigiana. La jeune anthropologue y fréquente un ufophile revendiqué, Jimmy Fruzzetti. Il tient une boutique de vinyles où l'on peut trouver de la musique cosmique. Sa conception de l'ufologie est bien différente de celle du Grucat. Quant à Martin Zanka, il porte de plus en plus son attention sur une affaire dont on ne parle quasiment plus : la disparition de Margherita et Jacopo. Avec l'aide de Gheppio, le garde forestier, l'écrivain explore la montagne et réfléchit à diverses hypothèses. Qui sait s'ils parviendront à déterrer ce mystère des antres du Quarzerone ?

Mon appréciation

Ovni 78 est un roman qui marque par sa richesse et sa profondeur. Construit principalement autour de trois personnages, il foisonne d'histoires variées mais connectées. Tout au long du récit, on suit alternativement la vie et l'univers de Martin Zanka, Milena Cravero et Vincenzo Zanchini. Cette richesse narrative est renforcée par de nombreux autres personnages avec lesquels ils sont en relation. On ne peut pas considérer le rôle de ces protagonistes comme subalterne. Certains sont un élément clé de l'intrigue qui se dessine autour de la disparition de Margherita et Jacopo. D'autres permettent de donner plus de relief au contexte sociologique et politique de l'Italie de la fin des années 1970.

Qu'ils soient principaux ou secondaires, tous les profils des protagonistes sont soignés. Chapitre après chapitre, on se familiarise avec leurs traits de caractère, on pénètre leurs aspirations ou leurs tourments, on note leurs contradictions. Tout ce qui caractérise les contours d'une personnalité et rend plus proche un personnage fictionnel.

La richesse de ce roman tient également à la diversité des thématiques abordées. Des faits de société ou des questions politiques propres au contexte de la fin des années 1970, en Italie.

Le récit reflète ainsi l'engouement qu'il y avait pour l'apparition d'ovnis, à cette époque. Ce sujet est surtout exploité à travers les rencontres de Milena Cravero. Elle met le lecteur en contact avec différents amateurs d'ovnis. Tous n'ont pas la même conception de l'ufologie. Cela donne lieu à des controverses.

Avec Vincenzo Zanchini, on explore la vie dans une communauté spirituelle. Ce n'est pas toujours simple. La communauté est confrontée à des problèmes et des divergences internes. Ses péripéties mettent en lumière son fonctionnement et sa façon de gérer les difficultés. Vincenzo témoigne également de la souffrance des toxicos et de la difficulté de surmonter une addiction à l'héroïne.

L'Italie des années de plomb, au moment de l'enlèvement d'Aldo Moro, est en toile de fond d'Ovni 78. le livre rend compte des profonds antagonismes de la société italienne. Cela aboutit à de nombreuses actions violentes et à une intensité de la vie médiatique et politique. L'ambiance est pesante jusque dans la rue. Milena Cravero se plaint de la morosité qui règne à Turin, l'une des plus grandes villes d'Italie.

Cette politisation et cette polarisation se reflètent dans l'engagement de certains des personnages. Martin Zanka a des convictions politiques communistes bien ancrées. Durant la Seconde Guerre mondiale, il était engagé aux côtés des partisans et luttait contre les fascistes et les nazis. Milena Cravero, est une fervente militante féministe. Elle intègre cet engagement dans ses travaux, à travers l'étude de l'image et de la place des femmes dans le monde des ufologues. Au sein de la communauté Thanur, Maurizio Salvetti sympathisant de gauche se confronte à Ornorio Pardini, ancien militant fasciste. Les ufologues du Grucat, eux, ont des opinions plus modérées. Leur intérêt pour les ovnis est peut-être aussi un moyen d'échapper à la réalité conflictuelle de leur pays.

