Masse critique m'a permis de me replonger dans la magie de la fin de l'été 1978, grâce à « La Défense d'aimer » de Domitille Marteau Funck-Brentano. Il est noté qu'il s'agit d'un roman, mais sans aucun doute parsemé de «réminiscences » comme le dit Jean-Claude Casadesus dans sa courte préface. le livret documentaire final explicatif est le bienvenu pour ceux qui ne sont pas wagnériens dans l'âme.
Il s'agit d'une histoire d'amour qui fait passer le lecteur de l'évocation du «Ring » à Bayreuth, dans la mise en scène de Chéreau -qui avait beaucoup fait parler d'elle à l'époque, et reste une référence-, à l'introspection de l'héroïne, prise dans une valse-hésitation pour savoir si elle doit s'abandonner à une nouvelle histoire, dans laquelle elle ne domine pas tout, du fait du pouvoir de cette musique.
L'oeuvre est composée de chapitres assez courts, portant tous en titre une indication musicale, et commençant tous par une date, égrenant la bulle du temps que représente un séjour à Bayreuth pour la représentation du Ring.
J'avais suivi avec passion les retransmissions sur France Musique de cette production qui avait enthousiasmée l'adolescente que j'étais. Je m'étais promis de m'y rendre avant de mourir, portée sans doute par une sensibilité romantique, qui n'est pas non plus étrangère à l'auteur. C'est grâce à elle, et à son écriture, que je pourrais peut-être dire que j'ai réalisé ce rêve. J'ai vécu par procuration les traditions liées à ce lieu, les émotions vives provoquées par la force de la musique wagnérienne, l'enthousiasme qu'elle provoque (au sens étymologique), l'imaginaire qu'elle sollicite en particulier quand on ne connaît pas l'allemand. J'ai été touchée par cette histoire d'amour qui se tricote entre les pages des livrets, qui s'appuie sur des références musicales et littéraires nombreuses, et par la délicatesse de l'évocation finale à l'alouette, clin d'oeil à la littérature courtoise. Merci à l'auteur pour ce beau voyage.
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Je n'ai pas eu l'honneur de recevoir ce livre par masse critique, qui me boude et me refuse systématiquement (...), mais grâce à Alext63 qui me l'a prêté. Il m'a tendrement accompagné en ce beau dimanche de mars. Il m'a renvoyé à de vieux souvenirs oubliés d'amours éphémères, lors d'un voyage professionnel à l'étranger, où moi aussi j'ai résisté puis succombé à la magie du moment présent et d'une rencontre avec ce fameux supplément d'âme, rencontre dans l'incertitude du lendemain. Merci Alexandre pour cette belle lecture.
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Nous pénétrons dans le théâtre en silence. J'ai perdu de ma faconde. Je m'installe à côté de lui. A ce moment là, je croir que c'est vraiment l'homme dont j'ai gouté le sommeil que je désire? Je tremble d'émotion. La musique qui n'a pas encore commencé ne m'est plus nécessaire pour que je me sente poche de lui, même si elle nous apporte ce "supplément d'âme" délicat à définir tant il se confond avec la mystique. Mes joues sont chaudes. Je ne sais pas si nous sommes à la fin ou au commencement d'un amour. Je contemple ses cheveux un peu trop longs pour caresser son cou, j'ai envie de les relever et d'y glisser mes doigts. Mon regard est tendu vers sa nuque, son prénom résonne dans ma tête, et un leitmotiv obsédant.
A Bayreuth un intrus qui s'appelle Richard Wagner m'a révélée à moi même ne me permettant de répondre à l'amour sans penser à la chute. J'ai accepté l'étourdissante durée d'un instant sans retour. J'ai savouré le moment présent avec la même intensité qu'un voyageur quittant un paysage sublime qu'il ne reverra peut-être jamais.
Le chemin qui monte au Festspiel Haus me rappelle les calvaires bretons de mon enfance : il y manque l'océan, mais les forêts allemandes bougent comme les mers du Nord. les arbres ondulent comme des vagues. Leur saveur m'éclabousse....
Ici le temps s'arrête pour tout le monde. Tout paraît codifié selon un rituel que l'on s'approprie facilement...
Avec le retour de l'or du Rhin, il m'est permis de verser des larmes sans connaitre le désespoir. J'éprouve la richesse de ces personnages en conservant leurs émotions, même après la tombée du rideau. J'essaie de me rassurer : une fois l'exaltation tombée, je redeviendrai moi-même, je n'aurai pas de cicatrices.
Entre temps, Wagner a opéré chez moi la transformation de tous mes sens. Maintenant je ne vois plus seulement avec mes yeux, j'ai l'impression que Fasolt m'a prêté les siens, ils donnent à mon regard une acuité particulière. Je suis soudain capable d'instaurer un dialogue avec la beauté.