Parmi les thèmes du fantastique, il en est un assez curieux car il remet en question la place, et plus exactement la taille de l'homme dans la Création (si vous êtes plutôt croyant) ou de l'Univers (si vous ne l'êtes pas). La preuve que tout est relatif : on est toujours plus petit que les plus grands que soi, et toujours plus grands que les plus petits que soi : la sagesse, c'est d'être conscient de ces deux états en même temps. Sans remonter aux Géants de l'Antiquité, citons quelques auteurs qui se sont penchés (ou au contraire ont levé les yeux, allez savoir) sur le problème :
Jonathan Swift et ses «
Voyages de Gulliver » (1726) suivi
De Voltaire avec son « Micromégas » ont posé quelques jalons ; le siècle suivant c'est
Maurice Renard qui reprenait le flambeau avec «
Un homme chez les microbes » (1928). Enfin en 1956,
Richard Matheson a apporté sa propre version du mythe avec «
L'Homme qui rétrécit ».
Scott Carey est un type comme vous et moi. Son nom n'est pas souvent employé dans le roman, à part dans les dialogues : la plupart du temps l'auteur emploie les termes « il » ou « l'homme ». Il est marié avec Louise (Lou) et a une adorable petite fille Beth. Il travaille avec son ami et associé Marty, et rien ne le destinait à l'aventure extraordinaire qui l'attendait : ce qui lui arrive n'est pas banal, en effet : en vacances avec son copain Marty, il prend un bain de soleil sur son bateau quand une vague étrange d'une écume étrange vient étrangement l'envelopper. Et c'est ainsi que tout a commencé : il s'est mis à rétrécir de façon imperceptible au début, mais inexorablement. Aucun examen n'est parvenu à en expliquer la cause, aucun traitement n'est parvenu à en corriger les effets. Si les conséquences physiques sont visibles « à vue d'oeil » (en tous cas jusqu'à un certain point), je ne vous raconte pas les ravages psychologiques, sur lui, sur sa famille, sur son entourage. Et puis le changement de taille implique le changement de perception : tout devient plus grand, et donc d'une certaine façon tout s'éloigne, et tout en même temps peut devenir dangereux…
On pense évidemment à Kafka et à « La métamorphose » : le personnage (Scott Carey ou Gregor Samsa) continue à être un être humain en devenant autre chose. Et sa perception du monde qui l'entoure en est affectée. Il est bien évident qu'au-delà du fantastique, beaucoup de questions peuvent se poser : petitesse et grandeur (relatives) de l'homme dans l'univers, perception d'une réalité qui change constamment et qui entraîne une angoisse existentielle : qu'est-ce qui m'arrive ? Pourquoi moi ? Et comment tout ça va-t-il se terminer ?
Ne comptez pas sur l'auteur pour vous donner des réponses. Son job à lui c'est de raconter une histoire. Point. Après vous imaginez ce que vous voulez. Et ça, raconter des histoires, il sait faire, Matheson. Si vous avez lu le « Livre d'or de la science-fiction –
Richard Matheson » vous en êtes convaincus. Tenez, ici, le récit n'est pas linéaire, mais passe du présent au passé par des allers-retours qui peu à peu, façon puzzle, montrent l'évolution du phénomène. le style est direct, journalistique, et fait ressortir l'isolement progressif du héros, en même temps qu'il l'éloigne de son décor habituel, lequel, de rassurant qu'il était, devient inquiétant et même hostile. L'auteur se permet même de jouer avec le lecteur (avec son intelligence un peu, avec ses nerfs beaucoup), en agrémentant l'intitulé de ses chapitres avec la taille de Scott : chapitre 2 (1 mètre 73), chapitre 9 (90 centimètres), chapitre 15 (18 centimètres) … (après il s'arrête, il n'a plus de règle adéquate !).
Matheson, c'est l'auteur idéal qui vous fera frissonner (de plaisir ou d'horreur, ou les deux) et qui, sans en avoir l'air, car son écriture est très agréable et pas sentencieuse du tout, vous amènera à vous interroger sur des tas de choses. Il est reconnu comme un des grands auteurs de l'âge d'or de la SF, auprès de gens comme
Asimov, ou Herbert, ou Clarke, ça situe le bonhomme, non ?