Dans ce chaos politique, Margherita et Jacopo demeurent introuvables. Même si elle n'est pas évoquée à chaque chapitre, leur disparition est le fil conducteur d'Ovni 78. En se mêlant habilement aux thématiques et aux histoires développées dans le récit, ce mystère donne un axe au roman. Et plus on avance dans la lecture, plus il est intrigant.
Lien : https://www.letyporaph.fr/ov..
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De quoi les rencontres du troisième type sont-elles le nom ? Un roman historique et politique somptueusement trafiqué par le collectif italien Wu Ming.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/06/27/note-de-lecture-ovni-78-wu-ming/

Italie, 1978. Au moment de l'enlèvement d'Aldo Moro, qu'est-ce qui peut bien relier la disparition de deux jeunes scouts dans un massif montagneux à la mauvaise réputation (car on s'y égare bien facilement), dans les Alpes Apuanes, entre Toscane et Ligurie, une augmentation jamais vue du nombre de signalement d'ovnis dans la péninsule, alors que le film de Steven Spielberg, « Rencontres du troisième type », envahit les écrans et les consciences, amusées ou non, une communauté expérimentale, post-hippie ou pré-décroissante, sa lutte complexe contre la toxicomanie, et l'enterrement en grande pompe d'une période historique et politique qui deviendra bientôt, dans une certaine mémoire collective à occultations, prompte à laisser « égaliser les extrêmes » (suivez mon regard en ce mois de juin 2024, en France) au mépris de différences objectives fondamentales, les « années de plomb » ?

Dans ce maelström de l'étrange et du pourtant, terriblement, très logique, c'est d'un écrivain communiste à succès, à la réputation sensationnelle forgée dans ses mises en scène des « aventures mystérieuses », d'une jeune anthropologue ayant justement décidé de consacrer sa thèse de doctorat aux associations d'ufologues en pleine floraison et multiplication, et d'un toxicomane repenti et pourtant hésitant, que proviendra la solution quasiment policière d'un « whodunnit ? » hors normes, à défaut bien entendu de pouvoir résoudre – comme on ne peut que le constater avec rage et tristesse presque cinquante ans plus tard, des deux côtés des Alpes – un si vaste « society procedural », comme l'auront entretemps constaté et néanmoins contesté nos amis du giallo transalpin, d'Andrea Camilleri à Massimo Carlotto, en passant par Carlo Lucarelli, Roberto Saviano, Gioacchino Criaco ou Giuseppe Genna.

Depuis 1999 et la publication de « Q – L'Oeil de Carafa », à l'époque encore sous le nom mythique de Luther Blissett, le collectif bolognais des Wu Ming pratique avec un extrême brio le détournement de genres littéraires aujourd'hui largement canoniques et profondément populaires, même s'ils restent marqués par le mépris dans lequel les tiennent certains tenants d'une culture propre sur elle : roman historique (« L'Oeil de Carafa », « Altai » – la suite de « Q », toujours non traduite ici -, « Manituana » – ou, également non traduit en français à ce jour, « L'Armata dei Somnambuli »), roman policier halluciné (« 54 ») ou encore science-fiction du quatrième type (« Proletkult »), ensemble de constructions littéraires débridées pratiquées dans le cadre théorique souple et mouvant du « nouvel épique italien ».

Publié en 2022, traduit en français en 2024 par Serge Quadruppani chez Libertalia (éditeur qui nous avait déjà offert dans ce vaste domaine, il n'y a pas si longtemps, le fabuleux et copieux troisième volume de la trilogie ouvrière américaine du si regretté Valerio Evangelisti, « Briseurs de grève »), « OVNI 78 » est certainement l'un des plus somptueusement aboutis de ces objets littéraires hybrides dont nous régale, précisément, le collectif italien. En raboutant avec grâce et machiavélisme les filaments apparemment si disjoints de certains « nouveaux » grands récits qui surgissent périodiquement de la nébuleuse de l'infotainment – et de son soubassement intéressé qui ne dit pas toujours son nom (« nous, on ne fait pas de politique », bien entendu) -, les Wu Ming nous offrent un fabuleux déchiffrement de la trame d'authentiques coïncidences et de calculs réels dont le complotisme contemporain se nourrit, pour le pire le plus souvent, et résonne ainsi fortement, à bien des égards, bien que ce travail-là procède d'un tout autre horizon en apparence, avec le précieux essai de l'un d'eux (Roberto Bui, dit Wu Ming 1), « Q comme qomplot : comment les complots défendent le système », publié en 2021, dont on vous parlera aussi prochainement sur ce blog. Plus que jamais en lutte contre toutes les formes d'opium du peuple, « OVNI 78 » s'impose en lecture malicieuse, tragique et indispensable (encore renforcée par l'exceptionnelle postface de Serge Quadruppani, « Wu Ming, ou la complexité subversive »).
Lien : https://charybde2.wordpress...
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"Deux scouts sont portés disparus sur le mont Quarzerone, anomalie géologique entre l'Apennin et les Alpes apuanes, théâtre de nombreuses apparitions inexpliquées. Deux ans plus tard, à Rome, le 16 mars 1978, le congrès des ovniologues italiens est perturbé par la nouvelle de l'enlèvement d'Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne. Qui, comment, pourquoi ? Toutes sortes de personnages vont surgir dans le récit, et enquêter. Une anthropologue, qui étudie les ufologues. Un ancien journaliste communiste, reconverti avec succès dans les ouvrages sur les événements inexplicables, qui veut éclaircir la disparition des deux scouts — et ce n'est sans doute pas un hasard s'il ressemble à François Truffaut, comédien dans le film "Rencontres du troisième type", qui vient de sortir. Son fils, ancien toxicomane, est membre, avec sa compagne, fille d'un gros industriel finançant les courants les plus réactionnaires, d'une communauté pratiquant à sa façon l'interrogation critique — lors de « séances d'autoconscience ». Se mêlent aussi à l'histoire un « ufophile », marchand de disques underground, sa grand-mère, un peu sorcière, un garde-forestier, fin connaisseur de cette fameuse « montagne magique », des personnes recherchées par la police et encore quelques autres, qui d'abord se croisent avant que les liens entre eux ne se resserrent. Tous sont, chacun à sa manière, des « enquêteurs », porteurs de questions.
Il y a de quoi, dans cette « étude » sur la vague d'apparitions inédite d'objets volants en Italie, pendant les cinquante-cinq jours de la « Moro Seizure », et ses énigmes, qui impliqueraient la « raison d'État » et le réseau paramilitaire Gladio, en cette « année-bascule », qui voit la fin d'un grand mouvement anticapitaliste, parfois armé, et parfois instrumentalisé, comme le rappelle le traducteur Serge Quadruppani dans sa postface. le lecteur lui-même se demandera souvent quelle part de vérité le collectif d'auteurs bolognais — ils sont aujourd'hui trois —, réunis sous le pseudonyme de Wu Ming, a utilisée… Dans une remarquable conjonction entre la forme et le propos, les auteurs émettent l'hypothèse que, l'imagination aidant à accepter le réel, ces narrations de diversion à propos d'objets volants mystérieux répondaient à un besoin d'enchantement face à un monde inacceptable dont on refusait d'admettre la réalité systémique : « Ils ont tous les yeux pointés vers le ciel. Ici-bas, c'est trop dégueulasse. »
Des clés sont disséminées de loin en loin, entre les lignes. Si la lecture préalable de l'indispensable "Q comme qomplot. Comment les fantasmes de complots défendent le système" (Lux, 2022) écrit par l'un des membres du collectif (Wu Ming 1) contribue certainement à les relier, cette préoccupation de démêler le fatras des fantasmes et des délires apparaît vite comme le fil conducteur de ce récit touffu qui ne laisse rien au hasard. Fiction, « vrai-faux roman historique et histoire alternative » pour citer Quadruppani ? Polar politique ? le doute accompagnera le lecteur jusqu'aux ultimes pages tant les références à ces années déterminantes sont précises et documentées. En tout cas, à l'évidence, cet Ovni 78 est un remarquable « olni » (objet littéraire non…)."

Ernest London, "Fausses pistes, vrai complot", in "Le Monde diplomatique", septembre 2024, p. 24.


Lien : https://www.monde-diplomatiq..
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Merci Monsieur Serge Quadruppani de m'avoir rappelé une vieille promesse avec un post à propos de sa traduction de OVNI 78 du collectif italien Wu Ming.
Je m'étais promis de chercher qui se cachait sous ce pseudo après la lecture d'un excellent roman de Wu Ming à Florence il y a une quinzaine d'années.
Je l'ai oubliée.
Cet OVNI est un Objet Narratif Non Identifiable. Il restitue parfaitement l'imaginaire de la fin des années 70 mêlant ufologie, communautés hippies, activisme politique et la réalité socio-politique de l'époque, le compromis historique et l'assassinat d'Aldo Moro.
La construction complexe résume parfaitement le roman noir, tragique et violent de la lutte entre les résidus fachos mussoliniens et les révolutionnaires tentés par le terrorisme jusqu'à l'assassinat.
Cerise sur le gâteau, Serge Quadrupani dans une superbe postface nous explique enfin ce qu'est Wu Ming, et surtout le contexte politique général dans lequel il s'inscrit.
A lire et découvrir absolument.
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Ne vous fiez pas à la 4ème de couverture, qui pourrait faire passer ce roman pour une enquête sur une double disparition. Il s'agit en partie d'enquête, mais bien davantage anthropologique.
C'est un roman qualifié d'exigeant, à raison et dans le bon sens : dense, pointu. C'est l'Italie dans les années 70, l'ufophilie ou les hippies comme témoins de cette époque, la scission entre les fascistes et les communistes. Sans jamais tomber dans l'essai politique, le fantastique ou le drame. J'ai adoré, je ne l'ai pas lâché.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Dès que Milena se glissa entre les fauteuils, les ufologues, jouant des coudes pour la rejoindre, bloquèrent l’entrée de la rangée, tandis qu’un détachement courait rejoindre l’autre bout par le couloir latéral. L’anthropologue se retrouva assise entre les deux membres les plus jeunes.
Matteo Bonino et Piergiorgio Pellegrino étudiaient encore : l’un en faculté d’ingénierie, l’autre en dernière année au lycée scientifique. Ils vivaient en famille et se faisaient de l’argent de poche avec des petits boulots occasionnels. Moins d’un mois auparavant, à la suite d’une des plus fortes chutes de neige dans l’histoire de Turin, ils avaient manié la pelle pour la commune. Une besogne dont peu de gens, à se fier à leur aspect, les auraient cru capables. Sur les photos de l’époque, ils avaient une dégaine que des années plus tard on aurait défini « de geeks ». À l’époque, on n’utilisait pas cet emprunt à l’argot américain, « bigleux » et « bûcheur » étaient les épithètes réservées à un certain type humain : lunettes épaisses, teint pâle, posture un peu courbe, chandails à losanges beiges ou bleus.
Aujourd’hui, malgré le vieillissement, l’embonpoint et la calvitie, les deux hommes ont meilleur aspect et on a du mal à reconnaître les deux garçons émaciés venus au cinéma avec Milena ce 3 mars. Bonino travaille pour la multinationale Ostendi : son équipe réalise des infrastructures un peu partout dans le monde, on retrouve même sa signature sous le projet du barrage le plus grand – et le plus contesté – d’Amérique du Sud. Quant à Pellegrino, il enseigne les mathématiques au lycée Gobetti, celui-là même où il a passé son diplôme. L’un et l’autre ont conservé leur passion pour l’ufologie et sont membres du Cirut, le Centre italien de recherches ufologiques de Turin, né des cendres du vieux Grucat. Pellegrino en est le secrétaire et Paolo Sesto – mort en 2017 – en a été pendant des décennies le président d’honneur. Quand il est en ville, Bonino ne manque pas une réunion. Le siège se trouve dans un grand sous-sol de la via Tepice, rempli de matériel d’archives et de pièces d’époque.
Interviewés dans ce cadre, les ufologues se rappellent parfaitement la première fois où ils virent le film de Spielberg.
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À 23 heures, la sentinelle Tania jeta un coup d’œil à sa montre : son tour de garde était fini, elle devait réveiller Margherita, mais la nouvelle pionnière n’était ni dans son sac de couchage ni dans la base.
Tania appela Martina, mais l’autre lui répondit de se mêler de ses affaires, parce que Jacopo non plus n’était pas à son poste.
– Et alors ?
Et alors, pour préciser l’idée, Martina lança une série de baisers en l’air, puis mit son index sur ses lèvres, chuuuut ! Alors Tania réveilla Monica, pour lui proposer de remplacer Margherita, mais Monica ne voulait pas en entendre parler.
Le volume sonore du bavardage augmenta et parvint aux oreilles d’Alberto, le chef de groupe adjoint, responsable de l’équipe jusqu’à la fin du jeu. Quand il comprit le motif de la discussion, Alberto pensa que l’absence des deux jeunes gens n’était pas à prendre à la légère. Margherita n’aurait jamais manqué un tour de garde pour continuer à se bécoter avec Jacopo. Sinon par sens du devoir, au moins pour ne pas se faire prendre.
Il laissa passer un quart d’heure, pour exclure l’hypothèse d’un petit contretemps, d’un retard imprévu, d’un mauvais calcul du temps de retour.
À 23 h 20, deux pionniers descendirent à Pian del Cielo. Simone était resté au camp, avec la trousse de premiers secours à portée de main, pour porter assistance en cas de maladie, blessure ou contusion.
De Jacopo et Margherita, pas de trace là non plus.
Simone comprit tout de suite qu’il s’était passé quelque chose. Et « quelque chose », en montagne et dans l’obscurité, c’est déjà « trop ».
Il prit une lampe électrique et courut au village en sautant sur les pierres du sentier.
Jacopo et Margherita étaient trop débrouillards pour s’éloigner et ne pas retrouver la route. Et puis quel sens cela aurait eu de s’éloigner dans un bois qui offrait déjà mille cachettes ?
En tout cas, il était difficile qu’ils se soient fait mal l’un et l’autre, qu’un des deux n’ait pas réussi à donner l’alarme, à rentrer au camp…
– J’ai perdu deux jeunes, dit-il à Gheppio sur le seuil du poste, à peine descendu de l’appartement de service au premier étage.
– Quand les avez-vous vus pour la dernière fois ? demanda l’inspecteur adjoint, tandis qu’il enfilait la veste de l’uniforme sur le tricot qu’il utilisait pour dormir.
– Il y a deux heures.
Gheppio entra dans le bureau et alluma l’émetteur radio. Le grésillement d’électricité statique agressa les oreilles de Simone.
– Astore, ici Gheppio, dit le garde forestier. Viens au poste, deux scouts ont disparu. À toi.
– Depuis quand ? demanda une voix ensommeillée. À toi.
– Deux heures, répondit Gheppio. Je coupe.
Et, bien sûr, ni lui ni Simone n’imaginaient que par la suite, à la même question, ils répondraient deux jours, deux semaines, deux mois, deux ans.

Aujourd’hui Simone a presque soixante-dix ans. Durant l’automne 1976, il quitta les scouts et renvoya à plus tard son diplôme de droit. Jusqu’à l’été suivant, il participa aux recherches pour retrouver Jacopo et Margherita et à la collecte d’indices sur leur disparition. Il parcourut chaque mètre carré de la montagne, parfois même seul, et si quelque nouvel élément minuscule surgissait, il revenait à Forravalle pour demander des informations et consulter Gheppio. Puis, quand il fut clair que les deux gamins ne reviendraient pas, il laissa tomber l’université, fit ses valises et déménagea en Suède, pour travailler comme docker sur le port de Göteborg. Peut-être se sentait-il responsable, peut-être que quelque chose le poussait non seulement à partir loin mais en quête d’une vie différente, d’un endroit où il ne devrait plus parler de l’affaire.
L’illusion se brisa au printemps 1978, quand quelques autres personnes aussi furent mêlées aux mystères du Quarzerone et contribuèrent à établir une partie de la vérité.
Cette histoire est celle de vies qui se croisèrent alors, sur les pentes de la montagne. Et si d’une vie, on ne peut connaître tous les replis, les ombres et les lumières, on peut au moins essayer de la raconter, en utilisant des documents, des interviews, des livres et des journaux de l’époque, en restant conscient de l’incommensurable distance entre les jours vécus et les pages écrites. Du reste, le défi de la narration est d’atteindre la vérité en affrontant l’ineffable, même quand il s’agit de loups-garous et de soucoupes volantes.
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En décembre 1976, avec l’augmentation du signalement d’ovnis dans le monde, la revue avait lancé un « appel aux armes » à son public, l’exhortant à construire des « groupes de chercheurs » sur le territoire national pour expédier à la revue nouvelles, rapports, curiosités.
Tumulte sous le ciel (c’est le cas de le dire) ! Durant une période restée dans les mémoires, surtout pour sa jeunesse en colère et l’escalade dans les assassinats politiques, dans toute l’Italie étaient nés des clubs et des associations consacrés aux soucoupes volantes. Chaque semaine, d’Aoste à Agrigente, de Cagliari à Gorizia, des métropoles à la province la plus perdue, se tenaient des réunions ufologiques. Bien vite, le phénomène s’était répandu : plus de cent radios libres avaient mis leurs fréquences à disposition, et les émissions consacrées aux apparitions et aux rencontres rapprochées avaient fleuri. Tout cela sur un mode très amateur : bégaiements, phrases embrouillées, volumes erronés, appels téléphoniques grésillants. Mais la passion était authentique.
Au printemps, Peper et Cavezzo avaient étendu la formule à la parapsychologie, autre grande lubie de ces années-là : télépathie, télékinésie, rhabdomancie… Aiguillonnés par Le Journal de l’Inconnu, une myriade de passionnés avait donné vie à des regroupements et associations, d’où arrivaient des comptes rendus et des analyses de phénomènes étranges.
En mars 1978, Le Journal de l’Inconnu prospérait sur la base d’un travail enthousiaste et gratuit.

La formation rapide de centaines de « petits groupes voués à la sous-culture » avait attiré l’attention de rares mais entreprenants sociologues, anthropologues et psychosociologues.
Milena Cravero, qui avait à l’époque vingt-six ans et était assistante en anthropologie culturelle à Turin, avait proposé à son professeur une recherche sur le milieu ufologique.
Rossano Crisafulli, dit « le Brillant », surnom inventé par Cesare Pavese en personne, c’est du moins ce que disait la légende, avait été un pionnier dans sa discipline en Italie, ami et complice de virées d’Ernesto De Martino, consultant de la « collection violette » d’Einaudi. Il avait tenu Milena en suspens pendant un mois et demi, pour bien lui faire sentir son rôle et confirmer que son assentiment était rare et précieux. Comme le dit son nom, qui en grec signifie « feuille d’or ».
Enfin, il avait dit oui, en expliquant – lui qui avait entendu parler de ça pour la première fois par elle – qu’il s’agissait d’un champ inexploré, d’un thème différent, de groupes pas encore entrés dans leurs radars. Avec une telle recherche d’avant-garde, l’Université – ce qui dans sa bouche signifiait lui-même – acquérait un lustre nouveau.
Milena s’était lancée bille en tête.
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Zanka sent arriver la nouvelle époque, celle des « chantiers ouverts partout pour construire des oubliettes, des silos d'une grande capacité pour les histoires dérangeantes dont plus personne ne veut entendre parler ».
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Chercher la vérité, c’est recueillir une poignée de graines et établir à quelles espèces elles appartiennent. Certaines se reconnaissent tout de suite, grâce à la forme et à la couleur, d’autres en revanche ne se distinguent pas, et une fois les premières hypothèses formulées, il ne reste qu’à les planter et à attendre qu’elles germent, chacune en leur temps. Il n’est pas dit que toutes y parviennent, soit du fait de l’intervention d’agents externes, soit parce qu’elles ne trouvent pas le terrain adapté, ou encore du fait d’une capacité germinative réduite. Ainsi, même après avoir attendu avec patience que les germes apparaissent, on ne réussit pas toujours à déterminer de quelles graines il s’agit, et on doit accepter une vérité partielle, bien que la vérité complète soit là, à un pas de nous. Franchir ce pas est une entreprise qui est du ressort de la conscience individuelle et collective.
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